Si nous prenons au sérieux notre gouvernement quand il affirme qu’il faut mettre en place de nombreuses et douloureuses mesures d’austérité, alors la question se pose de savoir où et comment il faut procéder à des coupes dans le budget de l’État.
Cette question en cache une autre: quels principes devraient nous guider pour décider où la hache doit-elle s’abattre?
Deux principes
J’affirme qu’à l’heure des coupes, nous devrions nous conformer à deux types de principes, qui sont justement ceux que nous devrions avoir suivis à l’heure du partage dans une (relative) abondance.
Pour commencer, nous devrions, partout où cela est possible et pertinent, fonder nos décisions sur du savoir solidement établi, sur des données probantes.
Ensuite, nous devrions nous conformer à des exigences éthiques. Mais pas n’importe lesquelles: celles qui sont relatives au bien concerné. Car après tout, on ne pense pas à des coupes en santé de la même manière dont on pensera à des coupes en loisir.
Voyons ce que l’application de ces deux principes pourrait signifier pour l’éducation.
Les données probantes
Parmi les mesures d’austérité récemment envisagées ou mises en place en éducation, on trouve cette idée de couper dans l’aide aux devoirs au primaire.
Or, si on applique notre premier principe, on doit conclure que ce n’est pas, en soi, quelque chose qui causera du tort aux élèves puisque la recherche montre, de manière très crédible, que les devoirs, à cet ordre d’enseignement (ce n’est pas la même chose au secondaire) n’ont que peu d’impact sur leur réussite.
Ce qui soulève bien entendu une question troublante que je devine sur vos lèvres: pourquoi, alors, avoir implanté cette coûteuse mesure?
La réponse tient en bonne partie à ce qu’en éducation on ne respecte pas toujours le principe de fonder les décisions sur des données probantes.
Mais venons-en à notre deuxième principe, qui est bien plus complexe et difficile à appliquer.
Éthique et distribution de l’éducation
L’éducation est un bien singulier.
Elle est d’abord présumée avoir une grande valeur intrinsèque, et y accéder est censé nous rendre meilleurs et nous donner une vie plus riche, plus accomplie: pour cette raison, on convient en général qu’il vaut mieux être éduqué qu’être ignorant.
Mais l’éducation a aussi une valeur instrumentale, tout spécialement dans notre monde. L’éducation est en effet un important facteur qui détermine la part qu’on obtiendra de la richesse collective produite par notre société: plus on a d’éducation, plus on a de chances que cette part soit grande.
De bons parents que nous supposerons fortunés et qui réfléchissent à l’éducation de leur enfant pensent principalement en ces termes pour décider de l’école (publique? privée? internationale?) à laquelle ils enverront leur progéniture. Ils veulent lui donner, sur ces deux plans (valeur intrinsèque et valeur instrumentale), ce qu’il y a de mieux.
L’histoire pourrait s’arrêter là, mais ce n’est évidemment pas le cas. C’est qu’il y a aussi les autres parents et les autres enfants – ainsi que toute cette collaboration sociale qui rend possible l’existence même des écoles et de l’éducation qu’on y transmet.
Un bon parent ne peut pas ignorer tout cela et pensera donc volontiers, comme John Dewey, que ce que les meilleurs parents veulent pour leur enfant est ce que collectivement nous devons vouloir pour tous les enfants.
Un principe éthique vous semblera alors plausible: l’égalité des chances. Vous direz que l’accès à l’éducation ne devrait pas dépendre de la fortune de la famille, du hasard de la naissance, mais seulement, disons-le ainsi pour faire court, du talent et de l’effort.
Mais ici, si vous y pensez bien, une désagréable surprise vous attend. La voici.
L’éducation est aussi un bien positionnel, en ce sens que sa valeur (instrumentale) dépend en partie de ce que les autres ont en moins.
Vous le voyez par exemple avec cette loi dite du rendement décroissant des diplômes. Quand peu de gens fréquentent l’université, un bac vaut beaucoup; mais quand de très nombreuses personnes la fréquentent, c’est plutôt un doctorat, voire un postdoctorat, qui vaut beaucoup.
