Prise de tête

Ce que ce manifeste rend manifeste

Vous avez sans doute aperçu ce manifeste intitulé Pour tirer profit collectivement de notre pétrole, qui vient de paraître. Il recommande que le Québec explore son potentiel pétrolier et qu’il s’engage ensuite, s’il est prometteur, dans son exploitation.

Passons rapidement sur le fait qu’un texte d’à peine deux pages et rédigé avec une telle médiocrité stylistique s’autoproclame un manifeste (Borduas, Breton: revenez…).

Passons aussi sur le fait qu’un manifeste est habituellement un texte qui défend des idées nouvelles contre des idées reçues  et non un texte qui défend des idées reçues en faisant l’impasse sur toute idée nouvelle. Passons sur tout cela.

Et venons-en à ce qui devrait le plus nous frapper dans ce médiocre et prévisible écrit qui rend manifestes bien des choses qui méritent de l’être.

J’en soulignerai quelques-unes.

La première est qu’il rend visible, même aux plus obtus des esprits, l’extraordinaire solidarité, l’extraordinaire esprit de corps (oserais-je dire, avec le Barbu d’autrefois, de classe?) des élites. Nationalistes, fédéralistes, vaguement progressistes ou non (sur diverses questions sociales), gens d’affaires, universitaires, journalistes et autres, tous, ou presque – et oubliant tout le reste – tendent à converger vers les mêmes conclusions sitôt que le dieu profit le commande.

La deuxième, et en témoigne l’accueil réservé à ce texte, est que ce que ces gens pensent et disent pèse lourd. Très lourd.

Un ouvrage récemment paru aux États-Unis (Affluence and Influence. Economic Inequality and Political Power in America, 2013) arrive d’ailleurs sur ce plan à des conclusions qui méritent d’être rappelées. L’auteur, Martin Gilens, un éminent professeur de science politique de l’Université Princeton, s’est intéressé, sur une période de 40 ans, aux positions défendues par diverses couches de la population, distinguées selon leurs revenus, à propos d’un grand nombre de questions de politiques publiques. Il a ensuite comparé ces données aux politiques qui ont effectivement été adoptées. Sa conclusion, prévisible mais qui a le mérite d’être solidement établie, est que le 10% supérieur de la société – plus encore, le 1% supérieur — obtient à peu près tout ce qu’il veut. La classe moyenne et les plus pauvres, eux, à peu de choses près, n’obtiennent jamais ce qu’ils veulent dès lors que leurs positions diffèrent de celles des précédents. Je rêve qu’un tel travail soit refait pour le Québec, mais prédis qu’il arrivera en gros aux mêmes résultats.

Une troisième chose que ce texte rend manifeste, c’est que c’est toujours comme une évidence que l’idéologie se présente – d’où sans doute sa brièveté, puisque l’évidence ne se discute pas.

De manière très caractéristique, Alain Dubuc, dans La Presse, applaudissant ce manifeste, écrivait qu’il devrait «être inutile», tant ce qu’il avance ne pourrait être refusé que par des «martiens».

Ce serait donc une évidence n’appelant aucune justification que l’on devrait exploiter cette ressource – et non pas chercher d’autres avenues; ce serait aussi une évidence que l’on bénéficiera tous, collectivement, de l’exploitation du pétrole du sol québécois – même si 30 années de néolibéralisme, au milieu de nos infrastructures en ruines, de nos régimes de retraite attaqués, de nos salaires stagnants et de nos services publics en décrépitude, incitent au plus profond scepticisme; ce serait enfin une évidence que l’on devrait confier l’exploitation de cette ressource au secteur privé, plutôt que, par exemple, de la nationaliser.

L’évidence, chaque fois, n’a qu’à être assénée; elle ne s’encombre pas de faits ou d’arguments. Il lui est même permis de passer sous silence que l’on est, avec cette décision à prendre, devant un des plus grands défis que l’humanité doit confronter, un défi qui pose avec urgence la question de la possibilité même, à moyen terme au mieux, de continuer à mener sur Terre une vie humaine décente et digne de ce nom.

Tout cela peut être balayé sous le tapis, tu, ignoré. En fait, nous dit-on, ce serait même rêver en couleurs ou penser comme un martien que de simplement soulever de telles questions ou de semblables objections.

On mesurera l’ampleur de l’aveuglement dont ce texte témoigne en se rappelant que les perspectives éculées qu’il dessine sont autant d’impasses qui nous ont directement conduits à la terrible crise économique de 2008 et dont l’humanité n’est pas encore sortie, loin de là. On mesurera, sur le même étalon, l’audace et l’assurance des élites ainsi que tout le mépris qu’elles ont pour la majorité de la population.

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L’énigme de la dernière chronique. C’est tout simple: la compagnie en question a envoyé aux femmes enceintes coupons et autres rabais qui leur étaient destinés, mais au milieu de diverses autres promotions, éteignant ainsi chez elles le soupçon d’avoir été espionnées.