Prise de tête

Un peu de modafinil pour vos examens?

Depuis des temps immémoriaux, artistes, écrivains, philosophes, scientifiques et autres ont, comme bien des athlètes, eu recours à des «stimulants» pour accroître (ou penser accroître…) leurs performances – en ce qui les concerne, des performances intellectuelles.

C’est évidemment toujours le cas.

Parmi ces stimulants, le café vient d’abord en tête, et il est encore aujourd’hui consommé, par à peu près tout le monde. Puis la nicotine. Puis l’alcool. Puis les «boissons énergisantes». Puis les amphétamines – je me souviens de Sartre avouant être un grand consommateur de Corydrane. Freud a quant à lui consommé de la cocaïne…

On continuerait sans mal (et ce serait amusant et instructif…) la liste des stimulants auxquels ont eu – ou ont encore – recours d’innombrables artistes, créateurs, écrivains.

Mais le répertoire des médicaments promettant d’accroître les facultés intellectuelles s’est depuis quelque temps étendu et il semble bien y avoir, notamment, dans les milieux des études supérieures, une augmentation de leur consommation.

De nos jours…

En certains cas, ces médicaments (Ritalin, Concerta, Vyvanse, Aderrall, Aricept…) sont pris sur prescription médicale, notamment dans les cas de TDAH.

Mais il semble aussi, si du moins on en croit les études consacrées au sujet (et il y en a), qu’augmente aussi la consommation de ces médicaments par des gens à qui on ne les a pas prescrits (ils sont alors achetés sous le manteau…), à des fins, par exemple, d’accroître leur concentration ou la durée des séances d’étude, en particulier à l’approche des examens.

Le phénomène est jugé, par les personnes compétentes pour se prononcer (je n’en suis pas…), assez répandu pour être préoccupant et soulever de bien graves questions. On devine sans mal certaines d’entre elles – sur la compétitivité en milieu universitaire, sur la pression qu’on y vit – sans oublier la possible dangerosité de ces pratiques (troubles du sommeil, anxiété, etc.), faites sans prescription, sans supervision médicale et sans dosage établi par un professionnel.

Tous ces stimulants… stimulent sans doute: ils aident à rester éveillé et possiblement concentré. Mais on ne dirait pas qu’ils peuvent vraiment augmenter les capacités cognitives, au sens, pour aller vite, de procurer un plus grand QI.

Voilà cependant qu’une nouvelle étape est peut-être sur le point d’être franchie sur la voie de la découverte de médicaments permettant, cette fois, une réelle amélioration des capacités cognitives – ce qu’on appelle en anglais des smart drugs.

La revue Scientific American rapportait en effet, il y a peu, de surprenants mais plausibles résultats à propos d’un de ces médicaments: le modafinil.

C’est, explique-t-on, un médicament utilisé pour traiter des troubles du sommeil, comme l’apnée du sommeil ou la narcolepsie. Mais voilà qu’on rapporte avoir des indices qu’il augmente aussi les capacités cognitives lors de tâches complexes et difficiles. Le modafinil pourrait donc avoir un effet positif sur les fonctions cognitives supérieures, sur l’attention, sur l’apprentissage. Il semble même que bien des personnes au courant de cette possibilité ont conclu que c’est bien le cas et en prennent déjà à cette fin.

Tout cela pose des questions médicales à propos desquelles je ne peux rien dire, mais pointe aussi vers des questions éthiques, des questions qui pourraient plus vite qu’on le pense devenir incontournables – par exemple, dès lors qu’augmenter le QI serait une véritable possibilité.

Des enjeux éthiques déjà présents…

Admettons que les stimulants actuels sont efficaces – sinon pour rendre plus intelligent, au moins pour aider à mieux étudier et se concentrer (ça semble le cas…) – et qu’ils le sont en effet pour ceux et celles qui en prennent sur prescription. Doit-on en permettre l’usage aux autres, qui n’en ont pas médicalement besoin?

Si on répond oui, on court le risque de créer deux catégories d’étudiants: ceux et celles qui peuvent se payer ces stimulants et les autres. Faut-il alors, au nom de l’égalité des chances, les rembourser par une assurance médicaments afin de les rendre accessibles à tous les étudiants qui veulent en prendre? Et puisque personne ne devrait être privé de cet avantage qu’auraient les étudiants, pourquoi ne pas offrir ces stimulants à toute personne qui désire les prendre? Mais vous préférez peut-être qu’on leur vende et qu’on les soumette à une logique de marché? Nouvel enjeu éthique…

Vous pensez peut-être, au contraire, que la vente ou la distribution de ces stimulants devrait être contrôlée. Qu’il faut peut-être les interdire, comme les drogues dures? Bonne chance! Ou les tolérer, comme des drogues «douces», la nicotine ou l’alcool? Mais voici de retour les inégalités évoquées plus haut, cette fois-ci de manière accentuée.

Vous pensez ces questions nettement prématurées? Attendez un peu…

… et à venir, voire à nos portes…

Ce que le modafinil annonce peut-être, c’est l’entrée, que plusieurs prédisent pour prochaine, dans l’ère des nootropes, ces médicaments promus, en particulier par les adeptes du transhumanisme, parce que réputés augmenter les capacités cognitives.

Elle coïncide avec l’entrée dans cette ère de l’amélioration génétique des êtres humains et des bébés à la carte, choses que rend réellement possible, dans un avenir proche, une enzyme appelée CRISPR-Cas9, qui est une sorte de ciseau à ADN permettant de modifier facilement et à faible coût le génome.

Faudra-t-il permettre tout cela? L’interdire? Le contrôler? L’offrir à tout le monde? Qu’en sera-t-il de l’égalité des chances?

Vastes, bien vastes et bien difficiles questions.

Pour y voir plus clair, il me faudrait peut-être une bonne dose de modafinil…