Cela fait que notre parent de tout à l’heure est pris dans ce que l’on pourrait appeler le paradoxe de l’égalité des chances en éducation. Noircissons les traits: s’il veut pour tous les enfants ce qu’il veut pour le sien, cela pourrait contribuer à priver son enfant d’une part de ce qu’il veut lui donner, son éducation n’étant plus la meilleure si tout le monde a la même.
Peut-on sortir de ce paradoxe?
On le pourrait si l’éducation n’avait plus, ou n’avait guère, de valeur instrumentale au sens où je l’ai dit. Mais cela demande un profond changement de société.
On le pourrait aussi – c’était la solution de Platon, mais elle ne plaira pas – si on abolissait la famille.
On peut encore espérer que diverses éducations sont conjointement possibles compte tenu des capacités des enfants ou des besoins de la société.
Mais une idée très répandue, et qui est pour beaucoup le principe éthique qu’il convient d’appliquer en éducation, est d’avoir au moins, par l’impôt par exemple, un souci collectif pour les plus démunis, pour les plus pauvres, pour ceux qui ont le moins d’éducation et le moins de chances d’en acquérir.
Ce qui précède est banal et ne devrait pas être sujet à controverse. Il m’amène au véritable sujet de cette chronique.
Peut-on m’expliquer pour commencer pourquoi la seule perspective affirmée ici et là de couper dans l’aide alimentaire aux enfants à l’école (je répète: l’aide alimentaire aux enfants à l’école) ne nous indigne pas collectivement?
Peut-on ensuite m’expliquer ensuite pourquoi le fait que la survie des centres d’éducation populaire soit menacée ne nous indigne pas elle aussi collectivement?
Il se pourrait, comme le dit Chomsky ces temps-ci, que le souci des autres soit devenu une rareté. Je ne le crois pas. Il faut donc qu’il y ait une autre explication à proposer.
Vous me direz la vôtre?
Si Chomsky a raison, c’est à pleurer. Mais puisque pleurer ne sert à rien, et que vous semblez vouloir croire à une autre explication, allons-y: la croyance selon laquelle nous nous payons collectivement des services au-dessus de nos moyens et qu’il faudrait impérativement restreindre l’intervention de l’État et les impôts est devenue un dogme immuable et imperméable à tout argumentaire.
C’est effectivement une croyance, la société, avec ses moyens de production, n’a jamais été aussi riche. C’est l’équité qui fait de plus en plus défaut dans notre société…
Les services ne sont pas au-dessus de nos moyens.
Parce que ces « services » sont en fait des investissements.
Allez à l’extrême: Imaginons que par souci d’économie, on coupe à 100% les fonds en éducation, laissant le privé prendre en charge ceux qui ont les moyens et abandonnant les autres. Des centaines de millions économisés. Mais une société plus pauvre et qui va s’appauvrir.
L’éducation est un investissement. Même à des endroits improbables: Des études montrent clairement que les gens instruits sont, en moyenne, plus en santé que les gens moins instruits. Et cela indépendamment, non seulement des revenus (les instruits pauvres sont en meilleure santé que les moins instruits de même revenu), mais même du quartier où l’on vit. Bref, les gens instruits coûtent moins cher et exigent moins des soins de santé. Et sans parler de l’incitatif pour les entreprises étrangères.
Vous voulez savoir pourquoi l’État s’endette ?
Lisez des économistes comme le prix Noble Paul Krugman: Depuis les années Tacher-Reagan, les gouvernements ont réduit drastiquement les impôts des très riches et des grosses corporations* et multiplié les échappatoires fiscaux (ex: les profits de spéculation sont exemptés d’impôt à 50%).
Et le gaspillage !!!
En plus de la corruption, au Québec:
– 400 millions pour les deux dernières phases de la Romaine, pour produire de l’électricité qu’on a en surplus et, qu’au mieux, on vendra à perte. S’endetter pour perdre de l’argent, c’est fort.
