Prise de tête

Un vaccin de pensée critique?

Former des êtres humains autonomes: voilà un sérieux candidat au titre de finalité qui ferait l’unanimité en éducation.

Un noble idéal, mais difficile à atteindre

Ce qu’on entend par une telle autonomie, c’est notamment que les êtres humains ainsi formés seront, armés de tout ce qu’ils auront appris, capables de «penser par eux-mêmes», comme on dit souvent.

Cela signifie surtout qu’ils et elles seront en mesure de résister aux sirènes de la propagande et de l’endoctrinement ou, en un mot, à tous ces séduisants discours qui cherchent à nous convaincre de demi-vérités, de propositions discutables et parfois, même, carrément de faussetés. En d’autres termes, ces personnes seront des penseurs critiques, par quoi il faut entendre des personnes qui réagiront convenablement à de bons, à de moins bons et à de mauvais arguments.

La chose, hélas, est plus facilement souhaitée que réalisée et on comprend désormais de mieux en mieux pourquoi il est si difficile de former des penseurs critiques – ou d’en devenir un soi-même.

Par exemple, on sait que la pensée critique, qui est une activité intellectuelle de haut niveau, est aussi pour cette raison spécialisée, c’est-à-dire qu’elle requiert pour s’exercer du savoir dans le domaine concerné et prend une forme particulière dans ce domaine. Faute de posséder ce savoir, vous aurez du mal à – voire ne pourrez pas – «penser critique». Pour vous en convaincre (et pour prendre un exemple extrême), vous qui êtes un remarquable penseur critique en histoire du Québec, allez lire un texte de mécanique quantique…

Propagande contre citoyens éclairés

Mais la pensée critique rencontre aussi, sur le terrain social et politique, des obstacles d’un autre genre. Cette fois, elle doit en effet affronter le mensonge délibéré de la propagande. Il arrive que cela ait une importance gigantesque.

Prenez par exemple le réchauffement climatique anthropique (RCA).

Les enquêtes menées auprès des scientifiques concernés ne laissent plus de place au doute – si jamais il y en eut: il y a en effet une quasi-unanimité parmi eux pour soutenir que la planète se réchauffe et que l’activité humaine joue un rôle important dans ce réchauffement, de sorte que nous devons agir et que le plus tôt sera le mieux.

Des chiffres? En 2009, une étude arrivera à un consensus de 97,4%. En 2010, on l’établira entre 97 et 98%. En 2013, on aboutira à 97,1%. En 2015, à 96,7%. Cette année, une synthèse des travaux publiés sur la question arrive elle aussi, sans surprise, à un consensus autour de 97%. (Les sources sont données dans John Cook, «A Skeptical Response to Science Denial», Skeptical Inquirer, Vol. 40, no 4, juillet-août 2016, p. 55-57.)

Hélas! L’important message ne se rend pas au public, notamment aux États-Unis, et dans une moindre mesure ailleurs aussi, y compris au Canada et au Québec. Dans la population, on estime en effet le consensus scientifique plus faible qu’il ne l’est en réalité et certains doutent même de l’existence du RCA. C’est un véritable drame.

Il y a de nombreuses causes, parmi lesquelles le manque de culture scientifique, mais aussi, il faut le dire, l’énorme machine propagandiste mise en place par les pétrolières et consorts. Celle-ci a fort habilement misé sur l’entretien du doute du RCA. Le but est de laisser croire qu’il y a matière à débat du RCA, qu’il n’y a pas de consensus, et partant aucune nécessité d’agir. Et ça marche.

Comment contrer cette propagande? Comment enrayer cette mortifère machine? Comment réveiller le penseur critique dans le citoyen endoctriné? Nos efforts à ce jour (vulgariser le RCA, rappeler le consensus à son sujet, évoquer ses prévisibles effets…) n’ont pas eu les résultats espérés. Et la recherche montre ceci qui est une confirmation que les pétrolières ont visé juste. Lorsqu’on explique à des gens le consensus scientifique, ils pensent que le RCA est réel. Mais si on transmet le même message accompagné de fausses informations niant la réalité du RCA, les deux messages s’annulent!

Comment communiquer plus efficacement, alors?

John Cook, cité plus haut, m’apprend une piste de solution qui me semble prometteuse. Elle repose sur une sorte d’équivalent pour la pensée critique du vaccin pour les microbes.

Le vaccin

Un vaccin vous met en contact avec une forme atténuée d’un microbe qui prépare votre organisme, qui le reconnaîtra, à lutter contre sa forme virulente si jamais elle se présente. Dès 1961, deux psychologues, W.J. McGuire et D. Papageorgis, suggéraient un équivalent permettant de «s’immuniser contre la persuasion»: une théorie dite de l’inoculation.

L’idée est toute simple. