Nous sommes empoisonnés de religion. […] Il faut prêcher sur la vie, non sur la mort; répandre l’espoir, non la crainte; et cultiver en commun la joie, vrai trésor humain. C’est le secret des grands sages, et ce sera la lumière de demain.
— Alain
Ça ne rate jamais. À Pâques, comme à toutes les fêtes catholiques, on trouve des intellectuels pour nous rappeler un fait supposé très important: bien que nous ne soyons plus beaucoup croyants, nous sommes tous et toutes imprégnés des valeurs du christianisme, et cet héritage est une composante ô combien positive de notre civilisation.
Mathieu Bock-Côté, un chroniqueur que je respecte, s’est donc prêté à cet exercice obligé la semaine dernière, dans un texte justement intitulé Génie du christianisme.
Plusieurs de ses arguments déployés m’ont fait bondir. Je m’en tiendrai à un: le christianisme, contre le nazisme, a rappelé la dignité de l’homme, et ceux qui combattirent Hitler le firent souvent au nom de la civilisation chrétienne.
Je ne doute pas que ce fut vrai pour de très nombreux fidèles. Mais le fait est aussi que catholiques (à commencer par le Saint-Siège) et protestants ont joué un rôle non négligeable dans la montée du nazisme, notamment par cet antisémitisme qui est une constante historique du christianisme. Ils l’ont ensuite appuyé, de diverses manières et pas seulement par leur terrible silence, comme ils ont aussi appuyé les régimes fascistes qui se déployaient à la même époque. Et ce n’est pas fini, puisqu’après la guerre, le clergé catholique contribuera à l’évasion (vers l’Amérique latine en particulier) de centaines de criminels de guerre nazis et de fascistes à travers l’infâme Ratline, réseau de caches sûres, et à l’aide de personnes complices.
Bref, cette idée que le catholicisme a combattu le nazisme en rappelant la dignité de l’homme n’est tenable qu’à condition de masquer une part extraordinairement importante de l’histoire, au point de la dénaturer complètement. En fait, cette occultation de l’histoire sur les passages les plus sombres de son passé et l’entretien de l’ignorance de ses véritables doctrines chez la majorité des gens sont sans doute, à mon sens, deux des plus remarquables aspects du génie du christianisme qui n’a, côté obscurantisme, rien à envier aux autres religions. (Je me suis d’ailleurs souvent amusé à demander à des croyants autoproclamés de me rappeler ce qu’est au juste l’Immaculée Conception…)
Ce qui me ramène à cette idée que nous serions tous, pour le mieux, imprégnés de christianisme.
Si on s’efforce de regarder plus loin que des banalités comme les gentilés, les monuments ou le calendrier, en quoi consiste cet héritage? Et est-il réellement positif, voire génial?
Vaste question à laquelle j’ai consacré plusieurs pages de livres et qui m’interpelle depuis que je suis devenu athée – j’avais 14 ou 15 ans.
En deux mots, je pense que pour y répondre, il faut se demander ce qu’est une religion – la catholique ou une autre.
Trois aspects me semblent proéminents.
On trouve d’abord, dans une religion, un ensemble de croyances, dont beaucoup sont empiriquement décidables, tandis que d’autres ne le sont pas et sont notamment normatives. Ces croyances sont typiquement interprétées par des personnes autorisées. Je pense qu’elles sont largement fausses, peu crédibles, peu originales ou encore peu intéressantes. Elles sont en plus d’autant terrifiantes que même si elles ne reposent pas sur de bonnes raisons, on y adhère parfois de manière fanatique et inconditionnelle.
On trouve ensuite dans une religion des institutions qui ont joué et jouent un rôle historique souvent majeur. Leur apport à la civilisation est cette fois plus nuancé, mais je le tiens en bout de piste pour largement négatif: le progrès passe le plus souvent par la rupture avec ces institutions et les croyances qu’elles promeuvent.
On trouve enfin dans une religion un ethos particulier qui caractérise un rapport aux autres, au monde et à la vie. Il est fait de révérence et de ce qu’on a pu appeler le sentiment océanique de la vie. Cela peut être extrêmement positif et important, mais je soutiens que c’est à la portée des non-croyants, qui peuvent l’acquérir sans les autres composantes de la religion. Je soutiens aussi que le fait d’adhérer inconditionnellement à des idées fausses ou douteuses ne bonifie aucunement ce dernier aspect de la religion.
