Marie Malavoy, ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport
Chère Madame,
Le 31 août dernier était la dernière journée durant laquelle on pouvait signer sur le site de l’Assemblée nationale une pétition lancée en ligne qui demandait l’interdiction, dans les écoles du Québec, des pédagogies et des techniques aux effets non encore éprouvés ou présumés néfastes.
Avec plus de 500 personnes, j’ai avec enthousiasme signé cette pétition – je précise que ce n’est pas moi qui l’avais initiée.
ll me semblait en effet, et me semble encore, plus que raisonnable de demander que des pratiques à l’efficacité non démontrée, des pratiques qui ne sont pas approuvées par le ministère ou, pire encore, des pratiques qui sont jugées à risque par des organismes qui étudient les sectes, soient exclues de nos écoles.
Le 5 novembre dernier, votre ministère, dans une missive signée de votre nom, a répondu à tous les pétitionnaires. Cette réponse, je dois le dire, me déçoit énormément – même si elle ne me surprend pas vraiment. Permettez-moi d’expliquer cette double réaction.
La réponse – que sans doute vos fonctionnaires ont préparée pour vous la faire signer – ne me surprend pas parce qu’elle est tout imprégnée de cette pensée bureaucratique qui fait que le MELS ressemble de plus en plus à la maison qui rend fou que nous a fait connaître Astérix.
Votre réponse, Madame, en tout respect, votre réponse à une inquiétude profonde et légitime, c’est, rédigé en educando (cette langue qui interdit de penser) un copié-collé du formulaire B-12, version 4, corrigeant par arrêté du 3 novembre 1999 la section 3 du formulaire B-11. En un mot, traduite en français, cette réponse nous dit: il y a des mécanismes et des instances prévus pour rendre des décisions sur ces questions, en l’occurrence, le conseil d’établissement; ces conseils, conformément aux dispositions de la Loi sur l’instruction publique, ont pris des décisions et exercé leur liberté de choisir ce qui leur semble bon pour les élèves; ainsi légitimées, ces décisions doivent être respectées. Nous nous en lavons donc les mains et n’avons aucun jugement à porter, ni mesure à prendre.
Eh bien non. Il arrive que des instances légitimes errent – par exemple, parce qu’elles ne sont pas compétentes ou pour d’innombrables autres raisons. Et devant des cas manifestes et dûment rapportés où c’est possiblement le cas, on ne peut s’en laver les mains. On doit aussitôt se dire sensible à une préoccupation, qui, si elle était fondée, serait grave. On doit promettre d’investiguer. On doit faire preuve de la compétence intellectuelle et de la hauteur morale que doit incarner un ministère qui est celui de l’éducation.
On ne peut donc absolument pas s’en laver les mains, fut-ce avec le formulaire B-12. On ne le peut pas, parce que les décisions prises aboutissent possiblement, dans le cas présent, à ce que des gens qui n’y connaissent sans doute pas grand-chose cautionnent de somptueuses bêtises – la Brain Gym, la programmation neurolinguistique et tutti quanti – qui sont coûteuses au trésor public, nuisibles aux enfants et malsaines dans un milieu voué au savoir et où des apprentis sorciers vendeurs de potion magique n’ont pas leur place, même s’ils semblent s’y multiplier. Devant cela, Madame la Ministre, le MELS ne peut se soustraire à ses responsabilités quant à la dispensation d’un enseignement de qualité dans nos écoles.
Tout cela est profondément triste.
Mais il y a plus triste encore. Vous vous souvenez que je vous ai dit que si la réponse du ministère me décevait, elle ne me surprenait pas vraiment? Eh bien, le pire est là.
Certaines de ces sottises sont en effet non seulement tolérées par les instances qui devraient les interdire, mais parfois, voire souvent, elles sont sollicitées ou produites par elles – par le ministère, par les commissions scolaires, par les écoles et même par les départements d’éducation des universités et par tous ceux-là qui ont conçu la coûteuse réforme que vous connaissez, aux désolants résultats, et qui ont, sans les tester au préalable, fait la promotion de méthodes pédagogiques que la recherche sérieuse discrédite sans appel.
Devant se battre contre une bureaucratie galopante, contre l’educando et contre le cautionnement par tant de gens de tant de sottises, certaines personnes qui enseignent au Québec suggèrent que le nom de votre ministère s’explique facilement, vous comprendrez pourquoi: œuvrer en éducation, chez nous, ça ne laisse pas beaucoup de loisirs et c’est du sport.
J’aimerais pour finir vous faire une proposition. Laissez-moi vous inviter au restaurant. Passons deux heures ensemble. Je vous dirai des choses que vous ne risquez pas d’entendre ailleurs. Je fais le pari qu’après cela, vous interdirez qu’on utilise à nouveau le formulaire B-12 et que vous reviendrez sur la décision de vos fonctionnaires relativement à la Brain Gym et consorts.