– la cimenterie de Port Daniel, exempté à 100% d’impôt pendant 10 ans!!! ainsi que des lois des mines et de l’environnement (elle produira à elles seules 10% des GES du Québec, parce qu’elle servira de débouché aux résidus du raffinage des sables bitumineux). Alors que les cimenteries actuelles roulent à 60% de leur capacité, faute de débouché. Et pour ajouter l’injure à l’insulte: le ciment utilisé pour la construction de la cimenterie proviendra de…la Corée du sud !
– compteurs énergivores d’Hydro: fabriqués à l’étranger, réseau installé et entretenu par une autre compagnie étrangère et les données (contrat informatique) confiée à une cie des États-Unis; durée de vie des nouveaux compteurs: 10 à 15 ans (contre 25 à 30 ans pour les anciens qui ne consommaient rien)
– tableaux blancs interactifs dans toutes les écoles du Québec, qui restent une priorité (faut croire, comme dirait Bolduc, que des enfants « mourraient » s’ils n’en avaient pas un dans leur classe).
– médicaments achetés sans discussion à des prix croissant de manière inflationnistes et selon les listes établies par…les pharmaceutiques. Alors qu’on paie pratiquement 100% des coûts de la recherche en laissant les pharmaceutiques décider des « priorités »
– plan nord plus: le V-G a démontré que l’exploitation minière actuelle (avec des redevances parmi les plus basse au monde, incluant l’Afrique) nous fait perdre de l’argent, en comptant tous les revenus (maigres redevances**, impôts et taxes des minières et des travailleurs, retombées économiques, etc.) vs les coûts (subventions, construction et entretien de routes et chemins de fer, aménagement de ports et aéroports, etc.). Encore une fois, un modèle économique qui nous endette pour que d’autres fasse le pactole avec nos ressources…non renouvelables en plus. Et cela avec de smines dans des zones relativement faciles d’accès, contrairement à une bonne partie du projet « plan nord »; attendez de voir la facture. Et comme le prix des matières premières en bas, il faudra multiplier les « cadeaux » aux minières pour les attirer.
– quelque smillions pour une troisième étude pour un chemin de fer (pour le plan nord) alors les deux précédentes, récentes, ont démontré son inutilité (et attendez qu’ils finissent par obtenir un rapport favorable à force de demander à des « spécialistes » qu’ils nomment de le leur donner: on devra payer alors pour ce chemin de fer
– Sauvetage de Junex et Petrolia à Anticosti (à nos frais)
Ce n’est qu’un échantillon des « vaches sacrées » auquel le gouvernement Couillard (pas plus que le précédent) ne songent un instant à toucher. Alors qu’une population instruite et en santé lui semble un luxe « inutile ».
*sous le dogme que plus les riches sont riches, plus ils créent de bons emplois payants et que l’État récupérera en impôt sur ces nouveaux emplois et sur les énormes augmentations de salaire aux travailleurs ainsi créée. Inutile de dire que ce dogme s’est systématiquement révélé faux depuis 30 ans, dans tous les pays.
**même si elles étaient toutes payées, parce que les minières sont, comme bien des transnationales, des mauvais payeurs chroniques
Si l’éducation a une valeur instrumentale, il ne faut pas oublier que l’ignorance aussi.
Les principes qui fondent les politiques d’austérité sont qu’il vaut mieux que des « leaders » « éclairés » prennent des décisions au sein d’une gouvernance apolitque en fonction d’indicateurs de performance « objectifs » afin de stimuler l’économie, produire de la richesse, créer de l’emploi, donc la possibilité pour tous d’améliorer leur sort et celui de leurs enfants, c’est-à-dire pouvoir travailler, habiter un logement, se nourrir, se divertir. Selon ce principe, pour les masses laborieuses, mieux vaut chercher un diplôme rapidement, sans effort, mais menant à un gros salaire. Pour les décideurs, il suffit de passer le tamis de l’investissement en capital et de maîtriser l’idéologie à reproduire. Les autres, étudiants en humanités, en culture, en sciences fondamentales ne sommes que des chômeurs ayant servi à augmenter les subventions per capita des universités à peu de frais (1 prof pour 200 étudiants et pas de budgets de recherche) et faire financer par l’État les domaines techniques qui produisent des brevets privés.
