Prise de tête

École et sommeil de vos ados

Je voudrais aujourd’hui, avec un exemple, attirer l’attention sur quelque chose qui se produit parfois, voire souvent, dans une pratique complexe comme l’est l’éducation.

Le voici.

Notre savoir le meilleur indique qu’une voie à suivre serait préférable pour atteindre une fin généralement ou universellement admise – disons simplement: aider à ce que certains élèves réussissent mieux. En d’autres termes, la fin ne pose pas de problème et le moyen de contribuer à son atteinte est clair.

Cependant, la mise en œuvre de cette manière de faire rencontre en pratique tant de difficultés qu’on conclut qu’il faut soit y renoncer entièrement, soit l’implanter de manière partielle et imparfaite. Nous devons en ces cas faire preuve de cette incontournable vertu que le vieil Aristote appelait la phronesis, c’est-à-dire la prudence (ou la sagesse) pratique.

En ce début d’année scolaire, je voudrais donc vous parler d’un de ces cas et m’attarder à ce que la prudence recommanderait.

Dormir!

La science est formelle sur la véracité des trois idées suivantes: les adolescents ont besoin de beaucoup de sommeil; ils ne dorment généralement pas assez; et cela a des effets négatifs sur leurs performances scolaires. Daniel Willingham a récemment proposé une très accessible synthèse de la littérature scientifique sur ces questions et je m’en inspire dans ce qui suit (la référence est plus bas).

Pour commencer, donc, le besoin de sommeil.

Comme tous les autres animaux, nous avons ce besoin et on sait d’expérience combien sont lourdes les conséquences de la privation de sommeil. Mais chez les adolescents, un phénomène particulier se produit: leur chronotype change. Ce phénomène, lié aux rythmes circadiens, fait en sorte que l’on est plutôt matinal ou vespéral et concerne donc les moments où l’on est plus ou moins alerte durant un cycle de 24 heures (un petit test fait en ligne prétend vous aider à savoir de quel type vous êtes (sciav.fr/1iyPESt).

Or voilà que les adolescents, peu importe leur culture, tendent à être vespéraux, et donc à être plus alertes, et à ne pas vouloir dormir le soir. Pour compenser, ils et elles devraient donc pouvoir dormir le matin. Dans nos sociétés, ce n’est pas le cas, sauf les fins de semaine où ils et elles se rattrapent un peu.

On estime à quelque 9 heures, 9 heures et demie, le temps de sommeil qu’il faudrait aux adolescent.es. Et, en plus de toutes ces enseignantes et de tous ces parents qui rapportent de la somnolence, on dispose de données crédibles qui indiquent un manque de sommeil un peu partout, dont chez nous.

Je passe très vite sur les effets documentés de ce manque de sommeil sur les performances scolaires. En gros, et à des degrés divers, il a un impact négatif sur la mémoire de travail, sur la capacité de consolidation de nouveaux savoirs et sur l’attention. Cet impact ne semble pas énorme (quoique l’on puisse penser que la recherche à ce sujet le minimise…), mais il est réel.

Pire encore: il n’est pas déraisonnable du tout de penser que la situation empire en raison de ces nombreux bidules numériques dont raffolent nos ados. D’ailleurs, au Québec, le temps de sommeil des ados serait même passé de 8,2 heures par nuit en 2001 à 7,9 en 2010.

Que faire?

La solution la plus raisonnable serait bien entendu de prendre acte de cet impact négatif et de faire commencer l’école des ados plus tard – et rassurez-vous: ils et elles se coucheraient peut-être plus tard encore, mais l’expérience semble bien montrer, malgré tout et en bout de piste, un gain du précieux sommeil. Et le fait est que les quelques études sur la question montrent bel et bien une amélioration des performances des adolescent.es qui peuvent se lever plus tard.

Mais vous le devinez: il y a tant d’obstacles pratiques à ce changement qu’on n’est pas près de l’implanter. Pensez simplement aux exigences de l’implantation d’un nouvel horaire, commençant à 9h30 ou 10h et ses conséquences, comme harmoniser l’horaire des parents, celui des enfants plus jeunes, du transport scolaire, des commerces, des activités parascolaires et autres, et vous aurez une bonne idée du casse-tête. Le jeu, ici, ne vaut peut-être pas la chandelle…

Que faire, alors? Que recommanderait la fameuse sagesse pratique?

Voici quelques idées.

Des solutions praticables

On pourrait placer en début de journée des cours moins exigeants – je n’entre pas dans le débat consistant à les identifier et ne m’offre surtout pas comme arbitre dans une salle de profs…

On pourrait encore y placer ces cours que les adolescents ont choisis, en présumant que cela sera un incitatif à dormir suffisamment pour y venir plus éveillé.

Mais en attendant, il reste aux parents des avenues prometteuses. En voici quelques-unes, rapportées par Willingham.

Fixer une heure pour aller au lit et s’y tenir: en ce cas, les ados qui y sont astreints dorment en effet plus que les autres.

«Ritualiser» l’heure du coucher, ce qui fournit à l’horloge interne des ados des indices qu’il est temps de dormir.

On inclura bien entendu parmi ces indices un moment (une heure ou deux avant d’aller rejoindre une chambre calme et sombre…) où il n’est plus permis de se servir de bidules numériques et qui seront interdits dans la chambre. Sachez-le: c’est une drogue dure à accoutumance. Mais c’est un autre sujet…

Le calendrier, à présent

Voilà donc des solutions empreintes de «sagesse pratique» – et il y en a sans aucun doute d’autres.

Posons à présent un autre problème, qui demande un traitement semblable. Chacun le sait: nous ne sommes plus à l’époque où les enfants devaient travailler aux champs l’été. Et tout donne à penser qu’il se produit bien, l’été, pour les plus faibles des élèves en particulier, un oubli notable de ce qui est appris durant l’année.

Il conviendrait donc de repenser en conséquence le calendrier scolaire, sans doute de l’étaler sur l’année.

À vous de jouer:

Cependant, s’y opposent, en pratique…

Dès lors, la prudence recommanderait…

Une lecture: 

Daniel Willingham, « Are Sleepy Students Learning », American Educator, Hiver 2012-2013, pp. 35-39. Accessible à : https://www.aft.org/sites/default/files/periodicals/Willingham_1.pdf