Avec ces critères, je dirais, si je devais me résumer en une formule, que notre héritage religieux catholique comprend beaucoup de choses vraies et qui appartiennent en propre à cette religion. Malheureusement, celles qui sont vraies ne lui appartiennent pas en propre et celles qui lui appartiennent en propre ne sont pas vraies.
Voilà pour l’héritage.
S’il y a des raisons de se désoler en se tournant vers le passé, il y en a toutefois de se réjouir en se tournant vers l’avenir.
Car le fait est que l’athéisme est en nette progression presque partout dans le monde et en particulier dans les démocraties libérales. On a même pu sérieusement estimer que si on classe selon leur nombre d’adhérents les grands systèmes de croyances, l’athéisme et l’incroyance arrivent en quatrième position, après le christianisme (2 milliards), l’islam (1,2 milliard) et l’hindouisme (900 millions). De plus, athéisme et incroyance sont fortement corrélés avec le degré d’éducation des individus, avec des indices d’égalité entre les sexes, avec le degré de sécurité des sociétés, et avec de faibles taux de criminalité, d’homicide, de divorce, de pauvreté et de mortalité infantile.
J’allais oublier: non, l’Immaculée Conception, ce n’est pas Marie qui a donné naissance tout en étant vierge. Vérifiez…
Tout à fait d’accord avec vous M.Baillargeon. Je partage votre athéisme. Cependant, la prédominance de la religion catholique a été remplacé par un État omniscient au Québec.Beaucoup d’intellectuels de gauche comme vous sont devenus en quelque sorte des clercs laïcs donnant parfois des leçons à cette pauvre plèbe mal éduquée. Il reste quand même un vieux fond judéo-chrétien particulièrement auprès de la première cohorte de diplômés de la Faculté des Sciences sociales de l’université Laval. Il faut peut-être rappeler l’héritage légué par son fondateur, le père Georges-Henri Lévesque. Remarquez à votre corps défendant que la gauche au Québec n’a pas le monopole en ce qui concerne la rectitude politique. Pensez par exemple à Lucien Bouchard qui nous avait prescrit de travailler plus fort. Enfin, l’athéisme de plusieurs de nos congénères à adhérer à des croyances tout autant pernicieuses comme la pensée positive, la programmation neuro-linguistique, le socialisme, l’écologiste sans compter les cours de croissance personnelle. Une constante demeure cependant : la quête de sens afin de combler un vide existentiel face à cette mort inexorable.
Puisque je ne l’ai pas vu mentionné, «Le Génie du christianisme» est un ouvrage paru en 1802 de François René de Chateaubriand (1768-1848). Une vaste apologie de la religion.
Et comme il est question de christianisme ici, voici une succulente citation de la part d’un autre écrivain français, soit Charles Augustin Sainte-Beuve (1804-1869):
«La nature veut qu’on jouisse de la vie le plus possible et qu’on meure sans y penser. Le christianisme a retourné cela.»
La «morale», Monsieur Mercure, a fort peu à voir avec tout ça.
Car la «morale», la véritable, à mon avis, dépend de la personne.
Mais nous pourrions bien sûr philosopher là-dessus longuement…
Vous êtes, Monsieur Mercure, à ce que je constate, un des rares intervenants de qualité sur ce site.
Et vous pouvez me reprendre et me rediriger dans la meilleure voie aussi souvent que cela pourrait s’avérer nécessaire, selon vous.
(Pas que je serai nécessairement d’accord, selon le cas…)
Ce qu’il a de bon dans les religions n’est pas exclusivement religieux, car c’est ce qui est bon ne dépasse pas les limites de la saine raison.
Cela dit, je ne comprends pas qu’on puisse respecter un chroniqueur (Bock-Côté) qui déforme autant la réalité.
François, pourriez-vous corriger l’apparente coquille que comporte cette formulation : «car c’est ce qui est bon ne dépasse pas les limites de la saine raison», que je voudrais être sûr de bien comprendre avant de la commenter éventuellement. Merci!