Tout ça au nom du bien commun promis par le néolibéralisme.
Un accès «égalitaire» pour tous les enfants à l’éducation scolaire n’est pas la panacée qu’on se plaît trop souvent à croire.
C’est ainsi que certains, bardés de diplômes ronflants, peinent malgré tout à accomplir quoi que ce soit de vraiment significatif dans la vie. Tandis que d’autres, cancres notoires sur les bancs d’école, se sont par la suite révélés être de brillants éléments dans la société.
Certes, l’éducation est d’une indéniable importance. Mais aussi le développement des talents propres à chaque personne. On peut donc avoir une oreille musicale ou une aptitude hors du commun pour l’entrepreneurship, et de la sorte faire de remarquables carrières – tout en ayant été lamentablement nuls en grammaire ou en maths…
Au fond, il importerait surtout de déplacer des ressources vers ce qui permettra à chacun de s’accomplir pleinement un jour. Ce qui du coup profitera davantage – et de loin – à notre société dans son ensemble que de naïvement viser un accès «égalitaire» à une éducation ne rencontrant pas nécessairement les besoins des enfants.
Ah oui… les coupes… Puisqu’il faut passer par là, il me semble que de supprimer divers paliers administratifs (dont certains redondants quand ceux-ci ne constituent pas carrément une nuisance) serait notre meilleure avenue. S’il y a des économies à réaliser, c’est probablement de ce côté qu’il nous faut d’abord et prioritairement regarder. À mon avis, du moins.
M. Baillargeon parle d’égalité des chances et non par soucis d’égalité, tout le monde doit réussir les math, quitte a niveler par le bas!!!
Il y a tout même une sélection naturelle dès le départ dans l’éducation supérieur, les gens choississent généralement leurs matières en fonction de leurs attitudes.
« plus on a d’éducation, plus on a de chances que cette part soit grande. » Est ce qu’il s’agit d’éducation ou d’instruction ? Il me semble que le terme éducation à une signification bien plus large que l’instruction scolaire, alors que dans l’article il est plutôt question d’instruction ou de scolarisation. Mis à part cette précision, je suis entièrement d’accord avec l’article.
En effet. Les dictionnaires ne disent pas ce que les choses sont, mais ils aident quelquefois à réfléchir. Littré, sur l’éducation : «ensemble des habiletés intellectuelles ou manuelles qui s’acquièrent, et ensemble des qualités morales qui se développent.» La première partie, c’est l’instruction. Mon ex beau père était plus instruit que moi dans les affaires agricoles. Je l’étais en philosophie ancienne, dont il ne connaissait rien. Nous étions tous deux ignorants et instruits. La valeur de l’instruction est donc relative aux nécessités pratiques auxquelles elle répond. Cette destination «technique» de l’instruction doit pourtant être considérée à un autre niveau que celui de l’efficience mais porter sur ce à quoi elle est utile, les fins : S’enrichir? Faire de belles neurochirurgies? Acquérir un prestige social et s’élever au-dessus de ses origines? Sauver des vies ou une planète ? Contribuer utilement à la consolidation d’un modèle social, par exemple en développant des mesures pour assurer le transport maritime sécuritaire du pétrole ou la rhétorique propre à rassurer la population quoi qu’il en soit? Parce que toutes les fins ne sont pas également désirables, c’est la deuxième partie de la définition qui compte le plus, qui devrait être la plus déterminante. Éduquer, ce n’est pas juste ni même principalement (in)former, c’est favoriser le développement de ces «qualités morales» dans le même mouvement qu’on transmet des savoirs et des savoir-faire. Chez nous, l’encadrement religieux catholique prétendait y pourvoir. Il n’y a évidemment pas à regretter que cette église ait perdu une telle prérogative, mais on dirait bien dans notre souci de rendre l’école «neutre» nous l’ayons bien involontairement un peu «neutralisée» à l’égard des enjeux éthiques et qu’elle excelle davantage à «livrer» des individus utilement formatés pour des fins dont l’appréciation est laissée à leur délibération privée… ce qui est très loin d’être neutre. Par contraste, dans les sociétés traditionnelles, il semble que la transmission des savoirs même les plus triviaux revête souvent un caractère initiatique, qu’il n’y ait rien qui y mérite d’être appris sans être accordé aux valeurs fondatrices que l’initié est engagé à porter, défendre, promouvoir. C’est là que se tient la différence entre instruire et éduquer. Ces valeurs, dans les groupes de petite dimension : la fraternité, l’amitié. Dans des groupes plus larges, ou le souci de justice ne peut plus se contenter de la bienveillance – et qui sont aussi plus pluralistes -, elles devraient pourtant être au fondement éthique de toute politique et de toute éducation véritable.
