Il arrive que le chroniqueur aborde un sujet parce qu’il est présent dans l’actualité, mais en hésitant, en se disant que sa complexité est telle qu’il sera possiblement mal à l’aise de se relire quelques années plus tard, et dans l’éventualité où ce sujet sera clos.
C’est le cas cette fois, puisque je ne peux m’empêcher de vous parler de l’affaire Yonanan Lowen.
M. Lowen, que vous avez peut-être vu à Tout le monde en parle, a été élevé à Boisbriand dans une communauté juive ultraorthodoxe. Il l’a quittée adulte et a bien vite découvert que l’éducation qu’il a reçue ne l’a pas du tout préparé à vivre dans la société québécoise.
M. Lowen a donc décidé de poursuivre le gouvernement du Québec, accusé de ne pas avoir assuré son droit à l’éducation, lequel est garanti par notre Charte des droits et libertés.
M. Lowen réclame 1,25 million de dollars au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, à la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles (CSSMI), à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et aux deux écoles juives qu’il a fréquentées et dont l’enseignement ne respectait pas la Loi sur l’instruction publique.
Nous nous trouvons ici devant un véritable casse-tête, à la fois juridique, philosophique et politique.
Pour commencer à l’apercevoir, pensez à ces revendications de droits qui nous semblent parfaitement légitimes quand il est question d’éducation, et entre lesquelles, comme on va le voir, des tensions fortes peuvent surgir.
La première revendication est celle des parents, qui veulent avec raison avoir leur mot à dire sur l’éducation de leurs enfants. Ils n’ont plus sur leurs enfants ce droit quasi absolu que la tradition, notamment religieuse, leur accordait; mais ils ont bien des droits (et des devoirs), liés entre autres au fait qu’ils sont les gardiens des droits de leurs enfants, en attendant que ceux-ci deviennent adultes et raisonnables et puissent faire eux-mêmes leurs choix. Les parents ont en ce sens le devoir de leur procurer les conditions de cette autonomie, et donc de leur offrir une certaine éducation. Celle-ci, immanquablement, est teintée de valeurs auxquelles les parents sont attachés, parfois très fortement.
La deuxième est celle de la collectivité, qui revendique le droit à des citoyens qui en sont capables de participer aux divers aspects de la vie sociale. Cette revendication, on le verra facilement, peut entrer en conflit avec la précédente. C’est ce qui se produit, couramment, quand certains parents s’offusquent que l’école aborde des sujets comme la sexualité, l’évolution ou la religion, ou de la manière dont elle les aborde. Et c’est ce qui se produit aussi quand les parents ne veulent pas, ou veulent le moins possible que leur enfant participe à la vie sociale: comme dans le cas Lowen, justement.
Mais il y a aussi une troisième et importante revendication de droits en éducation: celle des enfants eux-mêmes. On l’exprime souvent en disant que les enfants ont droit à un avenir ouvert. L’idée est ici que si on admet, comme on le fait couramment, que l’éducation vise à rendre les personnes autonomes, les enfants devraient pouvoir choisir leur idéal de vie, et leur avenir ne saurait être un destin rendu immuable du seul fait du hasard de leur naissance.
Cela signifie, par exemple, que le petit Paul, qui se découvre une passion pour la biologie, devrait pouvoir l’assouvir même si ses parents détestent la science impie; et que la petite Marie, qui se découvre mystique, devrait pouvoir vivre sa vie religieuse même si elle est née dans une famille de mécréants. L’école joue ici un rôle fondamental en mettant les enfants en contact avec la collectivité et avec des savoirs, des traditions, des idées, autres que ceux que transmet la famille.
Le système public d’éducation ou d’instruction, avec ses diverses modulations selon les pays, cherche à réduire le plus possible les tensions entre ces revendications. La tolérance ou l’acceptation de pratiques comme l’éducation à domicile, l’école privée et des dispenses diverses sont autant de signes que des zones d’ombre subsistent, que les tensions ne sont pas toutes entièrement résolues, et aussi que le sérieux et l’importance des droits en cause incitent à une certaine tolérance.
