Du 1er au 7 février, c’est la semaine des enseignant.e.s. Le MELS l’a placée cette année sous le thème Pour leur passion et leur sens de l’innovation: mille mercis à nos enseignantes et à nos enseignants!
Remercier les enseignant.e.s est une chose que je fais sans réserve. Le métier, qui n’a jamais été facile, l’est moins que jamais, pour toutes sortes de raisons bien connues et sur lesquelles il est inutile d’insister: hétérogénéité des classes, pauvreté et inégalités économiques, difficultés d’apprentissage, problèmes de comportement, attentes de certains parents et j’en passe, qui font que l’enseignant.e doit se faire tour à tour psychologue, travailleur social, sociologue…
Bravo, donc, aux personnes qui font ce difficile et absolument crucial travail: former les cerveaux de nos enfants. Et moi qui forme des maîtres depuis 26 ans, je peux vous assurer avoir rencontré durant tout ce temps, et en grand nombre, des personnes admirables, dévouées, généreuses, des personnes à qui enseigner a été une grande joie, et que je suis heureux de savoir sur le terrain, exerçant avec passion leur métier.
Cela dit, la semaine des enseignant.es me semble un moment particulièrement propice pour dire ce que tant de ces personnes m’ont avoué au fil des ans: leur formation est déficiente et elle les prépare mal à exercer cette profession exigeante qui le sera de plus en plus.
Des carences bien connues, mais tues
Je ne prétends pas faire ici le tour d’une question complexe, mais voici tout de même, sous forme de témoignage, quelques observations qui me semblent dignes de mention.
Pour commencer, ce dont les étudiant.e.s en éducation se plaignent, amèrement bien souvent, c’est de recevoir trop de cours bidons ou du moins sans grand contenu sérieux. Je ne dis pas que cette situation est générale, mais elle est assez répandue pour susciter une vive inquiétude.
Ils et elles se plaignent aussi qu’on leur enseigne bon nombre d’idées (et de pratiques pédagogiques correspondantes) dont ils et elles finissent par découvrir qu’elles sont douteuses, voire, en certains cas, carrément fausses, et que les pratiques qu’elles suggèrent peuvent donc s’avérer néfastes. Aiguillé vers cela par mes étudiant.e.s, j’ai consacré un livre tout entier à ces croyances, que j’appelle des légendes pédagogiques, et je peux assurer qu’elles sont beaucoup de fois, hélas, florissantes en éducation.
Ces critiques que je viens de rappeler sont avancées envers toutes les formations à l’enseignement. Mais les futurs maîtres du secondaire y ajoutent souvent l’expression d’une forte dose d’insatisfaction sur les carences de leur formation disciplinaire. C’est que depuis une vingtaine d’années, une réforme a en effet eu pour conséquence de réduire la formation disciplinaire des enseignant.e.s du secondaire. Il m’a toujours semblé une aberration qu’on n’exige pas au moins le baccalauréat pour exercer cette profession: si j’en juge par ce que me disent mes étudiant.es, je ne suis pas le seul à le penser.
Des causes qu’on hésite à pointer
Il y a un grand nombre de raisons qui expliquent cet état de fait. En voici quelques-unes.
Pour commencer, les universités, de plus en plus déplorablement clientélistes, ne contingentent pas l’accès aux facultés d’éducation, qui devraient pourtant et qui pourraient, sans ce clientélisme, être des filières d’élite.
Ensuite, et en partie pour ces mêmes raisons, les professeur.e.s, à l’université, fuient l’enseignement au premier cycle et se concentrent aux études avancées et à leurs recherches et colloques.
Or là, étrangement, circulent aussi des idées douteuses, souvent contraires à ce que la recherche crédible enseigne. C’est ainsi qu’on a pu implanter une réforme dont l’échec devient de plus en plus indéniable, qui reposait sur des principes largement contraires à ce que la science la plus crédible permettait de préconiser. Les universités, qui devraient protéger les enseignant.e.s des idées fausses ou dangereuses, sont parfois le lieu où on les promeut.
Je me suis souvent demandé pourquoi nous ne sommes pas plus nombreux à nous en indigner. Car ce qui étonne, aussi, c’est le profond silence qui entoure tout cela, dont on ne parle que si peu.
Je pense pourtant connaître une part de l’explication de ce troublant phénomène.
C’est que ce monde de l’éducation que je viens de décrire a non seulement beaucoup de traits qui caractérisent une pseudo-science, mais il ressemble aussi, par certains aspects, à une manière de secte fermée, récalcitrante à toute critique, qui ne tolère que les avis autorisés des initiés et qui est capable de réprimander avec force quiconque avance des objections contre elle.
C’est un portrait bien triste, je le sais: mais il correspond à ce que j’ai vu et connu depuis toutes ces années. Et ces carences de préparation expliquent aussi, je pense, en partie au moins, le grand décrochage des enseignant.e.s, qui changent de métier ou passent du côté de l’administration.
Vous avez raison pour ce qui est de la formation. Les cours du premier cycle sont souvent donnés par des chargés de cours qui sont des étudiants au doctorat qui n’ont jamais enseigné et qui n’ont aucune idée de ce qui se passe dans une classe du primaire ou du secondaire. Et bien sûr, comme vous le dite, les Professeurs eux ne voient pas d’intérêt à enseigner à des étudiants qui, pour quelques uns, choisissent l’éducations parce qu’ils n’avaient pas les notes pour choisir autre chose. Au Québec on valorise les études supérieures au détriment des techniques et des métiers. Alors on se dirige vers l’université dans les facultés qui ont les portes grandes ouvertes.
