J’aimerais proposer aux personnes qui organisent les FrancoFolies de mettre au programme de l’an prochain quelques soirées philosophiques. Chiche? Voici en tout cas mon argumentaire…
Je pars de cette idée que la chanson est un objet qui se prête merveilleusement bien à diverses formes d’examen et de réflexion philosophiques, et de cette hypothèse – l’expérience, le cas échéant, dira si j’ai raison à ce propos –, qu’il y aurait un réel intérêt pour cette manière de se pencher sur ce qui nous réunit durant les FrancoFolies.
On pourrait par exemple tenir une soirée durant laquelle un débat philosophique sur la chanson serait organisé. Entre tant d’autres, l’objet pourrait en être la question de savoir si la chanson est un art mineur, comme le soutenaient Serge Gainsbourg et Jacques Brel, ou si elle est plutôt un art à part entière, ainsi que bien d’autres le pensent, notamment Guy Béart.
On pourrait aussi imaginer une soirée consacrée à un thème philosophique classique (le temps; l’amitié; la violence; et ainsi de suite), mais dont le matériau premier serait fourni non par des textes de philosophie, mais par des textes de chansons.
On pourrait encore imaginer une soirée consacrée à une œuvre tout entière. On y examinerait les thèmes philosophiques dans l’œuvre de Brassens, de Barbara, de Renaud ou de Vigneault, pour ne nommer que ceux-là.
Chacun imaginera sans mal d’autres possibles soirées mêlant philosophie et chanson. Mais pour montrer la richesse du matériau chanson pour un travail philosophique, je me suis amusé à dresser une liste de quelques chansons présentant, à mon sens, un réel intérêt philosophique.
Pour ce faire, je me suis donné les balises suivantes:
L’œuvre devait être francophone; elle devait être un classique – ceci afin qu’on ait de bonnes raisons de penser que tout le monde a des chances de la connaître; et elle devait non seulement traiter d’un thème qui présente un intérêt philosophique, mais aussi dire à propos de cet objet quelque chose qui soit philosophiquement riche et susceptible d’alimenter une réelle réflexion.
Voici donc, à titre indicatif, quelques chansons qui pourraient, avec d’autres, être examinées dans le cadre d’une soirée philo consacrée aux thèmes qu’elles abordent.
Ne me quitte pas, de Jacques Brel, occuperait sans doute une place de choix dans une soirée philo-chanson consacrée à l’amour, entre autres parce qu’elle nous invite à réfléchir sur la définition de ce sentiment, mais cette fois en nous forçant à nous demander quel est exactement ce que vit et ressent le héros de cette terrible chanson.
Avec le temps, de Léo Ferré, parce qu’elle invite à méditer sur le passage du temps, sur l’éphémère et sur l’éternel, serait incontournable dans une soirée consacrée à ces thèmes.
Mourir pour des idées, de Brassens, est un chef-d’œuvre qui permet de lancer une discussion sur les idéologies politiques et l’engagement en faveur d’une cause.
Le déserteur, de Boris Vian, surtout avec ses deux finales possibles (Que je n’aurai pas d’arme et qu’ils pourront tirer/ Que j’emporte une arme et que je sais tirer), serait une chanson idéale pour enrichir une soirée de réflexion sur l’antimilitarisme et sur le pacifisme. On l’alimenterait aussi avec Göttingen, de Barbara.
Le poinçonneur des Lilas, de Serge Gainsbourg: quel aliment pour enrichir une méditation sur le travail et sur l’aliénation! Saviez-vous, en passant, que le mot «travail» provient de tripalium, qui désignait un instrument de torture à trois pieux? À quel tripalium est donc attaché ce pauvre poinçonneur? Et par quel bourreau? Est-ce lui-même? Peut-il lui échapper? Autrement qu’en se faisant un dernier petit trou?
Le tour de l’île, de Félix Leclerc, s’insérerait bien, avec de nombreuses autres, dans une soirée francophilofolique consacrée au thème du nationalisme et du territoire.
Les pauvres, de Plume, serait un joli point d’entrée dans une soirée consacrée aux inégalités sociales. On pourrait enchaîner avec Jaurès, de Brel…
La voix que j’ai, sublime texte de Gilbert Langevin chanté par Gerry Boulet avec Offenbach, mériterait une grande place dans une soirée durant laquelle on se pencherait sur la singularité de l’artiste et sur sa capacité à atteindre l’universel à partir d’elle.
