Depuis 20 ans que j’interviens sur la place publique, je n’ai jamais caché mes allégeances anarchosyndicalistes.
J’ai souvent eu à défendre ces idées, mais plus souvent encore à les expliquer, tant elles sont méconnues et mal comprises. Elles me semblent pourtant constituer un héritage précieux, digne d’être préservé et dont on devrait s’inspirer en l’actualisant.
Ces idées et pratiques pointent en tout cas selon moi dans une direction qui est celle vers laquelle l’humanité devra bien un jour ou l’autre aller. Et elles méritent d’être méditées au moment où nous nous demandons — ou nous devrions nous demander — quel syndicalisme nous voulons exactement.
Pour faire très court, l’anarchosyndicalisme est une conception et une pratique du syndicalisme prôné par les anarchistes et qui a connu son heure de gloire dans plusieurs pays avant la guerre de 14-18 et en Espagne jusqu’en 1939.
Concrètement, voici quelques idées inspirées par lui et qui me paraissent de nature à renouveler aujourd’hui un syndicalisme qui en a bien besoin.
La méfiance des anarchistes vis-à-vis de tout pouvoir et leur obstination à exiger qu’il se légitime faute de quoi ils travailleront à le faire disparaître ont conduit les anarchosyndicalistes à vouloir un syndicalisme sans l’habituelle organisation hiérarchique.
Dans ce modèle, il n’y aurait donc pas, d’un côté, des dirigeants avec de substantiels privilèges (hum hum… suivez mon regard…) et un grand pouvoir dans les prises de décisions et, de l’autre, des cotisants sans grand réel pouvoir.
Plusieurs formules pour ce faire sont possibles; des délégués révocables, qui sont rémunérés selon la même échelle que les autres et qui conservent malgré ce statut une part de leur rôle de travailleurs, en est une. On devine sans mal ses conséquences… (hum hum… suivez mon regard…)
Les anarchosyndicalistes pensent en outre que leur activité vise simultanément l’amélioration, à court terme, des conditions des travailleurs et travailleuses — meilleurs salaires, diminution des heures de travail, retraites décentes, etc. —, mais aussi, à plus long terme, l’abolition du salariat, plus précisément de ce qu’ils appellent volontiers «l’esclavage salarial». Ils veulent pour cela généraliser la pratique de l’autogestion, grâce à laquelle les travailleurs échappent notamment à cette hiérarchie du travail, c’est-à-dire cette structure dans laquelle certains donnent des ordres et d’autres obéissent.
Ils aspirent donc à une société (libertaire) et à une économie (autogestionnaire) radicalement nouvelles. Pour y parvenir, pour commencer à les faire exister et pour les définir, chaque travailleur, chaque travailleuse, appartient à un deuxième regroupement, en sus de son syndicat usuel. Celui-ci existe bien et regroupe tous les travailleurs d’un même métier du pays et fonctionne comme je l’ai dit plus haut, c’est-à-dire de manière non hiérarchique.
Le deuxième regroupement, quant à lui, s’appelle une bourse du travail et est une sorte d’équivalent, pour les ouvriers, des chambres de commerce patronales. Les bourses sont un lieu d’apprentissage de l’action directe et de l’autoémancipation et se proposent de réunir de nombreux services relatifs à l’amélioration du sort de la classe ouvrière.
Il y a des bourses dans toutes les régions du pays et tous les travailleurs de la région, peu importe leur métier, peuvent en faire partie. Ils ont payé, par leurs cotisations, le bâtiment qui abrite leur bourse et ils la gèrent.
On y trouve typiquement un musée du travail, un centre d’entraide pour chômeurs et autres personnes dans le besoin. On y publie peut-être une revue et on y donne sûrement des cours du soir: c’est que la bourse est aussi une université populaire. L’anarchosyndicalisme accorde en effet une grande place à l’éducation: il veut instruire pour révolter l’ouvrier et lui donner la science de son malheur, comme le dira Fernand Pelloutier, un des théoriciens majeurs de cette forme de syndicalisme.
C’est là surtout, dans les bourses, que se donnent à vivre les prémisses d’un autre monde. Là, les travailleurs et travailleuses étudient, pensent, rêvent et agissent ensemble, ont des buts et des visions qui vont au-delà de la préservation de leurs emplois et l’amélioration de leurs conditions matérielles. Ils ne sont plus seuls, comme le sont par exemple en ce moment les postiers, qui défendent leurs jobs, ce qui est, à peu de choses près, leur seul activisme possible selon le syndicalisme actuel.
Les travailleurs et travailleuses savent aussi, en le vivant, qu’il y a un au-delà du travail et de l’économie de survie ou de consommation. Un des grands penseurs de l’anarchosyndicalisme, Rudolf Rocker, présentait comme suit cette idée cruciale: «Ce n’est qu’une fois qu’un humain a atteint un certain niveau de vie matérielle que peuvent devenir possibles sa véritable culture intellectuelle et son intérêt pour des préoccupations plus élevées.» Sans ce préalable, de telles aspirations sont tout simplement hors d’atteinte. Des êtres qui sont constamment menacés par la plus terrible des misères ne peuvent guère apprécier les plus élevées des valeurs culturelles.» Les bourses travaillent donc à développer ces préoccupations plus élevées.
«Ce sont justement ces aspirations-là que les patrons redoutent le plus, poursuit Rocker. Pour la classe capitaliste, le mot du ministre espagnol Juan Bravo Murillo a toujours une valeur encore aujourd’hui: “Chez les travailleurs, nous n’avons pas besoin d’hommes qui sont capables de penser: ce qu’il nous faut, ce sont des bêtes capables de trimer”.»
Rocker, Pelloutier: il faudra bien, un jour, qu’on goûte de nouveau à votre médecine…
Excellent! Vivement un autre système égalitaire dans lequel l’être humain s’épanouit.
Maintenant, quels sont les freins à ce changement qu’on mettent les mains à la pâte?
Le tout premier frein : les privilèges que se font accorder les membres de la caste dirigeante dans les syndicats. Et ces privilèges peuvent être nombreux.
Faut pas exagérer… un syndicat ne veille pas à la transformation de la société en entier, mais seulement à l’amélioration des conditions de travail de ses syndiqués. Et encore, j’en ai des doutes là-dessus. On dirait qu’être syndicaliste c’est un emploi comme un autre, un emploi duquel on doit tirer personnellement autant de profit que possible.
Je suis plutôt pessimiste dans ce sens et pour moi l’anarchie reste une illusion, un idéal, une utopie. Ça marcherait au fin fond de l’Amazonie, peut être, mais on est déjà tous contaminés par la société qui nous a vu naitre.
Excellent texte. La médiocrité du syndicalisme actuel commande un grand virage démocratique et la fin du corporatisme niait.
Faudra seulement conjuguer cet anarchosyndicalisme à une pensée écologiste radicale et nous voilà en scelle pour construire une nouvelle société !