Chiche?
Vous pouvez bien entendu venir accompagnée. Mais je vous en prie: pas par un ou une fonctionnaire du MELS.
Cordialement,
Normand Baillargeon
Montréal, 11 novembre 2013
M. Baillargeon
Je vous lis toujours avec beaucoup d’intérêt.
Dans ce cas, comme bien d’autres sans doute j’aurais aimé que vous mettiez un lien pour que je puisse lire la pétition en question et que vous annexiez la lettre de Mme Malavoy. J’aimerais beaucoup vous appuyer mais cet appui aurait plus de poids si je pouvais voir les textes en question.
André Sirois
Oui, le pire est bien là, ainsi que vous le précisez Normand.
Tel est le cas non seulement en éducation mais dans de nombreuses sphères de notre société, pour ne pas dire partout, différents mécanismes et nombreux conditionnements font en sorte que tout converge vers une chose; le statu quo.
Aveuglement volontaire, carriérisme ? Ignorance de ce qu’est l’esprit critique, incapacité de porter un regard holistique sur la vie et la société ? Toutes ces réponses et d’autres encore… ?
Comment ne pas réaliser que trop souvent, les décisions sont prises par un individu ou un groupe restreint, qui n’a ni à justifier ni appuyer ses positions ? Combien de suiveux sans se poser de questions parmi ceux qui gouvernent et appliquent ces politiques ?
Dans ce cas comme dans bien d’autres, le gouvernement veut être gentil, ne pas se chicaner avec personne, éviter les remous, éviter les manifestations des parents des écoles concernées aux portes de l’édifice du ministère… Toutes les concessions sont permises et même, elles sont encouragées: on ne touche pas au guêpier.
Si vous saviez le nombre de décisions qui sont prises avec cette philosophie, on ne doit pas mécontenter les associations, les fédérations, les syndicats, les industriels, les investisseurs, en d’autres termes, les groupes de pression. En attendant, on accepte tout en n’importe quoi, en croyant que le futur se termine demain
C’est bien là ce qu’on nomme statu quo ou immobilisme. Ça ne s’appelle certainement pas gouverner dans le meilleur intérêt de l’ensemble. Si c’était le cas, on ne serait pas à ce point à l’envers de ce que la science nous dit depuis 50 ans, que ce soit en éducation, en ce qui concerne l’environnement etc.
Si on ne sait et ne voit pas tout, quiconque lit un peu et est observateur remarque bien tous les non sens un peu partout.
D’ailleurs, on se demande si on est pas un peu « fou » de sembler être seul à voir tout ça, c’est tout le mythe de Cassandre.
Si la connaissance et l’intelligence permettent de mieux « voir » et de se situer, dans nos sociétés, ça ne rend en tout cas pas heureux. Quand on ne peut même pas se faire entendre d’un ministère concernant un enjeu aussi capital que l’éducation, comment penser alors influencer tout ces blocs de pouvoir qui ne parlent que cette langue, celle du pouvoir…
Formidable!!! Svp tenez-nous au courant de la réaction de Madame… et du repas si jamais il a lieu.
M. Sirois. Point well taken, comme on dit dans la langue de William.
Mes excuses, si je puis: ce n’est pas moi qui est en ligne mon texte, comme je le ferais pour un blogue; la lettre m’a été transmise, mais n’est pas publique et je ne pense pas qu’elle soir sur la toile.
Peut-être qu’une personne de passage ici pourra la rendre publiquement accessible.
Cordialement.
Voici la lettre en question: http://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_76661&process=Original&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe%2FvG7%2FYWzz
C’est vraiment de l’éducando, comme vous le dites si bien…
Madame Malavoy, renvoie la balle aux conseils d’établissement alors qu’il n’existe toujours pas à l’heure actuelle de formation obligatoire pour les membres des conseils d’établissement.
Par ailleurs, la très grande majorité des enseignant-es n’a pas reçu de formation en épistémologie et peu d’enseignants saississent les liens entre les choix politiques et les choix épistémologiques.
Pour faire bref, le conseil d’établissement dans son ensemble n’est pas outillé pour faire un choix éclairé.