Vous dites respecté M. Bock-Côté. J’aimerais que vous m’expliquiez ce que vous trouvez de respectable chez cet individu. Je lis une ou deux fois par semaine ses chroniques et je n’ai encore rien trouvé de respectable. La seule qualité que je lui trouve c’est que de rares fois il est moins pire que son collègue Martineau.
Toute religion est bonne pour une époque et une région donnée . Joseph Campbell
Je nuancerais quand même un peu. Le christianisme a fait tout de même fait disparaître ce qui semblait la base même de l’économie et de la société pendant toute l’Antiquité: L’esclavage.
Esclavage qui est revenu à partir de la Renaissance, lorsqu’on est revenu aux « bonnes vieilles valeurs païennes » des Grecs et des Romains de l’Antiquité.
A l’origine, le christianisme (comme nombre de religions à leur naissance) était libérateur et progressiste. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il a d’abord percé chez les femmes et les esclaves.
Cela dit, le christianisme des origines n’était pas sans défaut. Et est surtout très loin du christianisme institutionnel qui n’a pas tardé à souffrir du syndrome de Constantin (la proximité malsaine avec le pouvoir).
Le christianisme, comme nombre de courants idéologiques, a pu conduire aux pires atrocités comme aux plus grands élans spirituels. A ce niveau, il ne me semble ni meilleur, ni pire, que nombre d’autres croyances. Incluant l’athéisme.
Lequel peut aussi conduire à une grande libération (la vision de l’athéisme de Normand Baillargeon par exemple), comme aux pires horreurs.
Je n’oublie pas que Hitler, Staline, Mao, Pol Pot par exemple étaient des athées militants. Et responsables des pires massacres de l’histoire.
La lutte à la religion a aussi ses pages noires pendant la Révolution Française.
A ce niveau, je ne voit pas la montée de l’athéisme comme un phénomène dont il faut se réjouir. Pas plus que je ne le déplore, à priori.
L’ennemi, selon moi, n’est pas tel ou tel système de croyance, que celui-ci soit le catholicisme, l’orthodoxie, le judaïsme, le sunnisme, une des versions du bouddhisme ou l’athéisme. C’est l’intolérance !
Quant à moi, on peut croire à ce qu’on veut, l’important c’est ce qu’on en fait. Si une croyance nous permet de devenir meilleur et de faire du bien, tant mieux et que m’importe si cette croyance me semble ridicule. Si elle conduit à persécuter les autres ou à s’auto-justifier, là j’ai un problème.
Staline, Mao, Pol Pot et dans une certaine mesure Hitler, prônait le culte de la personnalité, ce qui est plutôt une prati
Staline, Mao, Pol Pot et dans une certaine mesure Hitler, prônait le culte de la personnalité, ce qui ce rapproche des pratiques païennes. Il n’y a rien d’athée chez ces dictateurs.
Pour le reste, M. Baillargeon a bien résumé ce que j’en pense….
Monsieur Baillargeon,
Je crois que vous mélangez, christianisme, Église (l’institution) et que vous sous-estimez l’héritage de ces Chrétiens et co. dans la colonisation par exemple de la Nouvelle-France. Connaissez-vous toutes ces institutions qui ont été d’abord été créé par ces religieux ? Le Québec tricoté-serré est sorti du monopole de l’Église qui réglementait nos vies et c’est une bonne chose mais on ne peut pas réduire l’héritage à quelques noms de rues et statues. Nos écoles, nos hôpitaux, nos organismes à but non lucratif proviennent de cette Église. L’État providence provient de cette même institution ! Oui, elle est fautive mais malheureusement, elle n’est pas que fautive alors on ne doit pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Reconnaitre ça ne fait de personne un croyant, soyez rassuré.
M. Lagassé: Je réponds, pressé, de mémoire, avec le risque de me tromper: Hitler a eu des tas d’idées religieuses, mais a été chrétien puis a cru à des tas de trucs étranges, mais n’était pas athée. Staline a été séminariste. L’esclavage, aux États-Unis a largement été encouragé et nourri de religion. Frederick Douglass, le célèbre esclave devenu orateur abolitionniste dont j’ai traduit une autobiographie, a écrit que s,Il devait retourner dans l’enfer esclavagiste, il souhaitait ne pas avoir un maître croyant et dévot: ce sont les pires, disait-il.