Je suis un prof syndiqué CSN dans un cégep, membre de l’exécutif local. Le fonctionnement actuel de mon syndicat local est à peu près celui que vous décrivez : des délégué-es mandaté-es, pas révocables, mais élu-es sur mandat court d »un an; même salaire que les autres membres; nous conservons aussi en général une partie de notre travail à côté de notre libération.
En regard des bourses du travail, nos conseils centraux ont des fonctions analogues, en regroupant les travailleur-euses de différents secteurs dans un but de mobilisation politique. Nous ne gérons pas nous même la bâtisse, mais les élu-es de cette instance le font en partie. Il n’y a pas de cours du soir, mais des formations sont offertes.
Mon point est qu’au-delà des réformes de structures, peut-être plus nécessaires dans certaines organisations syndicales que dans d’autres, beaucoup de la bataille se joue à mon avis au niveau idéologique, dans la confiance qu’ont – ou pas – les travailleurs-euses de pouvoir changer quelque chose à leur sort. Le cynisme et la démobilisation sont extrêmement présents, et je doute que les personnes intéressées à offrir ou participer à des formations ou gérer une bourse du travail puisse être trouvées facilement dans l’état des choses.
Mais comme vous dites, nous avons tout à gagner à repenser en profondeur notre action syndicale, autant en revisitant les vieux classiques qu’en étant atttentifs aux expériences nouvelles qui pourraient nous inspirer.
Voici I.W.W. (Industrial Workers of the World) de la branche Montréalaise : http://sitt.wordpress.com/
« À propos du SITT-IWW
Le Syndicat Industriel des Travailleurs et des Travailleuses – Industrial Workers of the World (SITT-IWW) est une organisation syndicale reconnue dans l’histoire du mouvement ouvrier – nos membres militant-e-s y ont même gagné un surnom : les Wobblies, ou Wobs.
Le SITT-IWW est un syndicat pour tous les travailleurs-travailleuses de la classe ouvrière, dont la mission est d’organiser les lieux de travail, les industries et les communautés. Nous voulons à la fois améliorer nos conditions de vie dans l’immédiat, mais aussi construire un monde sans patrons, un monde dans lequel la production et la distribution seront gérés et organisés par les travailleurs-travailleuses. Ainsi, les besoins de la population entière sont satisfaits plutôt que seulement ceux d’une puissante minorité d’exploiteurs et de propriétaires.
Comment nous organisons-nous?
Parce que le SITT-IWW est un syndicat géré et contrôlé démocratiquement par les membres militant-e-s, les décisions, les orientations et les tactiques à mettre en œuvre sont décidées par les travailleurs-travailleuses directement impliquées. Nous sommes organisé-e-s sur une base volontaire bénévole, il n’y a pas de permanent-e-s salarié-e-s. Pas de hiérarchies salariales ou organisationnelles au sein de notre syndicat, nous voulons la démocratie directe ! »
Voici la branche Montréalaise du I.W.W : http://sitt.wordpress.com/
À propos du SITT-IWW
Le Syndicat Industriel des Travailleurs et des Travailleuses – Industrial Workers of the World (SITT-IWW) est une organisation syndicale reconnue dans l’histoire du mouvement ouvrier – nos membres militant-e-s y ont même gagné un surnom : les Wobblies, ou Wobs.
Le SITT-IWW est un syndicat pour tous les travailleurs-travailleuses de la classe ouvrière, dont la mission est d’organiser les lieux de travail, les industries et les communautés. Nous voulons à la fois améliorer nos conditions de vie dans l’immédiat, mais aussi construire un monde sans patrons, un monde dans lequel la production et la distribution seront gérés et organisés par les travailleurs-travailleuses. Ainsi, les besoins de la population entière sont satisfaits plutôt que seulement ceux d’une puissante minorité d’exploiteurs et de propriétaires.
Comment nous organisons-nous?
Parce que le SITT-IWW est un syndicat géré et contrôlé démocratiquement par les membres militant-e-s, les décisions, les orientations et les tactiques à mettre en œuvre sont décidées par les travailleurs-travailleuses directement impliquées. Nous sommes organisé-e-s sur une base volontaire bénévole, il n’y a pas de permanent-e-s salarié-e-s. Pas de hiérarchies salariales ou organisationnelles au sein de notre syndicat, nous voulons la démocratie directe !
Le I.W.W. , un des syndicats en amérique du nord ayant été le porte étendard de cette idéologie est actuellement très actif a Montréal. Les interessés devraient s’y joindre. On peut les contacter (entre autre) par facebook , IWW montréal
Au cas ou cela intéresserait quelqu’un, une telle organisation existe en Amérique du Nord depuis 1905. L’Industrial Workers of the World fait parti de ces syndicats qui fait sans hiérarchies et sans compromis.
Si le sujet vous intéresse deux sites existes soit celui de la branche montréalaise et celui du réseau international:
http://sitt.wordpress.com/
http://www.iww.org/
«Ce n’est qu’une fois qu’un humain a atteint un certain niveau de vie matérielle que peuvent devenir possibles sa véritable culture intellectuelle et son intérêt pour des préoccupations plus élevées.»
Je suis bien d’accord ! Actuellement, ceux qui ont atteint un certain niveau de vie constituent une classe moyenne bedonnante et ronflante les poches remplies de billets souper-spectacle d’humoristes parvenus. Ça s’appelait l’ennuie et l’indifférence autrefois, maintenant c’est le cynisme et le narcissisme. Vite des bourses….!
En principe, lorsqu’on a un toit, à mangé et la santé, l’homme a le moyen de penser autrement que la penser de subsistance. Mais force d’admettre que le patronat (et ses larbins) travaille fort pour nous laisser aucun répit et c’est sans compté tout cette pression du marketing qui nous pousse a de nouveaux besoins « essentiels »!
Pour la petite histoire syndicale, l’aépoque, un président des Métallos, un certain Michel Arseneault, nous avaient traités en assemblée annuelle de richard d’Alcan… parce que nos salaires étaient semblable à ceux d’un permanent syndical.
Vous comprendrez qu’à l’époque, la majorité des membres des métallos gagnaient entre 15 à 20 dollars de l’heure et qu’un permanent gagnait plus du double. Le membre avait intérêt a suivre le discours du haut de la hiérarchie syndicale pour espérer un jour être permanent…. ce qui l’était pas le cas des richards d’Alcan!
L’esprit libre est avant tout une question de moyen…
Moi qui pensait que le savoir rend libre.
En tout cas, au moins, si tu sais qu’il faut penser comme le grand singe pour gravir les échelons, libre à toi de le faire. Il y en a qui n’ont même pas ce niveau de liberté. Ils pensent comme le grand singe parce qu’ils pensent être un grand singe.