Si rien ne change au niveau des formations des maîtres et du conseil d’établissement, je propose de former un groupe de consultants pour offrir du «Coaching» en épistémologie et politique. ;)
Pour être passée au travers le système pendant de nombreuses années en tant que parent je m’étonne qu’on ne remette jamais en question la formation des « directions » d’école qui sinon les parents, devraient avoir une solide formation pour gérer tout ce beau monde. J’ai qu’un « petit » certificat en gestion de ressources humaines qui m’aide énormément dans mon travail auprès des parents dans le milieu de la petite enfance. Il semblerait, cependant, qu’à peu près n’importe qui peut gérer une école et comme plusieurs semblent l’avoir constaté ici, la complaisance plus que la « connaissance », la « philosophie’ etc…. motive les décisions prises dans les écoles. C’est très à la mode de blâmer les parents et/ou les enseignants mais je mets au défi tous ceux qui se sentent concernés par l’amélioration du système scolaire d’aller observer ce qui se passe réellement dans les écoles et d’établir des normes d’embauche de ceux qui devraient y faire un travail de « direction » en fonction de que qu’ils ont pu y observer. Un « conseil » d’établissement n’est qu’un « conseil » quand c’est rendu que c’est de là que partent les décisions, il y a un sérieux problème. « Chacun son métier, les vaches seront bien gardées. » Malheureusement il y a plus de « politique » dans nos institutions qu’au Parlement, et c’est peu dire.
@M. Poupore et @Julie Blaquière: merci sincère de ces riches commentaires, qui me donnent à réfléchir. Je suis gâté d’avoir, en vous et bien d’autres, tant de lecteurs et de lectrices perspicaces…
Bien exprimé tout ça, Monsieur Baillargeon!
Mais – hélas! – ce n’est pas parce que l’on n’a pas tort que l’on conviendra du coup que l’on a donc raison… Surtout si l’on n’a pas utilisé le formulaire prescrit.
M. Baillargeon,
Je ne voudrais généraliser, mais malheureusement, étant moi même fonctionnaire au MELS je constate que les fonctionnaires sont muselés et n’ont plus le droit d’exercer leur esprit critique. Nos compétences sont trop souvent mises de côté et le discours creux et politiquement correct devient la norme. La règle est de ne pas faire de vagues…
Pour que vos compétences soient mises à profit il faudrait peut-être avoir des gouvernements qui ont le talent de les reconnaître. Mais le plus souvent ils ne l’ont pas assez ce qui se reflète également dans nos institutions. Ou ils ont le talent, mais ont peur de se compromettre en prenant des décisions éclairées et justes, pour ne pas se faire accuser d’ingérence par les partis adverses. La complaisance et le jeu du pouvoir minent nos gouvernements et les compétences pendant ce temps-là, elles prennent le bord.
Bonjour Normand, voici un article de Mario Richard (U Laval), paru il y a quelques années déjà, qui s’articule bien à l’intention de votre « lettre » adressée à Mme la Ministre:
http://www.formapex.com/telechargementpublic/richard2008a.pdf?616d13afc6835dd26137b409becc9f87=c93ea7a274bd955f124f9b1239735048
Invitez-la au restaurant LE PARLEMENTAIRE.
Vous pourriez y faire d’autres rencontres de ministres et de députés.
Kafka avait raison!
Pour le reste, une invitation au restaurant… il semble que cela fait longtemps que le milieu d’affaire (et les firmes d’ingénieurs) ont compris cela!!!
C’est bien dommage. Je n’ai pas recu d’informations sur cette pétition. En 36 ans d’enseignement à chaque fois qu’un API ou un cadre proposait une réforme je posais toujours la meme question : qui sont les prof qui ont fait cette suggestion. Toutefois, il faut etre humain et tous ont droit de gagner leur vie meme les API.
Il me semble que les conseils d’établissement n’ont pas la latitude d’introduire dans le curriculum des activités d’apprentissage (sic) qui compromettent l’acquisition des compétences prescrites par le Programme de formation de l’école québécoise, notamment celles relatives au domaine de la mathématique, de la science et de la technologie. Mais quand même les critiques les plus autorisés ne jugent pas utile de fonder leurs griefs sur les documents du MELS (auxquels il est de bon ton de vouer un mépris réflexe qui vous dispense de l’effort de les lire), comment s’étonner que les praticiens (commissaires, parents, enseignants) aient parfois une compréhension plutôt floue de leurs devoirs respectifs? À force de mettre constamment en exergue les mérites des personnes qui enseignent plutôt que ce que les vilains fonctionnaires prétendent leur demander d’enseigner, il ne faut pas s’étonner de ces dérapages, non?
Le libellé de la pétition se terminait sur cette demande assez inquiétante:
«… et que les enseignants soient formés et informés en ce sens.»
Et quoi? Faut-il en conclure que les enseignants ne bénéficient pas d’une formation à la pensée critique et qu’il soit nécessaire de procéder par voie de pétition pour corriger un tel état de chose? En général, les pétitions servent à briser des résistances… Les facultés et le MELS seraient-ils à ce point contaminés par des sectes obscurantistes et les pseudo-sciences ?
Merci Normand pour votre article et les réactions qu’il suscite!
Il manque une pseudo-sciences dans la lettre de Marie Malavoy: la synergologie, qui est en train, hélas, d’infiltrer les cegeps et les universités. J’ai même vu des conférences sur l’interprétation (opportuniste) du non-verbal au secondaire.