En dépit des critiques avancées de manière presque unanime par les personnes qui, cet automne, se sont exprimées au sujet du projet de loi 59 sur la prévention du discours haineux, le gouvernement ira de l’avant.
C’est, à mes yeux, aussi surprenant qu’inquiétant.
Pierre Trudel rappelait récemment que la principale modification apportée au projet de loi concerne l’ajout d’une définition de ce qu’est un discours haineux. Cette définition est inspirée d’une décision rendue par la Cour suprême.
La voici: «Est un discours haineux le discours (…) qui aux yeux d’une personne raisonnable est d’une virulence et d’un extrême tel qu’il est susceptible d’exposer ce groupe à la marginalisation ou au rejet, à la détestation, au dénigrement ou à l’aversion notamment pour que ce groupe soit perçu comme étant illégitime dangereux ou ignoble.»
La question de savoir si l’on peut restreindre la liberté d’expression pour une telle raison est chaudement débattue. Les médias sociaux et leurs débordements – une certaine donne politique où se mêlent notamment médias populistes, xénophobie et rectitude politique, l’affaire Ward-Jérémy, entre tant d’autres choses – lui donnent une certaine urgence. D’autant qu’on la retrouve aussi en ce moment même au cœur de vives controverses dans les universités, surtout anglophones, où elle est posée à travers des pratiques comme «no platform», «safe space» ou la critique des «microagressions» qui, toutes, limitent ce qu’on peut dire.
Pour vous aider à vous faire une idée, je vous propose un survol des grandes positions dans ce débat.
Le principe de tort
La défense classique de la liberté d’expression par J.S. Mill (De la liberté, 1859) n’envisage de la limiter que si un tort direct à la personne ou à ses droits est prévisible et imminent: c’est, en gros, ce que pose le fameux principe de tort.
Mill prend l’exemple de l’idée que les producteurs de grains affament le peuple. Rien, selon lui, ne justifie en général qu’on interdise de la dire ou de l’écrire; mais devant la maison d’un producteur de grains où se trouve une foule en colère prête au lynchage, on pourra justifier cette interdiction.
Partant de ce principe, on peut imposer des limites à la liberté d’expression: mais elles sont rares. Ce peut être le cas pour le chantage, la diffamation, certains mensonges commerciaux, par exemple en publicité. Mais la préservation de la liberté d’expression est jugée d’une si immense importance que la limiter demande de solides arguments. Notez ici que la faillite du marchand de grains qui serait causée par sa dénonciation écrite ou verbale comme affameur du peuple ne sera pas une raison suffisante pour interdire ce propos.
Je vois mal comment, de ce point de vue, l’État peut être justifié d’interdire un discours jugé haineux par une personne ou un groupe. Il faudrait pour cela montrer non seulement que la marginalisation, le rejet, la détestation, le dénigrement, l’aversion, etc. sont des conséquences prévisibles, immédiates, objectives à ces propos, mais, aussi et surtout, qu’ils causeront le type de tort précisé plus haut à la personne et à ses droits.
Grosse commande, à mon avis…
Le principe d’offense
Une deuxième piste s’ouvre avec le principe d’offense, défendu par Joel Feinberg.
On soutient ici que le principe de tort ne va pas assez loin et qu’il faut aussi considérer le caractère intentionnellement offensant d’un propos: s’il est important, s’il cause un profond malaise, cela pourra justifier son interdiction.
Comment en décider? Sur quels critères?
Difficiles questions. On y répond en évoquant notamment la durée, l’intensité, l’ampleur de la diffusion du propos offensant, ainsi que l’intention de l’émetteur; on se demandera s’il était possible aux offensés de ne pas l’entendre et s’ils peuvent adéquatement répondre à leurs détracteurs; enfin, combien de gens sont affectés. Et on pondérera tout cela en prenant aussi en compte des choses comme l’intérêt de la communauté et la valeur de la liberté d’expression.
On peut ainsi imaginer des cas où on voudra limiter certains actes de parole. Mais on se retrouve vite ici avec des difficultés d’application qui tiennent à l’indétermination de ce qui est offensant et à la grande variété des sensibilités à ce sujet. Une caricature de Mahomet est-elle offensante? L’interdiction de sa publication l’est-elle?
Dans le cas du PL59, ces difficultés risquent d’être gigantesques. Pierre Trudel expliquait en effet, et je le cite, à propos d’une chronique de Denise Bombardier, que «si le projet de loi 59 était devenu loi, rien n’empêcherait une personne de traîner la commentatrice devant la Commission des droits de la personne. Le PL59 garantit même l’anonymat aux "dénonciateurs" de propos qu’ils imaginent haineux. Il leur suffit de se mettre dans la tête que le propos est haineux, de loger une plainte sous l’anonymat et le tour de bâillon est joué!»