Hitler ne croyait pas en Dieu… mais il était profondément religieux: la Nation, le sang, le destin, le tout mêlé d’une foi forte et héroïque. Pour Staline, Mao et Pol-Pot, on pourrait faire le même constat, seulement les textes sacrés changent, un petit livre rouge ici, un manifeste là. Partout des grandes messes et des dogmes.
Jésus n’a jamais parlé d’esclavage (pas plus que Platon, d’ailleurs). C’est complètement faux que le christianisme a fait disparaître l’esclavage. Tout le moyen âge est rempli d’esclaves (des ennemis vaincus) à Byzance (chrétien) comme en Europe (chrétienne). Les serfs vont les remplacer tranquillement, ça revenait au même, mais c’était plus pratique dans une période où on ne se déplaçait pas beaucoup.
On ne peut pas dire que la traite des esclaves est une œuvre de la Renaissance: c’est plutôt le contexte historique le responsable (vous vous souvenez, on venait de découvrir un nouveau monde et on avait besoin de main d’œuvre car on avait massacré les indigènes).
Relisez Freud (Avenir d’une illusion), tout y est: la religion soulage mais reste une illusion (lorsque quelqu’un écoute des voix ou parle à des êtres invisibles, on appelle ça une psychose). Et l’athéisme ne soulage rien, ne panse rien, ne promet rien: il nous renvoie à nos responsabilités. C’est plus facile d’être croyant.
Dans son livre Les racines de la conscience, C.G. Jung définit le christianisme comme un savant amalgame des différents courants idéologiques, religieux et « scientifique » (alchimie) de l’époque, adjoint à des rituels tribaux qui remontent à la nuit des temps. Si le rituel chrétien a perduré pendant près de deux milles ans, mentionne Jung, c’est qu’il réussissait admirablement bien à soulager pour la plupart d’entre nous les angoisses et tensions psychiques existentielles. Et tout compte fait, ne vaut-il pas mieux voir les angoissés et psychopathes en lutte au prie-dieu plutôt que dans les arènes du pouvoir ou de la défense nationale. Mais visiblement, l’un n’empêche pas toujours l’autre.
M. Baillargeon, j’ai eu exactement la même réaction que vous en entendant Mathieu Bock-Côté. Pour ma part, la religion comporte autant de gens intéressés que n’importe lequel groupe d’intérêts. M. Bock-Côté fait preuve d’éloquence occulte; sa dialectique donne l’impression qu’il défend quelque chose et son contraire, tout en restant conservateur. Ça lasse rapidement.
L’homme est un être à la fois physique, intellectuel, moral et spirituel. Le pouvoir a su instrumentaliser le corps, tordre le sens des idées et jouer avec la morale sans pour autant que nous rejetions ces parties essentielles de nous-même. Alors j’aimerais savoir pourquoi, lorsque ces mêmes pouvoirs instrumentalisent le spirituel, le religieux et le sacré, devrait-on par le fait même nous amputer de cette dimension pourtant essentielle?
Certes, le catholicisme pige certaines de ses idées dans le christianisme, mais il en dénature l’essence profonde. Le clergé a valorisé le ‘paraître’ au détriment de l »être’. Le monde serait fort différent si les gens s’appliquaient simplement à mettre en application les préceptes du sermon sur la montagne (Matthieu 5-7). Au delà de nos actions, ce sont nos motivations profondes, moteur de l’action, qui y sont affinées.
« L’Immaculée Conception, ce n’est pas Marie qui a donné naissance tout en étant vierge. Vérifiez… »
J’ai vérifié… Et alors, on doit parler l’Annonciation?
L’Immaculée Conception, c’est Marie née sans le péché originel — et non la naissance (ou conception) virginale.
Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous.
