Les arts en général et la musique en particulier sont souvent un parent relativement pauvre en éducation, du moins pour le curriculum commun de la scolarité obligatoire.
Toute une série de questions se posent à leur propos, notamment sur la justification de leur inclusion dans le curriculum. Je m’en tiendrai ici au cas de la musique, à propos de laquelle je veux soulever une de ces questions.
Comme toujours dans le cadre de ces chroniques «À vous de jouer», je me contenterai de poser une problématique avant de passer la parole à deux personnes expertes qui vous feront part de leurs réflexions et qui alimenteront nos échanges.
Cette fois, j’ai le bonheur d’accueillir les contributions de deux éminents musiciens et musicologues: le grand saxophoniste de jazz Yannick Rieu; l’éminent compositeur et chef d’orchestre François Dompierre.
Je les remercie de partager avec nous leurs réflexions.
Deux avenues
Supposons convenue l’idée de consacrer une part du curriculum à la musique, et ce, depuis le début et jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. On se demandera, bien entendu, quel contenu il faut y mettre et, précisément, à quoi consacrer toutes ces heures. Plusieurs réponses sont alors possibles et même, peut-être, conjointement possibles.
On pourrait par exemple insister sur la valeur, disons, instrumentale, de l’enseignement de la musique, en disant qu’il contribue à limiter le décrochage.
Mais c’est à deux justifications plus intrinsèques, fortes et courantes, que je veux m’arrêter ici.
Noircissons un peu les traits.
Une première approche pourrait vouloir insister sur la valeur expressive de la musique, ainsi nommée parce qu’elle est donnée comme un moyen de s’exprimer et de manifester sa créativité.
Si on l’adopte, on voudra peut-être partir de ce que les élèves connaissent et apprécient en musique, puisqu’ils en écoutent sans doute beaucoup. Mais, de toute façon, on voudra leur permettre de s’exprimer et d’être créatifs, idéalement en apprenant un instrument (la flûte à bec est un choix commun) ou en chantant et, ce faisant, leur faire acquérir un certain savoir musical – savoir lire une partition, chanter en chœur, par exemple. On voudra aussi, sans doute, préparer en commun un spectacle de fin d’année, mettant à contribution les compétences des uns et des autres. Des airs connus et appréciés des élèves pourraient fort bien y être à l’honneur. On parlera ici volontiers de sensibilité, de subjectivité, de créativité, de contact avec les autres. On voudra amener l’élève à inventer des œuvres, à développer son potentiel créateur au regard du monde sonore, à inventer ses propres pièces vocales et instrumentales; et le mettre en contact avec de nombreux repères de sa culture immédiate.
J’ai noirci les traits, sans doute, mais j’espère qu’on reconnaît malgré tout une tendance, une vision possible de l’enseignement de la musique à l’école, commune et obligatoire, et qui se généralise aux arts.
À celle-ci s’oppose une vision qui propose d’accéder à l’art – et à la musique – moins par sa valeur expressive que par l’appréciation des œuvres. Le but, ici, serait surtout de transmettre un savoir permettant de formuler des jugements esthétiques éclairés.
Si tout à l’heure on misait sur l’expression et la créativité, ici, on misera plutôt sur l’histoire de la musique, sur l’étude des genres, des œuvres, des styles et ainsi de suite, tout cela étant soigneusement sélectionné et progressivement ventilé tout au long du parcours scolaire.
Ce qui s’ensuit en classe sera donc fort différent. Pour en donner une idée, voici quelques-uns (seulement) des contenus que demande de voir en première année un programme américain d’enseignement de la musique (appelé Core Knowledge) fondé sur l’appréciation des œuvres et la transmission d’une culture musicale.
Familiarisation avec les éléments de base de la musique: rythme; mélodie; harmonie; tonalité; premières notions d’écriture musicale; exposition à diverses musiques (populaire, classique, traditionnelles, etc.). La notion de compositeur. L’exemple de Mozart: Allegro de Eine kleine Nachtmusik. L’orchestre: instruments (cordes, vents, cuivres, percussions) et chef. Pierre et le Loup de Prokofiev. L’opéra, qui combine musique, jeu dramatique et chant. Écouter des passages de Hänsel und Gretel de Humperdinck. (Pour en savoir plus, Core Knowledge, pp. 41-42.)