L’argument de la défense de la démocratie
Un troisième argumentaire avance qu’il est souhaitable de limiter la liberté d’expression pour des discours haineux lorsque ceux-ci sont incompatibles avec les valeurs sur lesquelles repose une société démocratique: égalité des droits, respect dû aux personnes, possibilité réelle de s’exprimer, par exemple.
Les défenseurs de cette idée font valoir que l’on doit, en tenant compte des circonstances, du contexte et des institutions concernées, soigneusement peser les valeurs respectives de la liberté d’exprimer des idées controversées ou offensantes et de l’égalité des droits, du respect dû aux personnes, de la possibilité réelle de s’exprimer, etc.
La conclusion ne sera pas la même si on considère un universitaire s’exprimant en classe sur un sujet, un curé parlant en chaire, un journaliste parlant de science en ondes, un quidam parlant de l’Islam sur sa page Facebook, etc.
Mais alors, me semble-t-il, la législation et le règlement que nous avons déjà couvrent tout cela, et PL59 est superflu.
Et vous?
Je ne suis pas juriste, mais je pense, à tort peut-être, que ce qu’on nous demande d’accepter est aussi énorme que superflu (compte tenu des lois existantes); que cela créera une atmosphère malsaine pour la tenue de la conversation démocratique et constituera une vraie menace à la liberté d’expression, dont la valeur me semble incommensurablement plus grande que les rares bénéfices qu’on tirerait de cette législation – en plus de tous les dommages qu’elle causerait.
On se demande alors vraiment pourquoi le Parti libéral persiste dans cette grave et désolante erreur.
À votre avis?
Cette loi est abominable et ne sera utile qu’aux intégristes pour faire du djihad juridique contre tout discours qui leur déplaît.C’est inacceptable.
La ministre Vallée doit démissionner.
Vous avez tout à fait raison. En plus, cette loi est présentée officiellement comme voulant empêcher la radicalisation. Or, il n’en est rien, nulle part dans le texte du PL 59, le mot radicalisation n’apparaît. On voit bien là que cette loi a un objectif inavouable qui est de limiter la liberté d’expression des Québécois et Québécoises qui luttent contre les groupes extrémistes.
Je suis d’accord!!!
Je trouves que l’argument de la défense de la démocratie plus progressif et optimiste que le fait de se prononcer sur un sujet et de devoir à juger et possiblement se censurer par peur que le propos soit offensant à outrance même s’il pourrait être positif. Enfin, peut-être devrons-nous faire confiance à l’intelligence.
Merci à vous . Salutations.
L’état bâillon à pensée unique, totalitarisme en herbe. Imaginons que le groupe visé soit le gouvernement et que ce dernier, décide avec la pondération et l’incommensurable capacité de jugement et d’analyse qu’on lui connait, qu’à ses yeux de groupe raisonnable la critique dont il est l’objet soit d’une virulence et d’un extrême tel qu’il est susceptible d’être exposé à la marginalisation ou au rejet, à la détestation, au dénigrement ou à l’aversion notamment pour qu’il soit perçu comme étant illégitime dangereux ou ignoble…
Méfiance quand tu nous tiens. Votre question s’adresse aux motivations du législateur, en fait du parti politique (le chef) mettant de l’avant un tel projet de loi.
Habituellement, tous les partis politiques ne sont motivés que par le désir de se faire réélire : soit par clientélisme idéologique, le bien-paraître, etc.
Le discours haineux, réduit à sa plus simple expression, est un exutoire salvateur qui libère ceux qui se sentent brimés, impuissant. Dieu soit loué que dans notre système de liberté d’expression, ce mécanisme existe.
Pour toute personne raisonnable, la réaction normale à l’insulte est la compassion pour quelqu’un qui n’a pas d’autres moyens pour décharger son trop plein.
Presqu’un réconfort pour tous ceux qui peuvent prendre l’insulte sans broncher sachant fort bien que c’est le signe personnel de l’atteinte d’une maturité qui n’est pas donnée à tout le monde.
Une personne qui à mon point de vue incarnait très bien cet état, était monsieur Charest. En contrepartie, un chef qui permet un tel projet de loi est par définition un faible se cachant derrière une parure.
Je crois que l’adoption de cette loi résulte d’un marché conclu entre Couillard et certains groupes de pression d’obédience musulmane, question de votes.
je suis tout à fait d’accord avec vous et voilà pourquoi il nous faut nous y opposer farouchement!
Je suis d’accord avec vous….
A mon avis, le parti libéral veut soigner sa clientèle multiculturaliste.Je ne comprend que trop bien où ils veulent en venir. faire en sorte que tout le monde aura peur de parler par peur des conséquences surtout économiques que pourront avoir leurs propos et opinions légitimes.