L’affaire Lowen, d’autant qu’elle concerne une communauté qui veut s’isoler, nous replonge de force dans le nœud de vipères. En voici quelques aspects.
Cette affaire nous rappelle pour commencer une certaine lâcheté et un certain aveuglement volontaire de nos décideurs de politiques publiques, trop heureux de ces zones d’ombre évoquées plus haut et dans lesquelles ils ont pu se blottir. Ils ont en effet fermé les yeux sur ces écoles niant le droit des enfants à un avenir ouvert et ne respectant pas les conditions minimales du pacte social en matière d’éducation, qui comprend le droit de la collectivité à des citoyens.
Elle nous rappelle aussi que nous avons trop souvent tendance à donner un traitement préférentiel aux religions, et à leur consentir des privilèges que nous n’accorderions pas pour des motifs autres que religieux.
Elle nous rappelle encore la prééminence des considérations économiques dans nombre de nos débats publics, qui tend à minorer d’autres types de considérations et à appauvrir d’autant ces mêmes débats. M. Lowen et ses avocats arguent en effet, semble-t-il, que son manque d’éducation l’empêche de gagner sa vie. Soit, et c’est légitime. Mais ce manque l’a aussi, voire surtout, privé d’un avenir ouvert et de la possibilité de participer pleinement à la vie collective, ce que son droit à l’éducation lui promettait en effet – mais pas un emploi.
J’espère que vous conviendrez de la complexité du sujet et du procès qui s’annonce. En voulez-vous une autre preuve?
Au même moment où l’affaire Lowen éclatait chez nous, une famille autochtone réclamait, en Ontario, le droit de retirer sa fille de 11 ans d’un traitement de chimiothérapie qu’elle suivait dans un hôpital pour combattre un cancer, et ce, pour lui faire suivre un traitement de médecine traditionnelle autochtone. Vous reconnaissez ici certaines des revendications de droits évoquées plus haut, n’est-ce pas?
Eh bien, un juge ontarien vient de donner raison à la famille, de sorte que la petite fille ne suit plus son traitement de chimiothérapie…
Je ne suis pas certain que son droit à un avenir ouvert, et aussi à un avenir tout court, ait été pris très au sérieux dans ce jugement. Tout comme celui de ces si nombreux enfants canadiens qui vivent dans la pauvreté et dont le nombre ne cesse d’augmenter – ils sont désormais 1 sur 5 dans ce cas.
Ô misère. Ô malheur.
Ce qui m’attriste aussi dans plusieurs commentaires que j’ai lu sur l’affaire Lowen, c’est que plusieurs s’iquiètent plus sur le montant et les frais juridique qu’ils devront « payer » comme contribuable!
C’est désolant que le contribuable puisse prendre le pas sur le citoyen. On en est réduit a n’être que des contribuables….
Le discours réducteur de nos gouvernement n’aide pas.
La majorité des réactions du PEUP étaient désolantes. De quoi avoir envie de se sauver ailleurs. N’importe où mais ailleurs…
À mon humble avis, une certaine frustration de la part des contribuables est compréhensible dans ce cas-ci. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’on est des citoyens avant des contribuables, c’est évident. Ceci dit, on est ici devant un cas complexe qui implique différent aspect de la vie en société. On est à la frontière du système d’éducation, de l’intégration des communautés ethniques et religieuses, des droits fondamentaux, et bien plus encore. C’est une problématique qui est complexe et difficile à gérer, et ce texte de M. Baillargeon est pertinent à cet égard. Néanmoins, que de soulever le fait que c’est la collectivité (donc vous et moi et 8 autres millions d’individus) qui sont ici poursuivis pour une faille qui est avant tout institutionnelle, et qui relève aussi de la famille du plaignant, m’apparait légitime. Pourquoi est-ce que nous aurions à payer pour un quelqu’un qui est victime d’un endoctrinement religieux venant d’une communauté bien précise, qui refuse toute forme de rapport avec la société québécoise ? La question, si elle posée avec tact, me semble tout à fait pertinente.
