Prise de tête

Violence

Le mot qui n’a pas été prononcé est comme un capital: on peut l’investir ou le dilapider.

 Mark Twain

 

Je dois le dire: j’ai pour l’essentiel été très déçu des réactions au passage de M. Bernard Gauthier, alias Rambo, à la commission Charbonneau.

Un problème politique de fond – et sans doute le plus important – que les propos et les agissements de M. Gauthier soulèvent, et qui devrait nous inciter à collectivement débattre, est celui de la violence: sa nature, sa possible légitimité, ainsi que la question de savoir à qui, le cas échéant, incombe la responsabilité de sa commission.

Dès que vous soulevez ce problème, vous êtes amenés à discuter de choses dont on ne parle le plus souvent jamais, sinon pour les écarter, mais qui sont au cœur du plus douloureux de notre vie collective – ceci expliquant sans doute en partie cela. 

Voici quelques exemples de ces questions volontiers occultées.

Pour commencer: qu’est-ce exactement que la violence? Le brasse-camarade de Rambo et compagnie est de la violence, sans doute. Mais quoi d’autre, aussi? De nombreux exemples vous viennent sans doute en tête, mais considérez ces milliers d’enfants mourant chaque jour et que nous pourrions aisément sauver par des vaccins ne coûtant à peu près rien. Pensez à ce qui y fait obstacle. Est-ce de la violence? Qui en est responsable?

Si on accorde, comme je pense qu’on le devrait, qu’il existe de la violence institutionnelle, y a-t-il une responsabilité collective pour toute celle, immense, que notre système économico-politique engendre quotidiennement à l’échelle planétaire? Quelle est alors cette responsabilité, et qu’est-ce qui s’ensuit, le cas échéant, du fait que nous sommes tous peu ou prou coupables – pourquoi? Comment le déterminer?

Dans quelle mesure notre système économico-politique est-il juste? Que penser, disons, de la quasi-stagnation des salaires depuis des décennies? De l’accroissement fulgurant des inégalités? Des ententes économiques négociées plus ou moins en secret entre États et mégacompagnies qui les rendent possibles? Est-ce là de la violence?

La loi est-elle globalement juste ou existe-t-il des cas manifestes où sa transgression est un devoir de justice? Et surtout: y a-t-il des occasions où il est justifié d’user de violence?

Tout le monde, sauf quelques pacifistes remarquables, répond oui à cette dernière question, à tout le moins dans les cas de légitime défense. Quand les conditions de la légitime défense sont-elles réunies, alors? Y a-t-il d’autres conditions qui rendent la violence légitime?

Pour finir: comment tout cela se traduit-il en ce moment, sur la Côte-Nord du Québec? Qu’est-ce qui constitue de la violence dans ce coin de pays? Comment se partagent les responsabilités? Recourir à la violence (laquelle?) peut-il être légitime? Quand, alors?

Je le précise, pour que ce soit clair: ces questions sont incontournables, mais elles sont aussi difficiles et on pourra avoir sur elles des avis divergents. Pour savoir jusqu’où c’est le cas, il faudra donc en débattre lucidement et donner les raisons justifiant son point de vue.

Je pense que le silence entretenu sur ces questions n’est qu’un symptôme de plus de la profonde confusion dans laquelle nous nageons en ce moment. Il faut aussi dire, hélas, que cette confusion est alimentée par un discours médiatique à peu près unanime à détourner l’attention du public vers des questions anodines et insignifiantes ou à tordre le cou à la réalité et à l’histoire pour l’adapter aux intérêts dominants du moment.

C’est ainsi, et je ne nommerai personne, qu’on a longuement discuté du passage de Rambo à la commission Charbonneau en évoquant son habillement, ses mauvaises manières, son langage, sa coupe de cheveux et son machisme d’un autre âge. Montrez du doigt la lune à un imbécile et il regardera le doigt…

C’est encore ainsi, et je ne nommerai cette fois encore personne, qu’on a assuré que M. Gauthier n’avait absolument rien à voir avec cette icône du syndicalisme au Québec, Michel Chartrand.

Toutefois, si on s’intéresse à la question de fond – la violence et sa possible légitimité –, on découvrira que Michel Chartrand, à l’émission Point de mire, en août 1970, refusait de condamner des poseurs de bombe et déclarait ceci qui me semble commenter pas mal mieux que n’importe qui les propos et les gestes de M. Gauthier: «Jamais on ne me fera cracher sur les gars qui posent des bombes. Ils ont le droit de ne pas être contents, ces gens-là. Le système capitaliste est fondé sur la violence et il engendre nécessairement la violence. À l’heure actuelle, le gouvernement crée plus de violence contre les chômeurs, contre les assistés sociaux, contre les gens qui vivent dans des taudis, contre la jeunesse, que tous les gars qui posent des bombes peuvent en faire contre la propriété de la bourgeoisie. Voler une élection au moyen de l’argent et du terrorisme économique, c’est bien plus hypocrite et antidémocratique que la dynamite. J’admets qu’il y ait des gars écœurés qui sont prêts à prendre des moyens autres que "démocratiques", parce que la démocratie parlementaire n’existe plus au Québec.»