De quoi méditer
Un de ces programmes est-il préférable? Leur opposition est-elle artificielle? Peut-on viser leurs (principaux) objectifs simultanément? Les combiner? L’un d’entre eux est-il une erreur? Utopique? Lequel est le plus juste, au sens de cette égalité des chances que doit promouvoir l’école? Comment décider?
Vastes questions, à propos desquelles nous avons fort heureusement l’aide de deux experts pour amorcer notre réflexion.
Enseigner la musique
Yannick Rieu
Tout d’abord et à l’instar de Normand, je serai obligé de convenir d’une idée: l’éducation rend l’humain libre. Nous allons supposer que l’ensemble de la profession comprend et souhaite cela.
Constat
Notre époque est bruyante. Nous sommes bruyants à « l’intérieur » comme à l’extérieur. Nos cerveaux s’affolent, notre parole perd en qualité ce qu’elle a gagné en quantité. Collectivement, nous sommes confus, perdus, brouillons, impuissants, hésitants, éparpillés. Le vide, le calme, la lenteur, le silence sont devenus des spectres qu’il faut à tout prix éviter, des pièges dans lesquels s’il fallait s’y prendre trop fermement feraient de nous, aux yeux de la plupart de nos contemporains, des sous-humains, des humains ratés, dépassés, non performants, ringards, anachroniques.
Écouter le goût du silence
Pour répondre à cette hystérie collective, je crois que, dans un premier temps, il serait sage de réapprendre à écouter, redonner le goût du silence. À mon avis, ce serait une première étape à franchir, une base sur laquelle tout le cursus scolaire pourrait s’appuyer. Le cours de musique pourrait devenir un moyen d’aborder l’écoute, avec la conscience qu’elle est un outil qu’il faut redécouvrir et affûter constamment. De plus, l’art d’écouter – car c’en est un – servira pour toutes les matières et pour toute la vie, dans toutes les circonstances.
Durant un séjour en Chine où j’enseignais la musique, j’ai tenté une petite expérience. J’ai demandé aux étudiants de prendre en note tout ce qu’ils entendaient au cours d’une marche que nous faisions ensemble. Les résultats furent intéressants. Là où des dizaines de sons pouvaient être perçus, seulement 7 ou 8, en moyenne, étaient notés.
Or étudier ou faire de la musique, c’est d’abord écouter. Attentivement.
Entendre c’est subir, écouter c’est agir
Écouter c’est s’arrêter, se taire, prendre le temps, se fondre, suspendre la pensée, celle qui juge, jauge, évalue, analyse, compare, mesure. Que de choses doivent mourir pour parvenir à cet état de réception! Écouter c’est observer, et il n’y a d’observation totale que lorsque le « moi » est absent. Qu’on me comprenne bien. Ici, il n’est pas question de pseudo-ésotérisme et de son fatras, mais bien d’un état que beaucoup de musiciens, entre autres, connaissent : la disponibilité.
Écouter c’est aussi aller vers l’autre, sortir de soi; que ce soit la musique, les paroles de quelqu’un, les sons et bruits qui nous environnent. Écouter c’est être attentif, présent au monde dans lequel nous évoluons. De cette écoute totale, fille de l’attention, naît l’intelligence. Et cette intelligence opérera dans toutes les sphères de notre vie.
Quand nous aurons bien fait sentir et comprendre ce qu’écouter signifie, suppose et engendre, nous pourrons alors aborder l’enseignement de la musique à proprement parler ou toute autre matière avec un regard (une oreille ?) neuf.
Choix et liberté
À supposer qu’une majorité de décideurs, d’éducateurs et autres spécialistes auront apporté l’écoute au niveau d’un art, les réponses quant à la manière d’enseigner la musique ne seront plus des choix mais des évidences nées de cette intelligence issue de l’attention.