Ok, j’arrête les singeries
Moi qui pensais…(ne pas faire de fautes)
« La méfiance des anarchistes vis-à-vis de tout pouvoir et leur obstination à exiger qu’il se légitime faute de quoi ils travailleront à le faire disparaître »
Ça n’a aucun sens. Pour un anarchiste, un pouvoir ne peut pas être légitime.
Aucun pouvoir ne peut être légitime? Aucun ? Jamais? Sous aucune condition?
Heureusement, aucun anarchiste n’a jamais pensé une telle chose, si manifestement absurde qu’un enfant de sept ans donnerait aussitôt des contre-exemples — sans compter qu’on en serait réduit à quoi, alors? Au cri primal? À la force brute?
Bakounine: «S’ensuit-il que je repousse toute autorité ? Loin de moi cette pensée. Lorsqu’il s’agit de bottes, j’en réfère à l’autorité du cordonnier ; s’il s’agit d’une maison, d’un canal ou d’un chemin de fer, je consulte celle de l’architecte ou de l’ingénieur.» Il poursuit en disant qu’il ne respecte pas d’emblée ces autorités, mais manifestement elles existent et doivent être prises en compte et en certains cas respectés.
Chomsky prend l’exemple du parent qui retient son enfant de traverser la rue.
Mais je soupçonne que vous faites une blague….
L’expertise me semble différente du pouvoir.
Ou au pire, vous parlez de l’ « autorité », pas du « pouvoir ».
@David
Et vous tirez ça de ?
L’anarchisme n’est pas faite d’un seul bloc monolithique…comme d’autre courants, idéologies et pratiques, il y a des variantes. Et même de très nombreuses…
Seriez vous de ceux qui confondent anarchie et anomie ?
Comme le disait Normand, il faut sans cesse défaire les croyances et expliquer ce qu’est l’anarchisme dès le départ alors pour les variantes..oufff
Je trouve que votre volonté de renouvèlement du syndicalisme est noble, mais votre approche est dogmatique et hors contexte. On n’est plus à l’époque des artisans qui caractérisait l’époque de Fernand Pelloutier, Émile Pouget et de la CGT syndicaliste révolutionnaire. Le taylorisme a complètement changé la dynamique du travail et l’organisation des grèves ne peuvent pas s’organiser en petit collectifs militants ici et là. Les lois du travail comme la Formule Rand et les accréditations syndicales peuvent être utilisées au bénéfice des organisations ouvrières tandis que l’idéologie anarcho-syndicaliste n’a que causé des scission au sein de son propre mouvement en Europe sur les questions de la reconnaissance légale afin de rester fidèle à la « vrai » l’idéologie anarcho-syndicaliste qui refuse toute intégration dans les sphères gouvernementales (CNT espagnole VS CGT espagnole; CNT-f VS CNT-AIT VS CNT-SO). Même les IWW ici en Amérique du nord se convainquent de la dangerosité de revendiquer des status de syndicats légaux reconnus par l’État et les patrons, les résultats sont pourtant évidant: d’autres organisations arrivent à utiliser la même dynamique d’implantation en milieu traditionnellement difficile à accrédité pour animer une lutte sur le milieu de travail: fast-food, Wal-Mart, etc.
On a beau vouloir changer les choses, si on connait pas l’histoire ouvrière et les enjeux qui ont été l’objet de débats dans le passé, on est voué à répéter les mêmes erreurs du passé et selon moi. Les anarchistes n’ont pas le monopole de la vertu en matière de lutte de classe. Croire que l’anarcho-syndicalisme suffi à résoudre les problèmes actuels, c’est passer à côté des autres idéologies et des autres mouvements qui ont tout autant contribué à la révolution ouvrière que l’anarcho-syndicalisme.
L’expertise confère une autorité qui peut être légitime: vous concédez donc cela? C’est déjà ça de pris.
Certaines autorités, qui peuvent provenir de l’expertise ou autre, confèrent un pouvoir. Par exemple, supposons que nous conférons démocratiquement à des délégués, dans une assemblée anarchosyndicale, le pouvoir de prendre ou défendre telle position dans telle ou telle circonstance. Ce pourvoir ne serait pas légitime?
Expliquez-moi.
Ça commence à puer la social-médiocrassie.
« L’expertise confère une autorité qui peut être légitime: vous concédez donc cela? »
Oui, si cette autorité n’est pas imposée par la violence.
« Par exemple, supposons que nous conférons démocratiquement à des délégués, dans une assemblée anarchosyndicale, le pouvoir de prendre ou défendre telle position dans telle ou telle circonstance. »
Donc, ce serait légitime si cette assemblée décide d’exclure deux membres parce qu’ils sont Noirs ou d’exécuter par la guillotine un de leurs membres?
Ça commence à puer la social-médiocrassie.
« L’expertise confère une autorité qui peut être légitime: vous concédez donc cela? »
Oui, si cette autorité n’est pas imposée par la violence.
« Par exemple, supposons que nous conférons démocratiquement à des délégués, dans une assemblée anarchosyndicale, le pouvoir de prendre ou défendre telle position dans telle ou telle circonstance. »
Donc, ce serait légitime si cette assemblée décide d’exclure deux membres parce qu’ils sont Noirs ou d’exécuter par la guillotine un de leurs membres?
Il me semble que cette discussion serait plus intéressante si les termes étaient clairement définis.
Vous écrivez: «Ça commence à puer la social-médiocrassie.»
C’est un commentaire parfaitement gratuit et méprisant. Ça vous situe tout de même…
« L’expertise confère une autorité qui peut être légitime: vous concédez donc cela? »
Oui, si cette autorité n’est pas imposée par la violence.
Parfait.
« Par exemple, supposons que nous conférons démocratiquement à des délégués, dans une assemblée anarchosyndicale, le pouvoir de prendre ou défendre telle position dans telle ou telle circonstance. »
Donc, ce serait légitime si cette assemblée décide d’exclure deux membres parce qu’ils sont Noirs ou d’exécuter par la guillotine un de leurs membres?»
Bien non. Étonnant que vous me sortiez un truc pareil. La majorité des voix, à elle seule, ne rend pas nécessairement une décision juste ou morale: mais, ça, on le savait déjà.
Mais j’avais supposé une assemblée anarchosyndialiste qui, par définition, ne prendrait pas une décision injuste ou immorale comme celle que vous supposez.
Supposons donc une décision juste et morale, comme, disons, celle de X personnes dans une Église qui demandent à Martin Luther King et à des délégués de lutter contre la ségrégation: ces délégués sont-ils ou non investis d’un pouvoir légitime? C’est la question, celle de la possible légitimité du pouvoir: je dis qu’il est des cas où cela existe, un pouvoir légitime; vous le niez. (vous avez écrit: Pour un anarchiste, un pouvoir ne peut pas être légitime.)