Quelques réflexions sur les principes évoqués par Normand. Les données probantes nous renseignent certes sur l’efficience des moyens employés en vue d’une fin déterminée. Encore faut-il être sûr d’avoir bien caractérisé cette fin… et s’assurer qu’elle soit réellement désirable et que la poursuivre ne compromette pas l’atteinte d’autres fins désirables avec lesquelles elle pourrait entrer en concurrence. Je ne suis pas un spécialiste de l’enseignement du français, mais mon expérience limitée de très ancien écolier du primaire m’amène à penser que les devoirs étaient peut-être une stratégie gagnante à une époque où la maîtrise du lexique, de la grammaire et de la syntaxe occupaient plus de place que les habiletés de communication orale Des recherches comme celles de Hattie pourraient-elles confirmer ou infirmer cette intuition? Sans doute. Mais resterait pourtant ouverte la questions des fins. Ce n’est pas une faiblesse des sciences, c’est au contraire leur grand mérite que dans le mouvement même où elles nous procurent les connaissances factuelles dont nous avons besoin, elles nous indiquent la nécessité – quelques fois l’urgence! – de les porter à la hauteur de la réflexion éthique.
Ainsi, même des problèmes relatifs à des fins limitées et aisément circonscrites – la «réussite» ne me paraissant déjà pas en faire partie -, nous sommes toujours déjà aux prises avec l’application du second principe. J’ai trouvé un peu curieux qu’après avoir parlé de l’éducation comme d’une valeur dont on conviendrait aisément ensemble qu’elle mérite d’être poursuivie pour elle-même… Normand la traite dans la suite en termes économiques de richesse, de bien, de bien positionnel même! Comme s’il souscrivait lui-même à cette logique marchande qu’il a tant de fois décriée. On ne peut évidemment soupçonner qu’il ait opéré une telle conversion. Son but paraît au contraire de nous montrer le «paradoxe» et sans doute l’absurdité qu’il y a à traiter de l’éducation comme d’une valeur instrumentale. Si c’est le cas, le parcours «éthique» qu’il nous invite à emprunter ne serait pertinent qu’à traiter l’éducation comme une marchandise.
Alors quoi? Quelles sont ces autres fins pour lesquelles l’éducation ne serait pas qu’un moyen de donner le meilleur à nos enfants, en cela comme dans le choix des meilleures bottes, ou plutôt d’en garantir l’usage pour le plus grand nombre – c’est quand même mieux! – tout en veillant à ne pas en faire une monnaie de singe à force de compulsion démocratique, tous calculs que le bon gestionnaire des biens, des avoirs et des richesses doit faire scrupuleusement, en «bon père de famille» ? L’allusion à Platon est aussi laconique que précieuse. Le profond changement de société qu’il évoque consisterait précisément à soustraire l’éducation de cette logique de l’appropriation privée des biens pour en (re)faire un bien collectif, la notion de bien reprenant ici sa connotation éthique. Sur la nature donc de ce bien, le texte reste à peu près muet, glissant au passage la seule considération des «besoins de la société». Or il me semble que c’est tout particulièrement sous ce rapport qu’il faudra continuer d’analyser les décisions passées et présentes des gouvernements libéraux, comme Normand s’y emploie depuis longtemps, abondamment et avec rigueur.