Pour finir cette énumération, il va sans dire que si une telle soirée avait été prévue cette année, il y aurait certainement eu quelques philosophes qui se seraient portés volontaires pour la consacrer à l’œuvre de Serge Fiori. L’Heptade: déjà, on peut tenir une soirée tout entière avec ça!
Voilà donc la proposition que ce chroniqueur voulait faire aux personnes qui organisent les FrancoFolies. En attendant de voir si elle sera jugée intéressante, je suis curieux de vous entendre, lecteurs et lectrices: vous, quelles sont les chansons que vous jugez philosophiquement riches? Et si vous vous sentez en inspiration, pourriez-vous indiquer quelques chansons qui pourraient être examinées dans une soirée consacrée à un thème philosophique précis? L’enfance? Le féminisme? Autre chose?
Pour finir, et puisque je n’ai nommé ici que des classiques, quels sont, selon vous, parmi les plus récents auteurs-compositeurs-interprètes, ceux et celles dont l’œuvre présente un grand intérêt philosophique?
Mononc’ Serge a brillamment chanté Heidegger dans «L’être en tant qu’être»…
L’essentiel est herméneutique
Son intuition est eidétique
L’ontologie pose la transcendance
La théologie pose le transcendant
Vor! Vorhib! Vorshascht! Vorshischt!
Le paysage rassurant de mon agir s’évanouit
Je suis maintenant nu et à la merci de
L’être en tant qu’être
http://www.youtube.com/watch?v=r2YGPHGxbU8
Tout à fait emballé par votre proposition M. Baillargeon. En effet, combien de chansons se prêtent à réflexion philosophique ?
Celles que vous énumérez sont déjà des classiques. La liste à énumérer serait véritablement interminable…
Que l’on pense à certains auteurs-compositeurs-interprètes plus « actuels » tels Bori,
Yves Desrosiers, Thomas Hellman, Martin Léon et combien d’autres…pour ne citer que des Québécois.
Dans un cadre plus général, pourquoi depuis la disparition des à l’UQAM est-ce le désert de la « philosophie populaire » à Montréal si ce n’est à certains endroits plus ou moins « ésotériques » ?
Pourquoi ne trouve-t-on pas à tout le moins de lieux ou « cafés philosophiques » informels où apprendre et discuter de philosophie comme ceux du regretté Marc Sautet en France à défaut de l’exceptionnelle « université populaire » de Michel Onfray ?
«L’identité», texte de Christian Olivier (Têtes raides) chanté en duo avec Noir désir, contribuerait bien à une discussion sur le nationalisme et la guerre. De même, «Le vent l’emportera» de Noir désir pourrait s’agencer avec la chanson de Ferré «Avec le temps». Sur l’aliénation du travail, il y a également «O Marie» de Daniel Lanois. Enfin, le magnifique texte de Gérard Manset mis en musique par Alain Bashung, «Comme un légo», présente une critique de la modernité.
5e paragraphe, 1ère ligne:
« Je chante »,(1937) de Charles Trenet. L’optimisme malgré tout. Le conatus chez Spinoza : conatus la puissance propre et singulière de tout « étant » à persévérer dans cet effort pour conserver et même augmenter, sa puissance d’être.
»Ordinaire » Vous voulez que je sois un Dieu si vous saviez comme je me sens vieux » Charlebois, Ali, Le canadien, le Brésil, Jeanson . Les idoles qui font vivre par procuration. Est-ce vraiment vivre? Faire l’amour, regarder faire l’amour ou l’imaginer est-ce pareil? Le ketchup goûte t-il le sang? Le voir seulement est peut être suffisant.
cc cc ci ck
Richard Desjardins est un incontournable comme auteur-compositeur-interprète contemporain. Il y a « Les Yankees » sur l’impérialisme américain, « Miami » sur l’immigration, « Elsie » sur la solitude de la femme autochone, « Les bonriens » sur le patronat, « Phénoménale Philomène » sur la face cachée des gens, « Sahara Lumber » sur l’exploitation de l’environnement, (C’est le nom de la compagnie en charge de la forêt du Sahara à l’époque!) etc….