Une loi pour faire plaisir aux futurs électeurs au détriment des électeurs déjà en place.
À mon humble avis ce projet de loi 59 fait partie du projet beaucoup plus vaste et dangereux du « Patriot Act » des États-Unis et la Loi Antiterroriste du Canada, le but avéré ou non est de minimiser les principales différences entre les deux approches législatives. Ajouté au code de la LAT du Canada la loi 59 donne plus de l’attitude aux avocats et procureurs du 1 % et plus de mordant aux agents de la paix du nouvel ordre mondial. Un outil de plus pour semer la confusion, le caho et le bordel….
Speak War
Il est si beau de vous voir
«By the dawn’s early light»
Vous lancer à l’assaut de la mort
De cinq cent mille enfants
Et d’entendre dans la nuit des temps
«Oh say can you see» la secrétaire d’État
« It’s all right, it’s Albright » vous dire
« It was worth it… »
Et en plus, les frais d’avocat ou autres de celui qui dépose la plainte seront assumés par le gouvernement alors que celui contre qui la plainte est émise de devra assumer seul l’ensemble des frais. Ce qui fait que peu de personnes accusées seront en mesure de se défendre.
Discours,propos haineux etc….Deux poids deux mesures ! Mais à vouloir légiférer tant qu’à faire que deviennent les écrits haineux contenus dans certains ouvrages ou livres religions revendiquant professant et propageant des paroles et la haine des autres et ce quotidiennement par leurs adeptes à l’encontre d’autres groupes de personnes ne pensant pas forcément comme eux et ne désirant pas être soumis à un mode de vie et de pensée ou croyance contraire à leurs aspirations et libre arbitre sans bien sûr entraver celle des autres .A bon entendeur.
Question: « On se demande alors vraiment pourquoi le Parti libéral persiste dans cette grave et désolante erreur. »
Réponse: « (…) que cela créera une atmosphère malsaine pour la tenue de la conversation démocratique ».
Voilà.
quand on ne comprends pas une adéquation….l’argument massue c’est la liberté d’expression (quand t’es plus capable de faire taire celui qui t’énerve c’est la bagarre)
Je pense que ce projet de loi est voulu pour protéger l’intégrisme religieux.
Cette loi n’aide pas du tout, très difficile de faire la part des choses, entre le droit de dire des choses qui amènent à avoir le droit d’agir comme battre sa femme car sa religion le permet, et de se moquer verbalement et ou en dessin un représentant d’une religion… Il y a une responsabilité à réfléchir comme société, de faire la différence entre dire des opinions qui ne proposent aucune violence direct sur la personne et dire des choses qui disent que la violence est nécessaire… Pour moi la violence n’a aucune place dans notre société même dans une maison privée….
Une loi qui va servir a nous empêcher de dire ce que l’on pense. Les islamistes vont nous accuser de discours haineux tout simplement parce qu’on rejette l’islam. Pour eux, le rejet, mène a la colère et a la violence. On a jamais eu besoin de loi jusqu’au jour ou eux, on commencé a faire des pressions parce que ils ne veulent pas s’intégrer. Ils se considèrent différent (supérieurs) de nous.
Remarquable est la façon dont le blogueur, qui se réclame pourtant de la devise anarchiste «Ni Dieu, ni maître», s’abstient soigneusement d’écrire ici le mot «religion». C’est ce qui s’appelle tourner autour du pot. Car enfin, Normand Baillargeon ne saurait ignorer ce dont il s’agit dans ce projet de loi: criminaliser le blasphème. Quel contraste avec la belle intransigeance d’un Raoul Vaneigem, cet anarchiste belge qui osait écrire: «Nous voulons en finir avec le sacré. (…) La fin du sacré postule une absolue tolérance de toutes les croyances et de toutes les idées, même les plus aberrantes, les plus stupides, les plus odieuses, les plus ignobles, à la condition expresse que, demeurant en l’état d’opinions singulières, elles ne prétendent s’imposer ni aux enfants ni à ceux qui ne souhaitent pas les recevoir. La fin du sacré implique aussi le droit de critiquer, railler, ridiculiser toutes les croyances, toutes les religions, toutes les idéologies, tous les systèmes conceptuels, toutes les pensées. Le droit de conchier tous les Dieux, tous les messies, prophètes, papes, popes, rabbins, bonzes, pasteurs et autres gourous. (…) Nous voulons apprendre à rire de tout parce qu’au rictus de l’être déshumanisé nous préférons un rire qui soit enfin le propre de l’homme découvrant son humanité. Tolérance pour toutes les opinions, intolérance pour tout acte inhumain.» («De l’inhumanité de la religion: essai», Paris: Denoël, 2000, p. 174-178). Que dire de plus?