« Pourquoi est-ce que nous aurions à payer pour un quelqu’un qui est victime d’un endoctrinement religieux venant d’une communauté bien précise, qui refuse toute forme de rapport avec la société québécoise ? »
Une bonne partie de la réponse est sans doute parce que nos gouvernements, en connaissance de cause, ont laissés faire…
En réalité, la question ne devrait pas commencer par « Pourquoi est-ce que nous aurions à payer… » parce que c’est le gouvenement que nous avons mandaté qui paie!
Prenons un exemple d’une entreprise, parce que plusieurs semblent mieux comprendre le rôle entreprenariale que le rôle du citoyen. Donc un directeur d’usine d’une multinationale est responsable d’un déversement qui affecte l’environnement et la santé de plusieurs personnes.
Il y a poursuite. Outre la responsabilité du directeur, l’entreprise est pousuivi et devra débourser de gros montant en idemnité.
Est-ce que l’on se pose la question: « Pourquoi les actionnaires devraient payer ? »
On ne se pose même pas la question…. sauf qu’au prochain CA, les actionnaires risquent de faire sauter certaines têtes! (Évidemment, si les actionnaires considèrent que les dirigeants sont plus « profitables » que le coût des poursuites, ils risquent de les garder! Ce qui expliquerait que nous élisons toujours le même type de gouvernement…même corrompu!)
Sauf qu’il y a une grosse différence ici ! À moins qu’il y ai un détail que je n’ai pas saisi dans l’affaire, logiquement si la plainte est posée envers le ministère de l’éducation et la commission scolaire qui légifère ce secteur, ultimement elle implique tous les citoyens du Québec qui paie via impôt et taxe ces institutions ! Je voie très mal comment ce serait le gouvernement qui paierait, ce n’est tout de même pas le ministre Bolduc qui va payer de sa poche. J’ose croire que ce sera payer à même les fonds publics, ce que je trouve un peu révoltant. Car en effet, si cette plainte a cours et que le plaignant gagne sa cause, je pense que collectivement on est en droit d’exiger que l’État mettre la hache pas à peu près dans ces écoles religieuses, non seulement leurs financement mais leur existence même ! En même temps, il y en aura toujours pour exiger de notre État qu’il ne se mêle pas des questions religieuses, comme le débat sur la Charte nous l’a montré. Et pourtant il aurait à subir en aval, 25 ans plus tard, le fruit de son inaction. Cette histoire créera un précédent juridique très grave à mon avis.
Intéressante affaire qu’à mon point de vue ne doit répondre qu’à une seule question: qui est responsable de la situation de M. Lowen? Qui est imputable? Le gouvernement pour avoir permis l’existence des écoles juives, l’école juive pour offrir ce type de programme, ou M. et Mme. Lowen pour avoir inscrit leur enfant à ladite école?
Le gouvernement a assuré le droit à l’éducation du jeune Lowen en mettant à sa disposition des écoles « normales » conformes aux attentes de la société. Si M. Lowen gagne sa poursuite, on pourra poursuivre le gouvernement pour avoir autorisé l’existence du casino dans lequel je me suis ruiné.
Pour la touche philosophique, disons simplement que le lien entre responsabilité et liberté de Sartre semble de plus en plus flou. Si la tendance se maintient, un jour nous ne serons responsables de rien, si je fume c’est la faute aux multinationales du tabac, si je tue c’est à cause du milieu où j’ai grandi, si je ne trouve pas de travail c’est parce que le gouvernement ne pas assez formé. Ce jour, pas si lointain que ça, sera le jour de la mort du concept de liberté.
