Prise de tête

Maths ludiques (et même utiles)

Le courriel trompeur

Vous recevez sans doute parfois, par courriel, de ces publicités où des conseillers en placement vantent leur efficacité et vous invitent à leur confier vos économies. Adepte de la pensée critique, vous restez avec raison méfiant devant de telles propositions.

Voici un plan aussi diabolique que malhonnête qui peut servir à recruter des clients qui seront arnaqués. Son efficacité repose en partie sur notre difficulté à penser clairement en termes de grands nombres. Le savoir est très utile.

Imaginez que vous recevez par courriel, et gratuitement, durant six semaines d’affilée, des prédictions concernant la bourse qui annoncent la hausse ou la baisse de certaines actions. Or ces prédictions, vous le découvrez après coup, se sont toutes avérées parfaitement exactes et elles eurent donc été rentables si vous aviez investi en vous fiant à elles. La septième semaine, un nouveau courriel vous parvient et votre correspondant explique cette fois qu’il croit avoir amplement fait la preuve de l’efficacité de son service et vous demande de payer pour la prédiction de la semaine en cours.

Accepterez-vous de payer, disons 5$, pour ce nouveau courriel? Vous auriez probablement tort de le faire. Voici en tout cas comment des personnes malhonnêtes pourraient procéder – et vous remarquerez comment ce qui semble fantastique vu avec le petit bout de la lorgnette cesse de l’être sitôt qu’on l’examine avec une lunette à large vue.

Vous avez accès à une liste d’envoi dont on conviendra qu’elle comporte 32 000 adresses de courriel. La première semaine, vous envoyez à 16 000 adresses un message qui prédit qu’une certaine action va monter et à 16 000 autres, un message qui prédit qu’elle va au contraire descendre. La deuxième semaine, vous écrivez aux 16 000 adresses qui ont reçu la prédiction qui s’est avérée exacte. À 8000, vous faites une nouvelle prédiction de hausse de l’action, et aux 8000 autres, une prédiction de baisse de l’action. La troisième semaine, vous écrivez aux 8000 qui ont reçu la bonne prédiction. Et ainsi de suite. À la septième semaine, vous écrirez à 500 personnes qui reçoivent, depuis 6 semaines, vos prédictions toujours exactes. Si elles acceptaient toutes de payer 5$ pour votre prédiction de la semaine, vous toucheriez 2500$.

 

Illusion de précision extrême

Bombardés de chiffres comme nous le sommes, nous devrions toujours nous méfier de l’illusion que procure une précision extrême, mais improbable. Pour m’y aider, je garde toujours en mémoire le principe suivant: quand les mesures (ou même une seule d’entre elles) sont imprécises, un résultat final ne peut être plus précis que ces mesures. Pensez à ce savon pur à 99,99%; à ces 32,4 mg de ceci dans une portion de cela que je viens de cuisiner avec mes imprécis instruments de mesure de volumes et de poids.

L’histoire qui suit illustre ce principe :

— Je me demande quel âge peuvent bien avoir ces fossiles, dit à voix haute le visiteur du Musée de la science.

— 2 000 006 ans, répond du tac au tac le gardien.

— Comment le savez-vous?, s’enquiert le visiteur surpris.

— Facile, dit le gardien. On m’a dit qu’ils avaient deux millions d’années quand j’ai commencé à travailler ici, et c’était il y a exactement six ans.

 

Le sommet de la sollicitude

Vous connaissez cette courbe normale, en forme de cloche et dite de Laplace-Gauss. Il est certains phénomènes que l’on peut penser régis par une telle distribution, mais qui se présentent avec une petite irrégularité, bien connue des statisticiens – certains l’ont même baptisée le «sommet de la sollicitude» (peak of charity). Voici qui aidera à comprendre de quoi il en retourne.

Imaginez que lors d’un examen subi par un très grand nombre de candidates et de candidats, les résultats se laissent distribuer selon une courbe normale si ce n’est d’un soudain accroissement au niveau du seuil de passage.

Il y a à cela une explication très simple que l’œil exercé va aussitôt envisager: les correcteurs auront tendance à se montrer généreux dans l’allocation des points pour les candidats tout près de la note de passage. Et que dire de cette brusque modification de la courbe des tailles des hommes, en France, notée par Quetelet, juste autour du point (1,57 mètre), c’est-à-dire la taille où se décidait si vous étiez conscrit ou pas.

 

Le nénuphar

Un nénuphar tropical très particulier double de surface tous les jours. Si vous le placez dans un certain lac, il le recouvrira entièrement au bout de 30 jours.

À quel moment couvrait-il la moitié de la surface du lac?

 

Le dollar disparu

Voici une énigme entendue à un spectacle de Fred Pellerin.

Trois personnes prennent chacune une chambre dans une auberge, chambres qu’elles paient chacune 10$ – soit 30$ au total. En faisant ses comptes, plus tard ce soir-là, l’aubergiste s’aperçoit qu’il aurait dû leur facturer 25$. Il envoie donc un chasseur rendre aux clientes 5$. Malhonnête, celui-ci rend un dollar à chaque cliente et empoche 2$. Les clientes ont donc payé 27$ pour leurs chambres. Le chasseur a empoché 2$. Un dollar a donc disparu. Pouvez-vous le retrouver?

 

Les solutions:

1. Le nénuphar: on répond souvent spontanément 15 (c.-à-d. 30/2), mais la bonne réponse est au 29e jour. Le jour précédent, en effet, le nénuphar couvre la moitié du lac – le lendemain, il double et couvre le lac tout entier.

2. Le dollar disparu: c’est la formulation du problème qui induit en erreur, de sorte qu’on ne peut attendre de l’opération 27+ 2 qu’elle donne 30. Les 27$ représentent pour les clientes non le prix de la chambre, mais celui de la chambre et du bonus que s’est octroyé le chasseur. Ce montant représente les 30$ qu’elles ont d’abord dépensés et les 3$ qu’on leur a rendus. La comptabilité, qui est tout de même utile à quelque chose, rend cela très clair. Initialement, l’aubergiste a un revenu de 30$, et les clientes, une dépense de 30$. Lorsque l’aubergiste rend 5$, il a un revenu de 30$-5$=25$. Lorsque le chasseur remet 3$ aux clients, leur dépense est maintenant de 30$-3$=27$. La différence entre les deux est de: 27$-25$=2$, ce qui correspond au montant empoché par le chasseur.