Merci de répondre sans insulter, ce qui semble vraiment une propension très, très forte chez vous. Je l’ai constaté à de très nombreuses reprises…
Bonjour Normand!
vous évoquez « une assemblée anarchosyndialiste qui, par définition, ne prendrait pas une décision injuste ou immorale ».
Pourquoi « par définition » ? Deux types de réponses me paraissent envisageables.
Par la négative, on pourrait dire que l’anarchosyndicalisme saurait se prémunir contre les effets pervers résultant des structures syndicales traditionnelles. Vos hum… hum… successifs pointent dans cette direction. J’aurais besoin d’un peu plus, surtout en ces jours où nos syndicats sont soumis à une suspicion aussi spectaculaire qu’injustifiée (je ne dis pas injustifiable, là), dans ce procès populaire qui n’en est pas un en effet par l’impossibilité où sont tenus les accusés d’opposer une défense réelle à l’encontre des actes dont ils sont présumés coupables.
Positivement, il faudrait montrer comment il est dans la nature même de l’anarchosyndicalisme d’être moral et juste. Si vous m’accordez que le capital de vertu est à peu près également réparti chez tous les travailleurs, il semblerait que l’anarchosyndicalisme n’est pas plus riche parce qu’il recrute les meilleurs mais parce qu’il réussit mieux à rendre ces vertus effectives.
Non, je me corrige, pas « mieux » : ce serait rester sur le terrain d’une comparaison au moins apparemment trop facile. De même, il serait injuste de répondre simplement qu’en effet, ces organisations n’y ont pas « mieux » réussi et d’ergoter là-dessus durant des heures en se perdant en conjectures sur des exemples…
Quelle est cette caractéristique principielle de l’anarchosyndicalisme qui lui permettrait de rendre socialement et politiquement effectives les dispositions morales des individus et les faire prévaloir sur d’autres forces, moins généreuses? Il me semble qu’on a un peu besoin de répondre à ce genre de question pour faire d’un souhait, tel que vous l’exprimez, un projet tel que vous vous y êtes engagé.
Et c’est pas une critique! Juste un petit exercice de problématisation, comme dans le temps pas si lointain où j’en faisais faire aux élèves.
Pour faire court, par manque de temps, le problème des syndicats actuels ne se situent pas à la base, du moins pas principalement. Il se situe aux échelons supérieurs, d’où le problème du corporatisme, qui se retrouvent dans toutes organisations à structure hiérarchique de pouvoir.
Quant à l’anarchosyndicalisme, pour faire écho à des commentaires peu reluisants ci-haut, certains confondent constamment anarchie et anomie. De plus, l’anarchisme, tout comme d’autres courants, doctrines, idéologies et pratiques, ne forme pas un bloc monolithique mais un ensemble de principes orientés vers des objectifs, qui eux peuvent bien sûr varier selon les motifs et les mobiles recherchés…
M. Desjardins: loin de moi l’idée qu’une telle assemblée prendrait immanquablement des décisions justes et morales. Ce n’est que pour les besoins de cet échange que je supposais que celle que j’imaginais l’était et demandais de l’accorder par hypothèse.
En accord avec le commentaire de M.Ouellet.
Normand: je vois. Comme une «définition» implique un rapport nécessaire, il fallait lire le mode conditionnel de la phrase pour comprendre que vous vous en teniez au mode logique du possible. Je ne vous demanderai donc pas de vous justifier d’une hypothèse que vous n’avez posée que pour les fins d’une discussion où je serais d’ailleurs d’accord avec vous.
Bon. Vous ne posez donc pas le principe qui rendrait par nature l’anarchosyndicalisme moralement plus prometteur. Je ne vous demanderai pas quel il est, mais s’il en est un ;)
M. Desjardins, la réponse m’apparaît pourtant tellement simple, bien qu’elle puisse être expliquée en long et en large.
Maslow a très bien démontré cela en 49, à savoir que la cultures et les préoccupations élevées; humanisme, philosophie etc, ne sont possible que lorsque les besoins primaires sont assouvis et l’état de survie, mis de côté. De nombreux travaux par la suite ont montré que l’argent comme motivation nuit à la créativité, l’autonomie et la responsabilité des individus. Voir « the candle problem » et daniel Khaneman par exemple…
Cela dit: relisons la phrase suivante de Normand:
« C’est là surtout, dans les bourses, que se donnent à vivre les prémisses d’un autre monde. Là, les travailleurs et travailleuses étudient, pensent, rêvent et agissent ensemble, ont des buts et des visions qui vont au-delà de la préservation de leurs emplois et l’amélioration de leurs conditions matérielles. Ils ne sont plus seuls, comme le sont par exemple en ce moment les postiers, qui défendent leurs jobs, ce qui est, à peu de choses près, leur seul activisme possible selon le syndicalisme actuel. »
Si on a quelques connaissances en psycho, en philo et en socio, pour ne nommer que ces disciplines, il devient clair qu’on remplace l’aspect: « je ne pense qu’à mon nombril » et « il faut du cash à tout prix » dans un monde où l’on valorise la compétition, l’égoïsme et la cupidité pour arriver à ses fins, par un monde basé bien davantage sur les préoccupations élevées déjà mentionnées…culture, connaissance, développer pleinement le potentiel des individus etc…
« Maslow a très bien démontré cela en 49, à savoir que la culture et les préoccupations élevées; humanisme, philosophie etc, ne sont possible que lorsque les besoins primaires sont assouvis et l’état de survie, mis de côté. »
Pourquoi alors tant de gens dans une société qui assure pour la plupart un excellent niveau de vie et de sécurité demeurent dans un état de stress continuel lié à la survie dont l’indicateur est la consommation maladive et l’exutoire, le cinéma catastrophe?
La pyramide de Maslow a cet inconvénient qu’elle propose une vision hiérarchisée des besoins. Or, tous les besoins existent en même temps chez l’être humain, et sont tous autant vitaux les uns que les autres. Si nous apprenions à voir nos besoins à la manière d’un mandala, par exemple, nous serions naturellement porté à ne pas privilégier certains besoins, le confort et la sécurité, ex., au détriment de l’effectif et du créatif.
Vous avez absolument raison ! Pourquoi ? Vous donnez déjà une partie de la réponse…
Il n’y a effectivement pas de hiérarchie des besoins mais pour les représenter et expliquer, il faut bien schématiser.
P-ê parce que la vie, ce n’est pas que le matérialisme de consommation ? P-ê parce que la majorité des gens, quoiqu’on veuille bien nous le faire croire, sont encore à se battre pour leur besoin de base. P-ê parce qu’on mets de côté des éléments essentiels à la personnalité des individus ?
Pour ma part, les raisons sont là et les réponses existent, il faut juste accepter de les voir, les comprendre et les diffuser, ce dont notre société est loin de faire; on endort, on divertit, on fait se complaire les gens dans le superficiel etc…
Du pain et des jeux quoi !
On s’entend Simon. C’est un problème de la schématisation et de l’abstraction que de nous priver d’une certaine emprise sur le réel. C’est la force de la poésie que de nous la redonner.
Trop de gens demeurent au niveau de la satisfaction des besoins de base ( en quantité plus que nécessaire ) parce qu’ils n’ont pas appris à satisfaire les autres besoins. Pas étonnant de voir autant de gens à l’aise financièrement consommer des anxiolytiques et des antidépresseurs et accumuler autant de guenilles comme des écureuils en panique.
Effectivement, on s’entend…
Je reviens à, pour l’exemple: « the candle problem », cité plus bas, l’un des premiers travaux montrant que l’argent peut être bien pour de simples tâches répétitives mais qu’autrement, le monétaire comme motivation tue la créativité, la responsabilisation et l’autonomie…travaux financés entre autres par…la réserve fédérale américaine !!!
Désolé des fautes par écriture rapide…
Tout part de ce qu’on met dans le crâne des individus dès la naissance…
Notre monde n’est pas le paroxysme de l’évolution et n’est pas une fatalité.
Et qu’on ne sorte pas la nature humaine comme explication de la violence etc, ça ne résiste pas à une analyse objective…
Je voulais juste apporter un soupçon par rapport à la possibilité qu’une organisation anarchiste puisse vraiment exister et fonctionner dans la réalité.
Je ne suis pas un expert dans le sujet, mais je crois que nous possédons tous des impératifs biologiques et culturels auxquels on ne peut pas (ON NE PEUT PAS) échapper. Ancré au fond de notre inconscient, nous avons un bagage instinctif de domination et d’individualisme et en plus, la culture dans laquelle nous avons grandi nous a conditionné à voir les rapports humains en noir et blanc, dominants et dominés. Je pense donc que l’absence d’une autorité dans une organisation humaine est impossible.
Monsieur Ouellet
« M. Desjardins, la réponse m’apparaît pourtant tellement simple ». Si elle était si simple, le bon sens et la bonne volonté aurait depuis longtemps réglé tout cela…
Nos connaissances en psycho, en philo et en socio nous permettent sans doute de dessiner les contours d’un monde meilleur, mais elles n’ont pas réussi jusqu’ici à nous y amener. Dans la suite du soupçon exprimé par Ed, je demandais et redemande si une telle organisation anarchiste est non seulement souhaitable mais seulement possible. Je ne l’affirmerais pas, mais il se pourrait bien qu’il y ait dans la nature humaine quelque chose qui s’oppose à la réalisation d’un tel idéal. Il n’est pas plus naïf de s’en inquiéter que de présumer que cela se puisse, il me semble. C’était le sens de mes questions.
Monsieur Ouellet,
pour revenir sur la question de la nature humaine, je ne l’ai pas évoquée par défi (puisque vous espériez qu’on ne vous la « ressorte »), mais parce qu’il ne semble pas que l’analyse objective ait à ce point disposé de la question.
Et pourtant, si, et depuis des millénaires en fait. La science moderne, par les neuro sciences et l’épigénétique, entre autres, redécouvre ce que des traditions anciennes avaient compris et symbolisé…
Je n’ai pas de temps malheureusement mais je pourrai y revenir avec plaisir. Toutefois, pour cela, il faut vraiment spécifier la nécessité d’une vision globale et pluridisciplinaire, ce qui, à l’heure de la spécialisation et d’une éducation déficiente, est très rare.
À l’heure où nous nous parlons, n’essayer même pas de se faire communiquer un biologiste et un physicien ou un homme de science avec un homme de lettres, c’est connu et les exemples de cela pullulent…ils ne se comprennent pas malgré qu’ils décriront les mêmes phénomènes…
Deux brèves remarques.
1. Ces questions ne sont pas du tout réglées au plan théorique comme vous le suggérez, encore moins depuis des millénaires, à moins que vous décidiez que les points de vue différents ne sont d’aucun poids?
2. L’être humain, par nature, est en grande partie l’idée qu’il se fait de lui-même, qui guide ses actions, motive ses choix en éducation, etc. Mais la question reste entière de déterminer jusqu’à quel point cette idée commande réellement ses rapports avec ses semblables, quelle qu’elle soit. C’était un peu la question posée par des penseurs matérialistes du dix-neuvième siècle…
Donc, vous êtes un relativiste pour qui tout se vaut ?
C’est important, si l’on veut se comprendre, de savoir d’oû l’on part…
Je ne dis pas qu’elles sont définitivement réglées, ces questions, je dis qu’on en sait bien plus que ce qu’on le pense, seulement ça demande une recherche et une ouverture multidisciplinaire que peu sont en mesure de fournir. La vérité n’est pas relative, quoiqu’on en dise…bien qu’on puisse l’exprimer sous diverses formes.
Le dernier grand chercheur « matérialiste » en la personne de Damasio et sont équipe, sont encore aussi « perdus » qu’au 19ieme siècle, malgré tout nos progrès. Bien sûr qu’il s’agit probablement d’un manque de connaissances mais la frontière est tout aussi opaque qu’elle l’était.
Nos progrès en matière de systèmes complexes sont très limités. Bcp de chercheurs ne connaissent pas Laborit ni De Rosnay par exemple, spécialistes de la systémique.
Un ami vient justement de mettre en ligne ceci:
http://fr.wikiquote.org/wiki/Jo%C3%ABl_de_Rosnay
Question de tenter de le faire connaître un peu plus…
Eh bien, manque de temps encore une fois, il faudrait de ma part un lent et complexe exposé…
Nous savons par exemple que dans plusieurs peuplades indigènes (il en reste peu maintenant) le taux de violence et de « criminalité » est soit très faible soit inexistant.
Pareillement pour les meurtres…
Nous savons qu,actuellement au niveau des populations carcérales dans nos sociétés modernes, la très grande majorité des individus ont subi toutes sortes de traumatismes et ont un parcours qui les ont menés tout droit en prison…
Etc…
Ce sont quelques exemples, mis en parallèle avec bien autres aspects, psycho philo socio etc, qui montrent que si nous voulions vraiment fonder un monde meilleur, nous savons quoi faire…sauf que les maîtres ne laisseront jamais cela se réaliser…
« Donc, vous êtes un relativiste pour qui tout se vaut ? »
C’est votre conclusion, monsieur, et elle ne me rend pas du tout justice. Je n’ai pas dit que tous les points de vue se valent. Ce genre d’accusation pourrait vous être retournée. Ceux qui ferment les questions controversées plutôt que de souffrir qu’elles soient reprises ne sont plus dans la science mais dans le dogme. Mais je ne le ferai pas, votre commentaire suivant faisant montre de plus de modération.