Nous pensons, à tort, que pratiquer des choix est le résultat de la liberté en action. Si notre perception est pure, si nous sommes lucides, il n’y a pas de choix. Ce n’est que dans le doute et l’incertitude que nous commençons à choisir. La liberté ne peut coexister avec la confusion.
L’angle choisi pour enseigner une matière dépend de ce que l’on souhaite réaliser à travers cet enseignement.
S’il s’agit de montrer quoi penser, on penchera vers une éducation axée sur des connaissances théoriques. S’il s’agit de montrer comment penser, on ira vers plus de créativité, d’expérimentation, de développement de la sensibilité, etc. Les deux enseignements pouvant cohabiter.
Une éducation qui formerait des gens sachant vraiment écouter accoucherait dans le même temps de rebelles parce qu’intelligents, donc sensibles et pacifiques. Libres.
Et cela est hors de question, n’est-ce pas ?
Enseignement de la musique
François Dompierre
Les questions posées par Normand Baillargeon dans le texte ci-dessus sont complexes et exigeraient une longue réflexion suivie de réponses précises, claires et détaillées. La proposition actuelle où il m’est demandé une opinion concise ne s’y prête pas. Cela dit, ce que je viens de lire sous sa plume m’inspire quelques réflexions qui pourront peut-être bien humblement servir de base à un débat sur l’enseignement de la musique.
Convenons tout d’abord d’une chose. L’art est inutile. Ce n’est pas un service public comme la santé, les transports ou l’hydroélectricité. On ne lui reconnaît aucune spécificité directe en matière de service public. Et pourtant, nous savons que cet art inutile est essentiel! Pensons tout simplement à la Sagrada Familia de Gaudi à Barcelone.
Dans le même sens, l’enseignement de la musique est parfaitement inutile! Inutile, oui, mais essentiel. Pour cette seule raison, on doit pouvoir apprendre la musique à l’école. Mais, plus encore que n’importe quelle autre matière scolaire, sa pédagogie est complexe. L’enseignement des mathématiques, celui du français, de l’histoire et de la géographie, bien qu’en constante évolution, sont encadrés depuis des siècles par des méthodes éprouvées et suivent inexorablement un processus pédagogique qui a été développé par la pratique de l’expérience. Il n’en est pas de même pour la musique actuelle. De quelle manière doit-on l’enseigner? C’est à la fois une science, un art et, ne l’oublions pas, un plaisir maintenant à la portée de tous. Ce n’est pas tout. Contrairement aux matières classiques, elle possède un pouvoir d’attraction universel et suscite en conséquence des intérêts commerciaux proportionnels à la force de ce pouvoir. Enfin, c’est un outil de communication omniprésent.
Cette universalité de la musique, l’accès à ses divers logiciels d’interprétation, la prolifération des instruments électroniques, l’ingéniosité des outils virtuels, toutes ces nouveautés en matière musicale créent une sorte de mirage où la connaissance des principes de base de la musique nous semble devenue obsolète. Lorsqu’on veut enseigner la musique, on nous répond souvent qu’il n’y a aucun besoin réel de l’apprendre puisque les moyens pour avoir accès à ses secrets les plus intimes sont à la portée du premier venu en trois clics et deux branchements de clés USB.
C’est en ce sens qu’il faut inclure à la pédagogie musicale des méthodes qui tiennent compte de la nature même de la musique d’aujourd’hui. Il faut que l’élève travaille avec ces nouveaux outils qu’il maîtrise déjà, il faut lui enseigner l’histoire de la grande musique classique en la comparant, en la confrontant à celle des musiciens contemporains qu’il connaît et apprécie déjà, tous genres et styles confondus. Il faut aussi favoriser un apprentissage basé sur des méthodes interactives. Enfin, il faut capter son intérêt là où il est déjà, prendre place à bord du véhicule qu’il est en train lui-même de construire et surtout continuer à lui donner l’impression que l’art musical qu’il souhaite apprivoiser est d’abord et avant tout un plaisir.