« Je me suis d’ailleurs souvent amusé à demander à des croyants autoproclamés de me rappeler ce qu’est au juste l’Immaculée Conception » (N. Baillargeon)
Il ne s’agit pas là d’une croyance bibliquement étayée; nulle part la bible ne laisse entendre que Marie était parfaite. Le culte de Marie tel que pratiqué dans certaines religions dites chrétiennes est hérité du culte des déesses. La bible présente Marie comme une femme exceptionnelle mais néanmoins soumise à l’imperfection, comme tous les autres humains d’ailleurs (réf. Romains 5:12). Si elle a pu engendrer un fils parfait, c’est parce que l’embryon fut protégé par l’action de l’esprit saint : » De l’esprit saint viendra sur toi, et de la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi aussi ce qui naîtra sera appelé saint, le Fils de Dieu (Luc 1:35). » Sans cette protection, elle n’aurait pu enfanter un fils parfait. D’ailleurs, quelques jours après avoir accouché, comme la loi mosaïque le stipulait, elle eut à offrir un sacrifice pour le péché (réf. Luc Luc 2:22-24; Lévitiques 5:7). D’ailleurs, la venue sur terre d’un homme parfait servait à racheter le péché originel dont vous avez fait mention (Jean 3:16). Je ne vise pas à vous convaincre de quoi que ce soit, mais à rectifier certaines idées reçues quant à ce dogme. Merci.
Bon… il serait peut-être pertinent de creuser un peu plus qu’ici les rapports entre les nazis, les fascistes et le Vatican, qui ne semblent pas à vrai dire si simples que Normand les présente. Ou encore, pour faire bonne mesure, évoquer des contributions positives de l’église catholique. Mais quand la vérité est aussi touffue, chacun pourrait trouver de quoi accréditer ses propres conclusions. Pour mon compte, je ne ferai que reprendre une question restée sans réponse la fois où Normand avait dit que Dieu, s’il existait, haïrait les femmes : c’est une chose de mettre côte à côte la religion et le sexisme alors, le nazisme maintenant, c’en serait une autre de montrer que la religion soit dans sa nature même et pas juste par les circonstance la cause de ces malheurs.
Comme je n’espère pas relancer ce débat, je lance une nouvelle question. Parlant des croyances véhiculées par le catholicisme, Normand juge qu’ :
« elles sont largement fausses, peu crédibles, peu originales ou encore peu intéressantes ».
Apprécions l’élégance de la gradation, qui nous fait passer des critères objectifs aux plus subjectifs sans qu’il soit clair si c’est aux premiers ou au dernier qu’il accorde le plus de poids. Restons-en premier. Ma question.
Comme la religion catholique nous offre une représentation déformée de la réalité, nous devrions faire nôtre le programme de Freud qui réclamait qu’elle soit remplacée par une éducation à la réalité. Dans le même esprit, ne serait-il pas pertinent de remplacer la peinture, même pas spécialement impressionniste ou abstraite, par la photographie, surtout maintenant que le «numérique» permet de représenter la réalité avec un niveau de précision, d’exactitude proprement hallucinant? De même, le roman et la poésie sont-ils peut-être de ces arts mineurs où l’esprit se complaît dangereusement à se faire croire que ce qu’il imagine est ontologiquement supérieur au réel réel?
Évidemment, il y a moyen de repousser ce genre de questions pour lesquelles les réponses, évidentes, ont pour cette raison été rangées par les esprits raisonnables dans quel recoin où s’accumulent les vieux disques et les tourne-disque privés de leurs aiguilles… depuis si longtemps peut-être qu’on ne saurait pas si aisément qu’il semble les mettre à contribution. Alors, mettons ?
Freud était amateur d’art. On lui a d’ailleurs fait largement reproche de s’être livré à un très douteux bricolage où les saines notions de la science positive étaient contaminées par l’introduction de contenus symboliques qui ne nous renseignent que sur les dérives passées de la raison humaine, avant que son usage soit soumis aux exigences de l’objectivité.
Il ne s’est jamais excusé de l’usage heuristique qu’il faisait de l’art, en lequel il ne voyait pas une simple approximation de seconde main de la réalité, mais l’expression la plus riche, quoique la plus obscure, de la réalité humaine. Peut-être a-t-il davantage compris la vocation de l’art que celle de la religion?
En gros, la religion catholique, c’est un art a ne pas confondre avec la réalité!
Richard écrit: « il serait peut-être pertinent de creuser un peu plus qu’ici les rapports entre les nazis, les fascistes et le Vatican, qui ne semblent pas à vrai dire si simples que Normand les présente.»
