Et voici comment
Cette histoire se passe autour de 600 av. J.-C., en Grèce.
Ce jour-là, le poète Simonide récite des vers dans une très vaste villa, composée de très nombreuses pièces où sont éparpillés un grand nombre d’invités.
Pendant qu’il sort momentanément, le toit de la maison s’écroule et tue tout le monde. Le carnage est horrible et les victimes sont à ce point mutilées qu’on pense qu’il sera impossible de les identifier. Mais, surprise: Simonide y parvient. Il réalise son exploit en parcourant mentalement les pièces de la villa en se rappelant, à chaque étape, qui s’y trouvait quand il a récité ses vers.
La méthode des loci
C’est en référence à cette histoire que l’on désigne parfois Simonide comme le créateur de la mnémonique, qui est l’art d’optimiser la mémoire – le mot vient du nom de la déesse de la mémoire, Mnémosyne. Simonide venait en effet de créer le premier procédé mnémotechnique, appelé depuis méthode des loci: on se souvient de ce qu’on veut se rappeler en plaçant mentalement ces éléments successivement dans les pièces d’une maison familière, que l’on parcourt. Essayez, vous verrez: c’est efficace.
On pourrait croire révolue l’heure de la mnémonique, et deux des plus pernicieuses légendes pédagogiques contribuent en effet à fortement minorer le rôle de la mémoire dans l’apprentissage.
La première est l’idée que, de toute façon, on pourra toujours retrouver sur Internet ce qu’on ne sait pas ou ce qu’on a oublié. La deuxième est l’idée que les connaissances seraient comme le poisson: rapidement périmées.
Ayant souvent écrit sur les raisons qui expliquent pourquoi ces idées sont si dramatiquement fausses, je ne m’y attarderai pas ici. Mais je veux suggérer que nous serions bien avisés d’apprendre à nos élèves quelques trucs mnémoniques qui leur seront sans aucun doute bien utiles – et pas seulement durant leurs études.
Je vous en proposerai cinq; et comme je vous en ai déjà appris un, allons-y pour quatre autres. Mais notons avant tout que tous les procédés mnémoniques mettent en œuvre deux principes sur lesquels repose la mémoire. D’abord, on se souvient de ce à quoi on a pensé – et pas de ce qu’on a simplement rencontré souvent (tenez: quel moyen de transport se retrouve au verso de ce billet de 10$ canadien que vous avez vu un nombre incalculable de fois?); ensuite, on se rappelle mieux quelque chose si on possède des indices clairs permettant de le retrouver.
1. Rimes et mélodie
Des rimes ou une mélodie procurent justement des indices pour se rappeler quelque chose.
Voici, par exemple, comment le petit Marcel Pagnol, grâce à un futé professeur de mathématiques, s’est toujours rappelé les trois formules suivantes:
La circonférence est fière
d’être égale à 2 π R
et le cercle est tout joyeux
d’être égal à π R²
C’est joli, charmant et efficace. Et que dire de celle-ci:
Le volume de la sphère,
quoi que l’on puisse faire,
est égal à 4/3 π R³
[ici, on marque une pause dramatique…]
… quand même la sphère serait en bois!
Une simple phase peut aussi faire l’affaire. «Mais où et (est) donc Carnior?» permet ainsi de mémoriser les conjonctions de coordination les plus courantes.
Et la musique? Quand une petite fille a eu du mal à mémoriser le poème Le petit cheval de Paul Fort, Brassens l’a mis en musique. Elle ne l’a plus oublié.
Moi non plus…
2. Acronyme
Pour ce procédé, on crée un mot familier dont chaque lettre est aussi un indice rappelant la première lettre d’une liste de mots à retenir.
HOMES est ainsi l’acronyme pour retenir les noms des Grands Lacs (Huron, Ontario, Michigan, Érié et Supérieur).
On me dit qu’ACHEVER est l’acronyme grâce auquel des pilotes d’avion se souviennent de tout ce qu’ils ou elles doivent vérifier avant le décollage (Atterrisseur/Commande, Compensateur, Carburation, Contact/Huile, etc.) Je n’ai pas vérifié…
3. Acrostiche
Cette fois, on crée une phrase dont chacun des mots commence par la lettre par laquelle débute un élément d’un ensemble dont on veut se souvenir. C’est encore mieux si la phrase est reliée à l’objet qu’on veut retenir.