Plaisir inutile? Qui sait? Peut être, mais essentiel!
Merci à François, Normand et Yannick pour le partage de leur riche expérience et de leur sagaces réflexions. À la question consistant à savoir pourquoi enseigner la musique à l’école primaire et secondaire, j’insisterais sur deux choses. Primo, la possibilité de faire quelque chose comme un apprentissage intellectuel, esthétique et humain en groupe car les jeunes ne font pas beaucoup de choses à titre de partie d’un tout qui obéit à ses propres règles et exigences. Deuzio, dans un monde où il y a tant de facilité et de »passivité », l’exercice de la musique exige une implication active, une discipline, un effort soutenu à participer à quelque chose qui est davantage lié à une culture commune, partagée, qui relativise les goûts particuliers imposés par une culture de masse peu exigeante et si souvent socialement »tribale ».
La musique, c’est d’abord une affaire qui concerne le corps. C’est physique : ça fait appel aux oreilles, à la matière qui vibre, à la coordination, au mouvement. Bien sûr, tout ça débouche sur la dimension affective, et aussi sur la pensée abstraite, mais toujours la matière reste présente. C’est de là que devraient partir les enseignants, en faisant danser et chanter les enfants, en leur faisant expérimenter les sons du monde. Ensuite, ils pourront s’ouvrir au reste, qui est infini.
On s’ assure de l’ acuité visuelle des enfants avant de leur enseigner à lire , est-ce qu’on s’ assure que les enfants ( et les ado) entendent bien avant d’ enseigner la musique ? Je suis particulièrement inquiet d’ apprendre que les artistes présent à un certain festival montréalais demandent un volume de 102 à 120 décibels . Ce qui m’ amène a demander si les enseignants abordent ce sujet dans les cours de musique ?
Étant enseignante en musique au primaire et ayant déjà travaillé au secondaire également, vos propos me font sourire ce matin. Je suis tellement heureuse de constater que je ne suis pas seule, convaincue de la présence essentielle de la musique dans la formation scolaire des jeunes. Il est bon de voir que nous sommes plusieurs à croire en ses pouvoirs sur le développement de tous, tant physique qu’intellectuel. Souvent seul porteur de cet art dans son école, l’enseignant de musique doit parfois travailler extrêmement fort et même se débattre afin de conserver ses périodes qui semblent être convoitées par tous et chacun et remplaçables par n’importe quelle option pouvant permettre d’attirer plus de clientèle que l’école voisine. J’aimerais bien pouvoir léguer à mes élèves davantage de connaissances historiques et théoriques, mais lorsque je ne les vois qu’une heure par semaine ou 3 fois par cycle de 10 jours, il est très difficile d’y arriver. Par contre, je sais que j’arrive à leur transmettre ma passion et qu’elle est contagieuse. Ainsi, j’ai le rêve, peut-être irréaliste vous me direz, qu’un mouvement de masse naîtra lorsque les jeunes rentreront à la maison et raconteront à leurs parents ce qu’ils vivent en musique et qu’eux, seront témoins de l’épanouissement que le fait de vivre la musique leur procure. Au sein de chaque école dans laquelle j’ai la chance de travailler, je tente de semer cette passion et de faire en sorte que les élèves vivent une expérience positive et complète de la musique. J’ai tant de fois eu des confidences d’enfants me disant que ce petit moment dans leur horaire était attendu avec impatience toute la semaine et qu’il fait en sorte que tout est plus facile à supporter. Il s’agit souvent d’un échappatoire pour oublier ou pour exprimer les difficultés vécues parfois tant à l’école qu’à la maison. Elle a aussi ce pouvoir la musique! Je pourrais écrire encore pendant des heures tellement je suis convaincue du bien qu’elle procure et de sa nécessité dans les milieux scolaires. Je continuerai donc de la promouvoir et de la transmettre avec passion. :)
Ému et d’accord.
Merci!
Merci pour vos réflexions. Mais bien qu’elles soient excellentes, elles restent assez philosophiques.