J’encourage les personnes qui ne connaissent pas la ratline à s’informer ici: http://en.wikipedia.org/wiki/Ratlines_(World_War_II_aftermath)
Sur les rapports entre nazis et église: http://en.wikipedia.org/wiki/Catholic_Church_and_Nazi_Germany
Et à juger ensuite si mon (très bref, bien entendu) résumé de la situation dénature les faits.
Je maintiens ma description des croyances religieuses comme «largement fausses, peu crédibles, peu originales ou encore peu intéressantes ».
Et n’accepte pas, si tant est que je les comprenne, les comparaisons et liens faits avec la photographie, Freud, l’art etc.
Je pense que Richard et moi avons un désaccord profond sur les religions, leur signification, leur place dans l’aventure humaine, etc,. Je pense pour ma part que le monde se porterait mieux si elles n’existaient plus.
Je pense aussi que ça s’en vient.
L’art chez Freud me semble un passage réussi de l’instinct à l’activité créatrice, féconde (non névrosée) ne se limitant pas à l’art; le livre de chevet de Freud était un livre d’archéologie.
Freud doutait de la bonne gestion des instincts (refoulements réussis) sous l’ethos écrasant du surmoi de quelques types que ce soit mais particulièrement celui des religions. Si on use d’un regard anthropologique, il existe bien des comportements de pulsion de mort au lieu d’Eros dans bien des activités humaines, pas juste les religions. Par contre, on peut prendre le temps de scruter pour savoir quelles sont ces activités qui nous rendent plus conscients et éduqués ? Le catholicisme fait-il parti de celles-là ?
Ce qui est agaçant, c’est le retour SI prévisible dans les médias à Pâques ou Noel sur la nostalgie catholique ou chrétienne. Une forme de fixation et de régression infantile dirait Freud. Le désir d’un papa et d’une maman pour nous protéger.
« Une forme de fixation et de régression infantile dirait Freud. Le désir d’un papa et d’une maman pour nous protéger ». Ce que Freud en dirait est très probablement juste au plan psychologique, mais en effet la religion ne joue peut-être ici qu’un rôle occasionnel… sans qu’on puisse pourtant y trouver le fondement de la croyance de tous les croyants, beaucoup s’en faut, encore moins le « génie » ou l’essence du christianisme.
Quant à votre autre question, il est évident depuis longtemps que le catholicisme ne nous rend ni plus conscients ni plus éduqués chaque fois que la réflexion y trouve le faux repos des certitudes dogmatiques, quels que soient les mérites objectifs de telles certitudes… là où la foi n’a pas d’affaire. Si on caractérise la foi comme adhésion à une certitude reçue plutôt que conçue, il resterait à savoir si une telle adhésion relève toujours d’une telle régression. Si c’est le cas, le religieux serait au mieux un précurseur d’une vie consciente et éduquée à dépasser au plus vite vers un état «positif», au pire et assez rapidement un obstacle, même chez des esprits rompus aux distinctions entre savoir et croire, comme le sont bien des personnes savantes qui s’affichent croyantes.
Pour mon compte, sans prétendre comme d’autres (pas ici, bien sûr!) que la dimension religieuse soit intrinsèquement liée à celle d’humanité, même au strict plan anthropologique, il me semble raisonnable de penser qu’elle a contribué à l’édification morale de l’espèce (et de ses membres) et pas seulement, comme il faut aussi en convenir, qu’elle ait été à l’origine de bien des mots qui nous affligent.
Je serais bien incapable de dresser un bilan historique des bons et mauvais coups de l’empreinte catholique dans l’histoire humaine, mais pour ce qui me concerne, bien que je sois aussi mécréant que Normand sous certains rapports, j’aurais tendance à penser que dans ma petite troupe familiale, la religion de notre enfance ne nous a pas rendu si bêtes, après tout ;)
Au plaisir
On s’éloigne… le génie du christianisme a été de réussir à faire accepter l’inacceptable, la résignation, la pauvreté, la misère, les inégalités, en ne proposant qu’un règne dans un autre monde. Faut le faire .
Comme je n’avais pas vu votre commentaire avant de publier le mien, une réflexion: En effet, il faudrait ajouter que la religion fait reculer la conscience chaque fois qu’elle propose des remèdes qui nous éloignent de la solution des problèmes qui sont à notre mesure et requièrent notre engagement, le plus souvent au bénéfice de ceux qui entretiennent la pauvreté, la misère et les inégalités.