Un mot sur le «véritable sujet». Je ne serais pas d’accord avec Chomsky. Deux pistes. D’abord cette idée souvent évoquée par des amis de Normand à l’effet que les humains ne sont capables de nouer de véritables relations que dans des communautés restreintes et sur des enjeux sur lesquels ils ont une emprise directe. Les problèmes alimentaires ne suscitent peut-être pas l’indignation collective justement parce que les gens, dans les milieux, préfèrent s’employer à leur trouver des solutions immédiates, si bancales qu’elles puissent paraître, mais c’est une autre question. Ma seconde explication, complémentaire à la première, c’est que l’obligation alimentaire n’étant pas expressément impartie institutionnellement à l’école – on peut se demander si elle ne devrait pas l’être, bien sûr -, les gens peuvent trouver raisonnable que des mesures de soutien soient abandonnées sans que cela signifie qu’ils manquent de compassion, même s’ils ont aussi quelquefois tendance à interpeller les parents pour leur enjoindre de s’occuper de «leurs» enfants…
… en autant que l’éconoime soit au service de la collectivité et non son contraire!
Merci à Normand et autres intervenants de vos apports enrichissants.
Qu’en est il de la racine étymologique du mot « éducation » ? Il est vrai que l’origine n’est pas certaine, entre « educere » et « educare » et leur aspects sémiotique et sémantique respectifs.
« Au fond, il importerait surtout de déplacer des ressources vers ce qui permettra à chacun de s’accomplir pleinement un jour. »
Merci à Claude pour la jolie formulation. Cela va dans le sens de la vision et des idées que je retiens, dépassant l' »instruction » dispensé actuellement par notre système scolaire. Le système est il au service du bien des enfants ou alors est ce les enfants qui sont au service du système ? La remarque qu’écrivait ci-haut Benton est s’applique pour l’éducation autant que pour l’économie.
Educere: « conduire hors de », ou, « faire sortir de. » Forces, faiblesses, capacités, limites, dons, talents, etc.
Educare: « nourrir ».
Peut-être quelqu’un peut il nous éclairer davantage.
« Il faut qu’on me conduise hors de moi-même, pour que je sache que je deviendrai celui qui a des échanges avec l’autre. Et c’est ça l’objectif de l’école : « prendre un enfant par la main » veut dire : je vais t’apprendre à te construire grâce aux autres. « Regarde toi de l’extérieur » et, paradoxalement, dire « je » c’est parler de soi à la troisième personne. » Albert Jacquard
Je crois qu’il y a une incongruité dans le paradoxe de l’égalité des chances…
1) je veux la meilleure éducation pour mon fils
2) tout le monde reçoit la meilleure éducation
3) … donc je n’ai pas atteint mon but de donner la meilleure éducation à mon fils, son éducation n’étant plus la meilleure si tout le monde a la même.
Il y a une rupture logique : l’éducation demeure la meilleure par rapport à d’autres modèles éducatifs et c’était ça l’objectif poursuivi. Si le but avait été « donner une éducation à mon fils meilleure que celle des autres », l’enchainement logique aurait marché.
On pourrait utiliser le même raisonnement pour d’autres sujets : je veux les meilleurs soins de santé pour mon vieux père, si tout le monde a droit aux meilleurs soins de santé, j’aurais atteint mon but. Il faut donc bien choisir ce qu’on compare pour que le paradoxe fonctionne : les soins de santé en soi, ou des soins de santé meilleurs que ceux que les autres recevront.
Belle remarque, Ed, merci. Je pense qu’elle met en évidence une certaine ambiguité qui entoure le concept d’éducation, qui est à la fois un bien qui ne se dévalorise pas d’être partagé — et qui est même plus précieux s’il l’est; et aussi un bien qui est monnayable (j’emploie ce terme faite de mieux, mais pour signifier qu’il contribue fortement à déterminer la part de ta tarte de la coopération (de la compétition?) sociale à laquelle on aura droit….), et qui alors perd possiblement de la valeur s’il est possédé par beaucoup, voire par tous.