En tant qu’enseignant de musique au niveau secondaire dans un milieu défavorisé de Montréal, je dois souvent justifier la raison d’être du cours de musique à mes élèves, à leurs parents et même à mes collègues qui préfèreraient souvent avoir plus de temps alloué pour leur propre matière.
En plus de rappeler les arguments mentionnés jusqu’à maintenant par les auteurs et dans les commentaires, je montre cette courte vidéo à tous ceux qui se demandent pourquoi enseigner la musique aux jeunes, plutôt que de consacrer ce temps vers des matières plus « importantes »:
https://www.youtube.com/watch?v=R0JKCYZ8hng
Merci pour la video. La philosophie n’est valable que si elle est vécue, là-dessus je suis en accord avec vous. Apprendre à écouter me paraît tout de même essentiel, j’observe son contraire un peu partout avec les dégâts qui vont avec!
Vivre et apprendre la musique doivent se faire d’abord et avant tout par la création d’un lien émotif envers celle-ci. Mon expérience d’enseignement m’a appris que c’est d’abord et avant tout par la pratique d’un instrument (ou du chant) que ce lien se crée. Ajoutez à cela une expérience positive de groupe et une satisfaction de l’élève qui maîtrise de mieux en mieux son instrument, et vous avez les bases de la réussite de ce contact. Par la suite, lorsque l’intérêt grandit, viendront les connaissances théoriques, historiques et autres. Sinon, ces connaissances n’ont aucun sens et aucun intérêt pour l’élève.
Dans la pratique instrumentale, c’est le corps, l’esprit et l’affect, bref toute la personne qui est impliquée. L’effort et l’implication sont de mise et doivent être encouragés et valorisés. Ces exigences sont précieuses dans une monde où trop souvent c’est la facilité qui retient l’attention.
La pratique instrumentale dans la musique est précieuse et apporte à l’élève beaucoup plus qu’une expérience musicale. Elle inculque une discipline, un sens du détail, une justesse de l’expression et un meilleur sens de la coopération. C’est un trésor pour qui veut bien prendre le temps d’y creuser !
Vous en doutez ? Je vous invite à venir faire un tour dans mes classes, M Baillargeon.
L’expression et l’histoire semblent complémentaires. Je ne pense pas qu’il faille choisir entre l’un ou l’autre. Cela dépend du degré d’intérêts. Concrètement, un cours de base de la musique est essentiel. Familiarisation avec les éléments de base de la musique:
Monsieur Rieu : La vision. concentration, méditation, disponibilité. Le chef d’orchestre roumain Sergiu Celibidache a déjà dit que toute musique émergeait du silence.
Monsieur Dompierre : La méthode. Les inévitables gammes et le plaisir de faire des liens entre théorie et pratique. Les liens nous permettant de jouer sur notre instrument préféré ! De la gamme de Pythagore en passant par le chromatisme jusqu’à la musique hyper-systémique, il y a un monde. Un cours que j’avais particulièrement apprécié au CEGEP fut Physique de la musique et de la couleur.
Tout ceci est bien intéressant. J’exprimerai pourtant un regret : quelque mérite qu’on doive lui accorder, je pense que le point de départ de la réflexion aurait pu être le Programme de formation de l’école québécoise. L’intérêt est double :
d’abord se mettre au clair avec les intentions du ministère telles qu’elles devraient se matérialiser dans les classes pour les juger à leurs mérites théoriques internes et quant à leur praticabilité. Essentiel état des lieux, en somme.
ensuite mettre en perspective les intentions éducatives spécifiques à l’enseignement de la musique dans l’économie générale du renouveau, l’occasion étant ainsi offerte d’alimenter la réflexion critique à l’endroit de celui-ci, tant sur le plan plus général des valeurs qui le sous-tendent qu’en regard des stratégies pédagogiques retenues pour la mise en oeuvre.
En fait, sans le nommer, j’ai (c’était délibéré) cité textuellement des passages du programme québécois. Les personnes qui le connaissent l’auront reconnu. Mais je voulais dépersonnaiser (si je puis dire) cette discussion.