J’ai moi même consacré un billet à cette question. Je me permets de vous en mettre un lien ici: https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/03/11/pourquoi-les-formations-a-lenseignement-sont-des-usines-a-mediocrite/
Une secte, voilà exactement ce qu’ils sont : une secte obtuse, fermée sur elle-même, confite dans sa condescendance et dans le mépris idéologique du réel. Tant que ces zélotes séviront au ministère de l’Éducation, on sera aux prises avec cette science molle qui flirte avec l’ésotérisme et qui confond l’épanouissement de l’individu par le savoir avec la croissance personnelle par la bêtise.
M. Baillargeon:
Je suis entièrement d’accord avec votre texte. Vous écrivez: « Pour commencer, les universités … ne contingentent pas l’accès aux facultés d’éducation, qui devraient pourtant … être des filières d’élite. »
Encore une fois entièrement d’accord. Mais vous oubliez un éléphant dans la pièce: les syndicats d’enseignants, grands défenseurs du statu quo, pourfendeurs corporatistes de « l’élitisme » sous toutes ses formes, et dictateurs d’une médiocrité institutionnalisée qui empoisonne tout le système. Dans un billet qui parle si vrai, on aurait espéré que vous osiez aussi dire cette vérité-là.
Profquifesse, une seule remarque: je trouve que vous n’écrivez pas assez souvent sur votre blogue.
M. St-Onge La question de syndicats mérite d’être posée et j,y reviendrai.
On pourrait également se demander si la formation des maître, répartie sur 4 années de bacc., est assez longue par rapport à la complexité de la tâche à accomplir. Tellement d’élément sont à considérer. Je ne voudrais pas être à la place des coordonnateurs de programme qui doivent jongler pour créer un équilibre entre pédagogie, philosophie, psychologie, matière disciplinaire, didactique, terrain. Surtout lorsque vient le temps d’ajouter la formation au renouveau pédagogique. Qu’est-ce qui sera sacrifié?
Quelles sont les pistes de solutions? Pourrait-on allonger la formation initiale sur 5 ans? Je lance la question.
Il suffirait d’enlever les cours inutiles et de les remplacer par des cours basés sur des connaissances et non des croyances, fréquentes en pédagogie. Pour cela, il faudrait que les formateurs d’enseignants et les professeurs des facultés d’éducation soient eux-mêmes compétents. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Rachel a parfaitement raison. Remplacer les cours par ce qui est avéré scientifiquement comme réellement efficace et existant suffira amplement. Cela contribuera d’ailleurs à réduire les cursus puisque nombre de techniques pédagogiques complètement délirantes et fort chronophages y figurent. Arrêter de les présenter (ou disons plutôt les mettre à leur place, à savoir celles d’étonnantes curiosités ni plus ni moins) fera économiser bien du temps aux futurs enseignants et économisera de nombreuses vies foutues en l’air chez les jeunes qui subissent ces méthodes.
On continue à dire que la formation des maîtres est déficiente par contre rien n’est fait. Difficile de modifier les structures existantes de l’Université, la hiérarchie. On peut proposer mais rien ne bouge, l’université est un territoire chasse gardé.
Une façon d’aider les futurs enseignants c’est de les accompagner. J’ai eu la chance d’être le mentor de qq enseignants débutants dans la profession et je peux vous dire qu’ils sont encore bien présents dans un système peu valorisant et tellement exigeant. Ma maîtrise professionnelle porte sur ce sujet: «Moi,… mentor dans l’accompagnement d’une enseignante novice pour son intégration». J’aimerais poursuivre encore dans ce domaine de l’accompagnement mais il semble difficile de réaliser un vrai programme de mentorat au sein des comm. scolaires ou / et écoles. On doit revoir et adapter la formation initiale et fournir de l’accompagnement aux enseignants débutants. Je suis retraitée de l’enseignement, j’ai proposé une offre de service en terme d’accompagnement mais sans succès. ???? Alors… on continue… rien ne change.
M. BenoitG,
Vous suggérez que les futurs enseignants suivent une formation aussi longue que celle des médecins ? Vous perdriez des candidats car le salaire actuel y serait d’autant plus ridicule et la reconnaissance dans cette profession n’accompagne pas le degré de scolarité. Le problème de fond, c’est la lourdeur de la tâche.
J’ai eu d’excellents professeurs à l’université (tout au long de mes deux bacc.) et très peu véhiculait des idées erronées. Toute la partie »pédagogie » semble déficiente et ne peut réfléter la réalité adéquatement. C’est pourquoi il y a des stages tout au long des quatre années.
Si cette formation n’est pas contingentée c’est qu’elle rerésente la vache à lait des Universités car elle n’engendre que des coûts minimes. En effet, la structure du bacc. en enseignement est tentaculaire: les étudiants sont disséminés dans les cours disciplinaires de chacune des facultés et sont réunis uniquement pour les cours de la Faculté des Sciences de l’Éducation. De plus, les quatres stages représentent maintenant un an et demi de la formation. Un an et demi à n’occuper ni locaux ni enseignants et à payer les frais d’une session à l’université. Ça c’est du génie !
La seule structure qui permettrait aux enseignants de contrôler la formation initiale et continue est un ordre professionnel. Or, c’est une question tabou au sein de nos instances syndicales. C’est malheureux car ils sont sensés nous représenter sur cette question. Ils se sont toujours prononcés contre sans qu’aucun débat démocratique digne de ce nom ait eu lieu. Je souhaite donc que le gouvernement l’impose car je ne vois pas encore le jour où ils s’ouvriront sur la question.
Et vous monsieur Baillargeon, quelle est votre opinion sur la question?
Bonjour,
C’est une question complexe. J’ai finalement penché vers le non, après réflexion:
http://voir.ca/normand-baillargeon/2012/03/12/un-ordre-professionnel-des-enseignantes/