Une jeune fille ingénieuse a ainsi inventé «De Jolis Intestins» pour se rappeler les trois composantes de l’intestin grêle: Duodénum, Jéjunum et Iléon.
Voici une variante, cette fois en trigonométrie, où on utilise la locution «casse-toi», mais où on l’écrit «cah soh toa». Elle permet de retenir: Cosinus = (côté) Adjacent sur Hypoténuse; Sinus = (côté) Opposé sur Hypoténuse; Tangente = (côté) Opposé sur (côté) Adjacent.
4. Mots-chevilles (ou items-pivots)
Cette technique demande que l’on établisse pour soi-même, et que l’on retienne, une liste de mots dits «chevilles», à laquelle on associera ensuite les éléments d’une liste qu’on veut mémoriser.
Voici une possible liste de mots-chevilles – je la trouve commode pour une raison évidente: ananas; boîte; chandelle; dentier; école; ferme; gourde; hache; impôt; jasmin. Notons qu’on aura parfois besoin d’une liste plus longue.
Elle sert à retenir X éléments d’une liste d’épicerie: boîte de thon; lait; salade; thé; etc. On pensera à une boîte de thon posée sur un ananas; à une boîte de lait; à une salade mangée à la chandelle, etc.
Ces trucs sont bien entendu utilisés par les personnes qui réalisent des prouesses de mémoire. Ils sont aussi à la base de certains tours de magie, et si seulement j’avais un peu plus de place, je vous en apprendrais un…
À la place, que diriez-vous de partager avec moi des exemples de trucs mnémotechniques que vous connaissez ou utilisez?
Merci d’avance. Tout le monde en bénéficiera.
Un truc anglais pour se souvenir des préfixes utilisés pour les mesures dans le système métrique:
King Henry’s Dead Mother Drank Chocolate Milk.
Kilo, Hecto, Déca, Unité (de mesure), Déci, Centi et Milli.
Banal mais vrai: je ne réussissais jamais à me rappeler du nom de la composante essentiel dans mon ordo , le fameux » disque dur » .Je me dis maintenant à chaque que je le cherche, qu’il faut bien que j’ai une méchante tête dur pour m’entêter à l’oublier…Et hop!, ça me revient.
SPA pour Socrate, Platon et Aristote. Cela m’aide à me rappeler qui était le disciple de qui. Et surtout, le fait de les imaginer trempant ensemble me fait rigoler. Les images fortes restent mieux ancrées.
En France pour les conjonctions nous disons
Mais ou et donc ornicar.
Je dirais aussi un grand merci à Brassens pour le petit cheval et tant d’autres poëmes que j’ai retenus grâce à lui.
Comme toujours vos publications sont extrêmement instructives . Merci pour vos écrits.
Stalagtite (t comme toit) en haut, donc stalagmite en bas.
Mon Vieux Tu Me Jettes Sur Une Nouvelle Planète : Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, Pluton.
Ou encore « stalagtite » qui « t »ombe et stalagmite qui « m »onte.
Dans une « ancienne vie », lorsque j’étais recrue en formation dans la réserve des Forces armées canadiennes, on devait apprendre les grades et il m’était très difficile de retenir dans l’ordre les quatre grades les plus élevés :
– Brigadier général
– Lieutenant général
– Major général
– Général
Alors je me suis fait une vidéo mentale montrant un brigadier scolaire en pleine rue (Brigadier). Puis, l’image fait le focus sur sa main qui tient le panneau d’arrêt (LieuTENANT). On zoome encore, cette fois sur ses doigts (majeur = Major), puis on revient à la vue d’ensemble, la vue générale (Général).
J’ai été dans la réserve à peine 3 ans, cela fait près de 20 ans, et je pense que même si j’essayais de l’oublier je n’y arriverais pas!
La force de la mémoire associative…qui est à la base du processus de création.
Deleuze entre autres, développe beaucoup là dessus.
Un truc utilisé jadis par les déchiffreurs de messages codés: l’acronyme ESARINTULO qui désigne, dans l’ordre, les dix lettres les plus fréquentes dans les textes en langue française. Dix lettres qui, bien sûr, ne valent pas cher au scrabble!