Ceux qui le connaissent l’auront reconnu.
Ceux qui ne le connaissent pas seraient à mon avis bien inspirés d’aller y jeter un coup d’œil,
comme je l’ai fait avant de faire ce commentaire – je ne croyais pas utile de noter que vous en « citiez » des passages -,
comme on ne nous y invite pas pour des raisons un peu obscures. Après tout, puisqu’il s’agit bien de discuter de l’enseignement de la musique au Québec… Non, je ne vois pas.
Ben non. Il ne s’agissait pas du cas particulière du Québec, mais bien d’une discussion plus générale et philosophique. Tout le monde peut aller voir le programme québécois (vous semblez insinuer que je l’interdis…); mais vous en pouvez me reprocher de ne pas avoir écrit l’article que vous auriez aimé lire ou d’avoir écrit le mien comme vous auriez voulu!
Monsieur Baillargeon, merci d’avoir permis ce très important échange entre deux artistes d’abord si humains! Monsieur Rieu, je suis totalement d’accord avec votre développement de la prémisse lancée par le Philosophe. J’aime aussi que vous mettiez d’abord en opposition le principe de « quoi penser » et celui de « comment penser », pour ensuite les proposer en complémentarité. Votre conclusion, sidérante de vérité, est pourtant mobilisatrice pour ceux et celles qui, comme nous, enseignons la musique pour former des humains plus complets et donc, malgré les aléas du métier de musicien, plus heureux. Merci d’avoir eu le mot si juste!
Monsieur Dompierre, merci de votre grand apport à la réflexion. J’aimerais ajouter à cette pensée que le développement du musicien, de l’artiste, qui participe et améliore le développement de l’humain, procède aussi de la double proximité avec la musique et avec les musiciens. C’est bien de faire écouter de la musique aux enfants, c’est encore mieux de les y faire participer. Que ce soit par les logiciels, tel que vous le proposez, ou encore, comme il se fait toujours dans certains pays européens, d’associer un enfant à un musicien d’orchestre, en répétition ou encore, de poursuivre l’apprentissage en grand groupe à l’aide de leçons privées.
Merci encore à vous trois et en avant la musique!
Lucie Mayer
Artiste lyrique et
pédagogue vocal
Je suis totalement en accord avec Yannick, l’attention et l’écoute, bref la sensibilité fine, sont les qualités d’humanité qui se perdent les premières avec la domestication. Elles sont culturellement ravies aux enfants élevés dans un univers de techniques, d’objets manufacturés, et de sons mécanisés. En fait, tous les enfants, dès le plus jeune âge, devraient passer des semaines sinon des mois, chaque année, sous la tente, dans le silence habité de la forêt, à observer et à écouter…
Je pense donc, avec Monique D Proulx, que la seule façon de faire avec les enfants, et pas seulement pour la musique, c’est de les retourner à leur corps, à travers, l’écoute active, la danse, le chant, etc. En fait, notre système d’éducation devrait d’abord en être un de rééducation et non de renforcement culturel. « Ensuite, ils pourront s’ouvrir au reste, qui est infini. »
Je suis absolument d’ accord avec les propos mentionnés ici , mais je suis curieux de voir comment les prof de musique vont aborder ce que » l’industrie musicale » offre aux jeunes ?Le speed métal par exemple ?
Tout d’abord, un immense merci M. Baillargeon pour la superbe entrée en matière offerte à Yannick Rieu et François Dompierre. Ces deux personnes ont d’ailleurs eu des influences remarquables dans mon éternel parcours d’apprentissage de la musique et de la pédagogie. D’une part, mon tout premier contact avec la musique dans un contexte d’apprentissage est redevable à M. Dompierre et son cahier d’initiation à la flûte à bec s’intitulant Je m’Amusique. Quelque douze ans plus tard, dans mon cheminement musical orienté à l’époque surtout en saxophone classique, j’ai découvert les vertus éloquentes, sensibles et communicatrices de l’héritage de Coltrane et Shorter par l’entremise de M.Rieu. Je me risque à offrir un modeste reflet de la compréhension que j’ai de la problématique qui s’explique par une pluralité de facteurs d’origines diverses, tous relatés par le merveilleux trio d’auteurs de l’article du Voir.