Je me demandais justement cette semaine ce qu’il était advenu de J. de Rosnay, que j’avais beaucoup pratiqué dans mes cours il y a près de quarante ans.Heureux qu’il ait encore des adeptes. Quant à ce monsieur Damasio, je ne le connaissais même pas de nom. Mais je suppose après googlisation que le fait d’enseigner à USC et de s’être mérité de ci de là quelques distinctions dans les milieux savants lui valent quand même une certaine autorité malgré tous nos (?) progrès ;-)
Ahah,
Je suis désolé si j’ai semblé fermer les questions, J’écris à toute vitesse entre 2 lorsque j’ai une petite minute…parce que tout ça m’intéresse beaucoup…
Je voulais simplement voir la réaction…parce que la pensée relativiste, on la voit bcp…et alors aucune discussion n’est possible lorsque tout se vaut. « C’est ton opinion j’ai la mienne et c’est correct » …
Oui oui, Damasio, il est très fort…mais il est tout aussi « bloqué » par la frontière matérialiste que tout ses prédécesseurs…
Je veux bien admettre que p-ê ce sont nos connaissances qui nous limitent sauf que plus on avance, et pour chaque question à laquelle on attribue une partie de réponse, nous replonge dans de plus profonds questionnements…l’ordre et la complexité est si vaste, au niveau du cerveau comme de l’univers, que penser que nous en viendront réellement à bout est presqu’une chimère…
« les maîtres ne laisseront jamais cela se réaliser… »
J’ai bien peur que les choses soient un peu plus compliquées. Cette division potentiellement manichéenne entre la majorité opprimée dépositaire d’une humanité dont quelques maîtres les privent a été jugée contreproductive, non qu’elle ne rende pas compte d’une division sociale réelle, mais qu’elle l’occulte en grande partie pour la faire dépendre tantôt de la moralité des individus, tantôt du manque de connaissance… alors qu’elle pourrait (notez le conditionnel qui confesse mon ignorance) dépendre d’autres facteurs qui resteraient à mettre au jour et dont la connaissance pourrait aider les avant-garde à faire de leurs souhaits généreux des projets encore plus effectifs. Si ces facteurs sont d’ordre essentiellement économiques (sans vouloir tout y réduire), la stratégie n’est pas du tout la même que si les facteurs cognitifs sont prévalents. etc.
(j’ai écrit mon dernier commentaire sur un écran ancien où vos deux derniers n’apparaissaient pas).
Bien entendu qu’il y a une foule de facteurs; je mentionnais ci haut que tout dépend de ce qu’on met dans le crâne des individus dès leur naissance.
L’éducation entre autres: educare, faire sortir de, faire sortir les limites, le potentiel, la sensibilité, les passions maîtrisées etc.
Que fait on sortir par la pseudo éducation matérialiste et spécialisée d’aujourd’hui ?
Rien du tout, ce qu’on veut c’est que chacun se trouve une job et paie des impôts et qu’on maintienne le système matérialiste de consommation qui profite à une classe minoritaire qui tire les ficelles. Ces familles de maîtres sont des empires bâtis sur des générations, des siècles dans les « hautes sphères ». Pas besoin de complot, leur mentalité de dominants suffit…
« leur mentalité de dominants suffit… »
C’est justement ce genre d’explication qui nous met sur de fausses pistes, car ce qui se présente ici comme une cause – leur mentalité – n’est peut-être que le symptôme de processus beaucoup moins conscients et délibérés. C’était le propos de Marx de sortir l’analyse des mouvements du capital de cette lecture morale, psychologique, religieuse, etc. qui selon lui faisait écran sur les causes réelles de ce qu’il mettait à jour. La plupart du temps, le Marx qu’on connaît, c’est celui des marxiens, humanistes chrétiens et autres utopistes tout disposés à pleurer avec lui sur les malheurs de la classe ouvrière, mais si pressés d’y apporter remède qu’ils s’obstinent à en gratter les purulences avec une application telle qu’on pourrait se demander s’ils ne tirent pas quelquefois un plaisir particulier à les voir paraître.
L’autre difficulté, – et qui confirme pour moi la justesse de l’approche matérialiste de Marx – c’est que le capital, justement, s’incarne de moins en moins dans de telles figures : les « grandes familles » dont vous parlez sont de plus en plus faites d’intérêts financiers qui s’agglutinent dans les fonds de retraite, les assurances, la propriété foncière petite moyenne ou grande. Je ne vous servirai pas cette ânerie que nous serions tous des capitalistes parce que nous avons à cœur que toute cette circulation de capitaux ait le meilleur rendement possible, mais convenons ensemble que les préoccupations que nous avons à cet égard ne prennent pas tellement en compte les finalités du système d’éducation, du travail, mais des préoccupations plus triviales. Cela ne vaut pas que pour les cotisants au RREGOP, dont je suis, mais aussi pour ceux qui s’inquiètent du coût de leurs emprunts, de leur loyer ou de l’électricité. On n’est sans doute pas plus pauvre et dominé par mentalité qu’on n’est dominant par mentalité. Cela dit il est vrai que chacun a en général l’idéologie qui correspond à sa position de classe. Il est vrai aussi que l’éducation peut aider à sortir les gens d’une conscience immédiate et a-critique de leur position de classe. De là l’importance de leur fournir les meilleurs outils pour le faire.
Mais le moteur du changement, selon moi, n’est ni dans la volonté, ni dans le savoir des individus, mais dans la très complexe synergie qui se constitue à même les forces sociales en présence, complexité dont nous ne devons pas nous laisser consoler par des simplifications aussi séduisantes que stériles et dont la compréhension est nécessaire pour faire de nos souhaits de réels projets.
Je ne suis pas de ceux qui croient que dans une vision où le matérialisme et le libéralisme sont maîtres, il peut y avoir synergie; cela est bel et bien une utopie !!!
Chacun fait le bien tel qu’il le comprend disait Wilde il me semble…je n’ai pas dit que tout cela était conscient…
Alors selon vous, il est mal avisé de « pleurer’ sur le sort de la classe ouvrière ?
Et vous voyez réellement une différence entre les familles empires où quelques individus menaient tout et les familles financières et intérêts corporatifs d’aujourd’hui ?
Il faudrait me l’expliquer…
1. Quand je parle de matérialisme, ce n’est pas dans une perspective morale, mais ontologique, si on peut dire. La prévalence des facteurs matériels dans les processus sociaux.
2. Ce que je déplore, ce n’est évidemment pas la commisération qu’on doit avoir pour la classe ouvrière, mais le sentimentalisme.
3. Justement, je ne fais pas de différences entre ces diverses familles. C’est pourquoi je dis, comme Marx, que ce n’est pas la figure morale du capitaliste qui est en cause, mais le mode de production dont la détention des moyens de production est une des composantes.
Probablement nous comprenons nous davantage que nous le pensons toutefois pourriez-vous m’expliquer la différence pour vous au niveau du matérialisme moral vs ontologique ?
Car à mon sens que ce soit dans la perspective morale ou ontologique c’est bien de l’impact du matérialisme sur les processus sociaux dont nous voulons parler…
Où se situe donc pour vous la frontière entre le sentimentalisme est une réelle inquiétude et un découragement face aux luttes de classes et tous les problèmes sociaux y étant associés ?