Pourtant, les États-Unis, terre de liberté, il y a des poursuites a qui mieux-mieux contre les compagnies de cigarette, les MacDonald et les Wal-Mart de se monde!
En réalité, les plaignants ne poursuivent pas parce qu’ils n’étaient pas informés que ces produits étaient nocifs, ils poursuivent les compagnies parce qu’elles affirmaient que les produits étaient non dommageable pour la santé alors qu’elles avaient des études entre les mains qui affirmaient le contraire…
Pour ce qui est de l’exemple du Casino, entre un adulte majeur et vacciné et un enfant, il y a une marge. L’exemple serait plus juste si le gouvernement laisserait entrer des enfants dans un casino au mépris de ses prorpes lois!
Pour ce qui est de la responsabilité du gouvernement dans la formation, (l’éducation en fait) c’est qu’elle assure que chaque enfant est assez à une éducation dans un école correspondant au norme établit par l’État. Il ne peut être responsable des échecs et/ou du manque d’emploi…
Évidement je ne visais pas l’enfant comme responsable de sa situation (regardez mes 3 suspects, le gouvernement, l’école ou les parents). Si ce n’est pas le gouvernement ni l’école… qui reste?
Pour la petite histoire, voilà plus de 15 ans, en prennant une mauvaise sortie pour prendre la 640 dans le coin de Boisbriand, je me suis retrouvé sur une route de campagne parallèle à la 640. Après avoir roulé un bout, ne trouvant toujours pas de sortie, je vois une série d’appartements de plusieurs étages au beau milieu d’un champ.
Je me dis alors que c’est l’endroit pour faire demi-tour. Dès l’entrée, il y a cette immense affiche en yiddish et en anglais. Je me trouve entre les grands blocs sur un chemin circulaire. Premier constat, les vieilles Tercel, Hyundai et Lada courtois les Mercedes et BMW. Deuxième constat et non le moindre, sur les troittoirs, il n’y avait que des femmes en noir et enceintes, poussant des poussettes et accompagnées de leur petits garçons, pantalons noir, chemise blanche avec veste noir sans manche. (Je ne me souviens pas d’avoir vue de petites filles!)
Ce qui était effrayant, c’est qu’elles s’arrêtaient lorsque je passais prêt d’eux avec ma voiture avec l’un de ces regardes qui me donna la « chienne »! Je n’aurais jamais pensé que des femmes enceintes puissent me faire aussi peur. L’on se croyait dans un roman de Stéphan King!
Disons que j’avais hâte de sortir de là….
Épilogue: Quelles mois plus tard, au téléjournal de Radio-Canada, je reconnu les « buildings » dans un reportage. J’appris alors que pour une première fois dans une cours penale de l’État d’Israël, un témoin allait témoigner via téléconférence à partir de Boisbriand. L’Affaire étant un fraude d’environ 250 millions de dollars dans divers banques européennes et israéliennes donc une bonne partie de l’argent servit a financer les dites « buildings » de cette communauté hassidique de Boisbriand.
Moi j’ai une question un peu simplette…
L’école publique est, sur le papier, la meilleure garante d’une éducation ouverte sur le monde, disons au-delà des valeurs familiales. Un point fondamental pour la liberté de chacun.
Dans les faits, aujourd’hui plane un scepticisme important quant aux qualités de ladite école publique. Doutes qui mènent à penser qu’elle ne cherche pas à garantir la liberté des futurs citoyens (enfin les politiques à travers elle).
Ma question est alors: comment les parents ayant conscience de ce potentiel problème font-ils? L’idée de retirer ses enfants du système classique ne vient-elle pas alors naturellement à l’esprit? Comment continuer à défendre l’école publique quand on doute de ses capacités et objectifs? Alors que, bien sûr, toutes les décisions individuelles de renoncer à l’ école publique sont autant de renforcement négatif des dérives de l’école…