D’emblée, M.Baillargeon souligne la dichotomie entre deux approches (voir paramètres) musicaux. D’une part, l’utilisation du véhicule musical comme invitation à l’émancipation de la créativité, de l’humain et de la communication. D’autre part, l’apprentissage de compétences reliées à la compréhension d’un discours musical préexistant en enseignant les éléments musicaux de bases, ainsi que la littérature classique de l’histoire de la musique classique Occidentale. Je suis pour ma part d’avis qu’il s’agit d’une dialectique plutôt que d’une dichotomie car comme le dit M.Dompierre, la musique est «à la fois une science, un art et, ne l’oublions pas, un plaisir maintenant à la portée de tous». Pour ma part, je rajouterais qu’elle est également une discipline, un support de spiritualité et ne l’oublions pas, peut-être le premier outil de communication auditive entre des êtres vivants.
La question qui se pose serait donc, quel aspect de la musique serait pertinent et raisonnable d’enseigner en tenant compte des contraintes rencontrées dans les différents milieux scolaires et qui diffèrent selon l’institution, le niveau et les choix de l’enseignant. Si on prend seulement l’exemple de l’enseignement au secondaire, les raisons qui alimentent la difficulté à définir les comment et les pourquoi de l’enseignement s’articulent autour de ces points entre autres :
– les plages horaires de cours limitées qui s’amenuisent davantage à chaque année (si on regarde notre situation gouvernementale, on peut dire que le Québec est en ce moment contre la culture, contre l’environnement et contre l’égalité des humains mais c’est un autre débat)
– l’intérêt très variable des jeunes envers le format musical privilégié comme par exemple, l’harmonie de concert à l’école secondaire
– la difficulté d’apprendre un nouveau langage sur un instrument qu’on touche souvent pour la première fois
– la baisse d’intérêt consistante envers la musique instrumentale inversement proportionnelle à l’augmentation des technologies et de la commercialisation de la musique (je ne tente pas de hiérarchiser ces deux méthodes bien sûr)
– La complexité des paramètres de base de la musique, étant parfois peu sollicitée dans la vie de tous les jours (on utilise peu les notions d’harmonie, de mélodie ou de rythme de façon formelle, consciente ou réfléchie)
Quelle est l’utilité de la musique, mais surtout, de son enseignement en bas âge? Albert Jacquard disait, le but de l’école, c’est d’apprendre à rencontrer l’autre. La musique est idéale pour y parvenir. En rejoignant l’idée de Yannick Rieu sur l’importance d’apprendre à écouter, j’ajouterais l’importance d’apprendre à communiquer et finalement, l’importance d’apprendre le plaisir de s’unir pour créer et construire quelque chose. Il faudrait donc faire attention de ne pas être discriminatoire dans la façon d’enseigner la musique en ne hiérarchisant pas les différents styles ou époques, mais en illustrant leurs différences et beauté. À l’inverse, un programme n’enseignant que l’histoire de la musique classique Occidentale et laissant de côté toute la richesse de la musique d’ailleurs et provenant d’autres époques semble être une forme de racisme inconscient à mes yeux. Je crois qu’il est possible de viser un enseignement qui initie la personne aux différentes musiques, à la beauté indéniable de cet art comme mode d’expression. Également, il est intéressant de regarder les différentes façon dont la musique a été comprise et utilisée au fil du temps (rituels religieux, danses païennes, à la Cour du Roi, dans les rues, comme divertissement, etc). À mon sens, ce serait une excellente façon de permettre la libération de l’esprit dans l’apprentissage, mais le défi reste colossal.
Finalement, l’idée de noter les performances musicales est très subjective mais de plus, favorise l’esprit de compétition qui détruit le tissus social, au lieu de promouvoir un esprit de collectivité, ce qui pourrait et selon moi devrait faire partie de l’enseignement en musique.