Je ne surprendrai personne (à condition d’ailleurs d’être un peu lu!) en disant que cette fonction d’opium du peuple, comme l’appelait le barbu, n’est pas constitutive a priori du religieux mais qu’elle en est une utilisation idéologique… de laquelle les masses peuvent très bien se déprendre sans apostasier bruyamment pour être bien sûres que Dieu ne viendra pas leur chanter d’autres chansons pour les endormir.
Par ailleurs, il me semble que le «génie» du christianisme, c’est d’avoir réconcilié les croyants non avec l’inacceptable, mais avec l’inéluctable: avec la finitude humaine. Vous me permettrez de suggérer que cette réconciliation ne vient pas tant de la croyance superstitieuse en une vie éternelle que du sentiment que ma vie, toute finie qu’elle soit, trouve son sens dans quelque chose de plus grand que ma personne et que mes angoisses devant la mort. Le croyant ne s’estime sauvé ni de la souffrance, ni de la nécessité d’y trouver remède, ni de la mort qui vient quand même, mais de l’absurdité apparente de sa condition. Ce pari, digne, n’est pas le seul possible.
Pour autant que la pensée écologique soit autre chose qu’un simple calcul de la probabilité que notre terre soit détruite, mais un attachement profond qui, partant du cœur de chacun en solidarité avec les autres porte l’espoir d’une humanité plus fraternelle et plus respectueuse de sa réelle patrie… il me semble qu’on pourrait bien souvent entendre là les accents d’un engagement religieux aussi généreusement occupé à corriger l’inacceptable qu’à y guetter la transcendance, comme ces religieuses qui dans les hôpitaux ne se contentaient pas, que non, de réciter des chapelets en regardant les patients mourir à la grâce de Dieu…
@Richard Maltais Desjardins :
« (…)il me semble raisonnable de penser qu’elle a contribué à l’édification morale de l’espèce (et de ses membres) et pas seulement, comme il faut aussi en convenir, qu’elle ait été à l’origine de bien des mots qui nous affligent. ».
i- On parle parfois de stratégie évolutivement stable en ce qui concerne l’édification morale; une imposition de comportements normatifs. « Contribué » m’apparaitrait une super imposition sur quelque chose qui existe déjà, par le fait même. J’ai plutôt tendance à croire que la religion est un phénomène, mais elle ne contribue pas.
ii- L’expression « bien des mots » est délectable.
Votre commentaire est un brin elliptique… aussi, je ne me permettrai pas de risquer une paraphrase que mon manque de connaissances dans ces domaines rendrait aventureuse. J’aimerais beaucoup que vous m’éclairiez. Mais aussi sur les limites de l’extension de l’application de ces notions de biologie à l’économie, qui semble naturelle… et aux interactions éthiques. Sans protester trop vite d’une « émergence » qui en interdirait a priori l’usage à la considérations de celles-ci, ne risque-t-on d’en gommer en partie la complexité spécifique par une application mécaniquement réductrice (ce dont je ne vous accuse pas!) ?
Quant aux « mots qui nous affligent », je confesse qu’il s’agissait d’un douloureux lapsus qui ne rend pas du tout justice à ceux des mots dont les torts ne sont pas à porter au passif de la religion.
ai « prêché » par enthousiasme. Comment ne pas être si bref et obscur sans prendre le temps d’expliquer que ce que j’ai compris en lisant le mot « contribution de la religion catholique à notre société » me semblait laisser encore une possibilité au retour d’une telle ère malgré une pléthore de découvertes scientifiques. Puis, passer soudainement à un empirisme scientifique par le terme : « stratégie évolutivement stable » ? Je suis un piètre blogueur en cela que je n’ai pas pris le temps d’élaborer (surtout pas aussi bien que vous * c’est un compliment) que je me suis tourné vers Auguste Comte et sa loi des trois états : théologique, métaphysique et positif. Plus une société comporte d’individus à l’esprit scientifique, plus celle-ci met de côté les fausses croyances. J’ai omis de citer le philosophe car je ne voulais pas d’amalgame avec son « catéchisme positiviste » et tomber ainsi dans un autre type de discours de croyances obligées.