Concernant votre troisième point vous touchez là un élément capital; effectivement dans l’histoire non seulement les capitaux sont contrôlés par une minorité mais également les moyens de production ainsi que les ressources, autant naturelles qu’humaines, une minorité ont accès au savoir dans son ensemble alors que la majorité sont relégués à des connaissances techniques limitées tout juste assez pour pouvoir effectuer leur travail de production et participer à la consommation…
Nous sommes plus que jamais auparavant dans une société de l’information… qui contrôle les capitaux, les moyens de production, les ressources et l’information contrôle tout…et curieusement ce sont tous la même petite gamique …
« Probablement nous comprenons nous davantage que nous le pensons »
à lire la suite de votre post, c’est aussi mon sentiment. Je m’en réjouis.
Le matérialisme ontologique postule que tous les êtres ont leur cause, leur principe dans la matière, cette dernière désignant toute réalité accessible à nos sens et par là susceptible de mesure. (Je ne le dis pas comme si vous l’ignoriez, bien sûr, mais histoire de poser entre nous les termes de l’échange et sous bénéfice de perfectionnement de votre part). Pour les matérialistes, ce qu’on appelle l’esprit ou la pensée n’a pas de réalité substantielle en dehors du cerveau, du système nerveux… Plus spécialement, le matérialisme de Marx postule que le sens de l’histoire n’est pas à chercher tant dans la conscience des hommes mais dans les processus matériels (économiques) dont ils sont une manifestation, une modalité. Tout comme la pensée n’est pas au fondement de l’activité du cerveau, la conscience n’est pas non plus au fondement des processus historiques qu’elle essaie d’appréhender. Une autre précision, capitale: contrairement au matérialisme mécaniste d’un La Mettrie ou d’Hollbach, le matérialisme de Marx est dialectique. Cela veut dire que pour lui, il n’y a pas un lien de causalité mécanique univoque entre les facteurs économiques (infrastructure) et les institutions politiques, juridiques, idéologiques…(superstructure). Deux concepts sont ici utiles, que Engels expliquait bien quelque part. Dans tout mouvement historique, par exemple le passage d’un mode de production à l’autre, le facteur « déterminant » est toujours économique, mais il se peut fort bien que des facteurs plus… spirituels jouent un rôle « dominant ». Ce couple conceptuel est fort utile pour comprendre le Québec d’avant la révolution tranquille, par exemple, où on voit une bourgeoise anglo-canadienne assurer sa position avec le concours de l’Église catholique.Il permet aussi de sortir de la querelle des déterministes pour qui la fin de l’histoire était tellement inéluctablement inscrite dans l’évolution du capitalisme vers son éclatement qu’on en finissait par refuser toute action politique susceptible d’accélérer le processus… de même qu’il permet de ne pas surestimer l’efficience révolutionnaire réelle d’initiatives dont la générosité et le courage ne garantissent pas contre l’aveuglement suicidaire.
Quant au matérialisme moral, c’est plutôt une attitude qui place la vie matérielle tout en haut de la hiérarchie des valeurs. Pour faire court, je crois qu’on peut dire que si Marx a une lecture matérialiste de la réalité, il n’est pas du tout matérialiste au plan moral, lui pour qui la satisfaction des besoins matériels constitue -oui- le fondement de toute existence humaine digne de ce nom, mais précisément dans la mesure où cette activité libère aussi le potentiel spirituel (pour le nommer ainsi sans référence au religieux) des individus et leur permet de tisser entre eux des liens autres que de subsistance.
Quant à leur impact respectif, je dirais que celui du parti-pris matérialiste de Marx se mesure à titre de clé pour la compréhension de ce qui se passe et la détermination de ce qu’il faudrait pour changer le cours des choses. Pour ce qui est du matérialisme moral, je dirais qu’il sert de lubrifiant idéologique pour faire tourner le circuit de la production et de la consommation. La vie matérielle est une source de souci constant, le matérialisme moral présente la consommation comme le remède ultime, nous enfermant dans une condition aliénée.
La frontière n’est pas entre le sentimentalisme et l’inquiétude, puisqu’ils indiquent chacun une façon de voir, mais entre ces façons de voir qui reposent essentiellement sur le sentiment et celles qui procèdent d’une analyse objective de la situation. Il y a sans doute un équilibre à trouver entre une révolte tellement immédiate qu’elle confine à l’aveuglement et une approche tellement théoricienne qu’elle ne se meut plus que dans un espace purement formel et désincarné. C’est d’ailleurs cette capacité de concilier la réflexion rigoureuse et l’action engagée qui rend des gars comme Normand si précieux! Qu’en dites-vous?
Quant à votre dernière remarque, il faut nuancer. Baillargeon « sévit » chaque semaine sans coup férir dans la très contrôlée SRC. Ce midi, un gars de CCPA a expliqué en long et en large comment le 1% a continué de s’enrichir alors que les revenus des classes inférieures ont stagné. Autre exemple: MATV a une très belle programmation, avec Jean Barbe au littéraire et une autre émission où notre Baillargeon a pu longuement présenter son dernier ouvrage.Je ne le dis pas pour vous contredire, mais parce que je pense que ces sur-simplifications prêtent le flanc au x étiuetages d’idéologues dogmatiques, ce que vous n’êtes manifestement pas.
Au plaisir
« « Probablement nous comprenons nous davantage que nous le pensons »
« à lire la suite de votre post, c’est aussi mon sentiment. Je m’en réjouis. » »
Bien, tant mieux !
Visiblement, vous êtes plus ferré que moi au niveau des références conceptuelles et intellectuelles précises. Alors vous pouvez référer, j’en ignore plus que j’en sais…
Il est vrai que j’ai tendance à simplifier mes interventions; ce n’est pas à défaut de savoir les fonder et les expliquer toutefois.
Je m’en tiendrai au fait, quant au matérialisme, qu’il englobe tous ceux qui adhèrent au système de pensée selon lequel il n’y a rien en dehors de la matière; la matière explique tout et la matière est tout.
Nous pouvons et pourrions bien sûr aller beaucoup plus loin intellectuellement parlant mais est-ce nécessaire ? Vrai, comme vous dites, qu’il faut parfois jeter les bases et définir si l’on veut simplifier la communication.
Un peu plus tôt je faisais allusion à Damasio, l’un de ces neuro chercheurs qui tentent de trouver la racine des processus biologiques, chimiques et matériels qui pourraient expliquer l’émergence de : je sais que j’existe, qui suis-je ? Sans succès à venir jusqu’à maintenant…très intéressant à suivre.
Mais revenons, ce dont il est question en rapport à notre situation globale à savoir le matérialisme est-il viable ? Le matérialisme peut-il nous mener à une forme d’autonomie et d’harmonie ?
