Les ministres de l’Éducation, au Québec, se succèdent à un rythme si rapide que j’ai à peine le temps d’écrire au nouveau ministre le mot de bienvenue qui s’impose – accompagné comme il se doit de quelques suggestions.
Mais à vrai dire aussi, cela importe peu, puisque mes suggestions sont (et resteront encore longtemps, je le crains) chaque fois les mêmes.
La même nomenklatura, les mêmes enjeux, les mêmes impasses
Prenez celles que j’adressais à M. Blais il y a peu.
Je les reprendrais et les adresserais sans rien en retrancher à M. Moreau. Je lui dirais donc, notamment, que le ministère dont il hérite est dirigé par une funeste alliance, cette singulière et puissante nomenklatura composée de ses fonctionnaires et de facultés universitaires d’éducation, qui ont maté plus d’un ou d’une ministre et qui ont réussi ce tour de force de non seulement concevoir une réforme aussi mauvaise que mal informée, mais aussi de l’implanter.
Je suis de près le monde de l’éducation depuis très longtemps et n’ai pas de souvenir d’une ou d’un ministre qui s’est imposé et a laissé sa marque. Guère de souvenir, non plus, d’une personne qui aurait donné l’impression, en arrivant, d’avoir une vision claire et articulée de ce qu’est l’éducation – si on excepte Claude Ryan ou, pour remonter plus loin, M. (car c’est un grand monsieur…) Paul Gérin-Lajoie –, du rôle qu’elle joue dans une société et de ce que tout cela implique pour les politiques publiques que doit piloter le ministère de l’Éducation.
Au total, je pense, et il y a bien peu de place pour le doute, que ce sont moins les ministres qui dirigent ce ministère – qui n’est de toute façon pas pour nos élus la priorité qu’il devrait être – que les fonctionnaires qui dirigent les ministres. Madame Marois, par exemple, n’a en rien piloté la réforme attachée à son nom : elle y a seulement acquiescé.
La funeste alliance, le Mammouth, comme disent nos cousins français, est devenue une sorte de machine bureaucratique sans vie, sans vision. On y cache des données, on y déploie un amateurisme consternant, on improvise, on méconnaît les données probantes et la recherche crédible et on ne réussit plus à proposer des projets crédibles et emballants aux acteurs du monde de l’éducation.
L’éducation libérale risque de ne pas être trop libérale…
Le règne qui commence est loin de m’inspirer confiance.
En sus des difficiles problèmes que ses prédécesseurs ont rencontrés sans pouvoir les résoudre, le nouveau titulaire semble porter une vision de l’éducation qui n’a pas beaucoup de choses pour rassurer.
On peut s’inquiéter, par exemple, du sort que fera M. Moreau à la formation générale dans les cégeps, quand on sait qu’il s’est déclaré en faveur de leur abolition, une institution remarquable et cruciale partout au Québec, mais tout particulièrement en région.
D’autant que son parti politique semble porté à la fois vers la privatisation des services publics et vers une vision utilitariste de l’éducation, transformée en pourvoyeuse de salariés pour le monde des affaires. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que la vision de l’éducation que l’on baptisait autrefois libérale s’oppose en tout point à celle-ci.
L’éducation, dans une conception libérale au sens classique du terme, doit rendre une personne autonome et donc libre. Ce joyeux paradoxe qui fait que l’éducation des libéraux risque de ne pas être trop libéralenous offre une des rares occasions de sourire devant ce qui se passe en éducation au Québec…
Une proposition
On manque de vision de l’éducation au Québec, et il nous faut impérativement un ministre qui en a une, qui la porte et qui la partage avec enthousiasme et conviction.
Et l’expérience récente montre même qu’un appel au public, sous la forme d’états généraux, est incapable de combler ce manque puisque même si le public y réaffirme son attachement à une vision libérale de l’éducation, la nomenklatura accouchera d’une réforme qui contournera ces légitimes demandes.
Un début de sortie de cette impasse se trouve peut-être dans deux suggestions que je faisais à François Blais et que je ferai donc de nouveau à Pierre Moreau.
Les voici.
Si j’étais vous, je m’entourerais d’un comité de sages, d’un «dream team», d’une équipe d’experts réellement indépendants, composée de gens qui connaissent parfaitement bien les résultats de la recherche en éducation, de philosophes, de spécialistes des sciences cognitives, d’enseignants réputés, de spécialistes des disciplines enseignées à l’école.
Une vingtaine de personnes environ, guère plus. Leur mission : assurer que les décisions prises sont fondées sur une idée la plus claire possible de ce qu’on veut accomplir et reposent sur des données probantes.
Ma deuxième suggestion est la suivante. Vous devriez exiger des facultés d’éducation qu’elles se recentrent sur la formation des maîtres : c’est que des maîtres mieux formés auront, dans la longue durée, un réel impact positif sur l’éducation au Québec. Penser à la manière d’y arriver serait une des premières tâches de votre «dream team».
Bienvenue dans la fosse aux lions.
Vous êtes toujours aussi pertinent et rigoureux dans vos propos, M. Baillargeons.
Je souhaite vous encourager à poursuivre vos efforts d’influence à ce sujet et vous remercier d’éclairer nos lanternes.
Bon courage, tenez bon!
Mme Lyrette