Le premier problème qui se pose lorsqu’il s’agit de savoir où l’autre se situe, c’est que si vous n’êtes pas matérialiste et généralement athée, (du moins plusieurs de définissent ainsi) on vous catégorise alors comme croyant et vice versa…
On en est pas à une polarisation près il faut dire…
Vous me disiez connaître Joël de Rosnay, vous connaissez Laborit ?
J’ai lu un moment donné un homme sur un groupe linkedin qui expliquait cela à sa façon, il tenait un blogue que j’étais allé lire et je me disais c’est Laborit tout craché, encore une fois ! Le type a eu une carrière haut gradé de l’armée américaine et formation psycho et tout le tralala militaire, retraité, il écrit et résumait ainsi; « in the end, it’s feed, breed or die off ».
Ou la loi du talion…
Mais…il n’avait aucune idée qui est Laborit…
Quand les prémisses du libéralisme économique, il est dit qu’en privilégiant les intérêts individuels, les intérêts collectifs en bénéficieraient alors automatiquement. Il me semble que l’histoire a clairement démontré toute la fausseté de cet énoncé.
Et l’on ne fera pas allusion à la main visible…
Cela dit est-ce que je crois qu’il est possible de fonder un monde sur les bases d’une vision matérialiste ?
Probablement, je pense qu’il peut exister un mode d’organisation sociale qui puisse inclure une redistribution des pouvoirs et des richesses de telle sorte qu’on vive dans un monde plus juste, plus équitable et surtout qui prenne davantage acte de ce que l’homme veut pour sa vie. Les théories du développement de la personnalité existent, les travaux, recherches, réalisations, sont là pour montrer les possibles…ça n’arrive pourtant pas !
« Quant à leur impact respectif, je dirais que celui du parti-pris matérialiste de Marx se mesure à titre de clé pour la compréhension de ce qui se passe et la détermination de ce qu’il faudrait pour changer le cours des choses. Pour ce qui est du matérialisme moral, je dirais qu’il sert de lubrifiant idéologique pour faire tourner le circuit de la production et de la consommation. La vie matérielle est une source de souci constant, le matérialisme moral présente la consommation comme le remède ultime, nous enfermant dans une condition aliénée. »
Là vous allez droit au but !
D’où l’importance de l’éducation pour tous et toutes; pas seulement technique et ou intellectuelle mais couvrant l’ensemble des domaines de la vie. Appelons cela formation citoyenne, culture générale, universités populaires peu importe. Et d’où l’importance de sortir ceux qui savent d’où ils sont et les écouter un peu…
Appelons cela pragmatisme !
« Il y a sans doute un équilibre à trouver entre une révolte tellement immédiate qu’elle confine à l’aveuglement et une approche tellement théoricienne qu’elle ne se meut plus que dans un espace purement formel et désincarné. C’est d’ailleurs cette capacité de concilier la réflexion rigoureuse et l’action engagée qui rend des gars comme Normand si précieux! Qu’en dites-vous? »
AI-je besoin de répondre ? Je crois oui qu’il faut apprécier le travail des gars comme Normand.
Si j’examine ma dernière sur-simplification concernant « ceux » qui contrôlent l’information…
Sauriez-vous me dire combien de personnes par jour ou par semaine sont au contact des médias tels quebecor péladeau ou la presse desmarais ?
Et pour le devoir ?
Moi je vous dirais rapidement sans vérifier minimum environ 1 million de personnes par jour pour les deux empires et 30 000 de tirage pour le devoir.
On peut s’amuser à faire des comparatifs avec différents médias ou différentes publications…
Je suis de ma génération, alors j’utilise beaucoup internet. Vous regardez les nombres de vus en ligne, sur des documentaires, trucs de sciences, cours, conférences, tout ce qui est intellectuel…un plus de 1000 vus, c’est un exploit déjà…
Et pourtant, on voit des vidéos vus par des centaines de millions de personnes à profusion…
Vous avez raison je l’admets, il faut souligner ces initiatives que vous nommées…elles sont louables et un pas dans la bonne direction.
Est-ce que les universités actuelles seront d’un secours afin de nous sortir de la situation qui est la nôtre ? À moins qu’elle ne s’adapte très rapidement et par un changement majeur…pas sûr qu’on est bien partis.
Environnement ? Hum Hum…
Problèmes sociaux ? …
Inégalités, injustices ?
Bon, on va aller faire quelque chose de positif !
Sur ce, à une prochaine fois !
Comme je suis particulièrement content du tour qu’a pris cet échange, je voudrais revenir juste un peu sur cette affaire de simplifications. Ce n’est pas un reproche que je vous fais: je pourrais me le servir à moi-même. L’enjeu n’est pas du tout là. Je pense que nous, les intellectuels, nous devons nous livrer à notre pratique avec le même soin, la même rigueur que le médecin et le cordonnier. Moi, c’était philosophe (ça le restera sans doute jusqu’à ce que mon esprit se délite comme celui de pepère Languirand). Ça me porte à fendre les cheveux en quatre, à prendre le contre-pied des idées qu’on me présente, un peu comme on testerait la résistance d’un matériau…, un peu comme le fatigant de Socrate, avec infiniment moins de sagacité que lui, hélas. Une chance qu’il y en a pas juste des comme ça, des intellectuels, ni tant que ça, des intellectuels, à tout prendre!
C’est l’autre idée qui m’est venue à vous lire, ce matin. Si l’avancement des connaissances est nécessaire au progrès de l’humanité, je ne crois pas qu’il y ait un tel bénéfice à ce que la maîtrise en soit si largement acquise par tout le monde. Il n’est ni nécessaire ni possible que tout le monde soit médecin, ou cordonnier. La pratique théorique est un métier comme un autre. Je trouve que nous avons souvent une conception trop intellectualiste de la culture… qui nous entraîne parfois à avoir une conception assez populiste de la vie intellectuelle, paradoxalement.
Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas susceptible outre mesure. Notez bien que ce soit une bonne chose que de clarifier. Évidemment que lorsque nous discutons, nous avons tendance à simplifier…
Nous sommes d’accord, nous ne ferons pas de tous et toutes des philosophes et des intellectuels toutefois entre cela et l’éducation actuelle, il y a certainement un meilleur équilibre possible.
Voilà pourquoi je mentionnais, que nous devrions écouter davantage ceux qui savent, pas nécessairement qu’il y en aura beaucoup plus, bien que cela soit souhaitable à mon sens, je reviens ici à la question d’une culture générale appropriée.
Nous avons une conception trop intellectualiste de bien des choses dans nos sociétés…manque de pragmatisme…
Ne serait-ce que notre économie, un système créé par l’homme de toutes pièces et qu’on laisse nous mener à notre perte.
Juste un mot pour dire que je trouve qu’il se tient ici de beaux, enrichissants et respectueux échanges que je suis très heureux de lire.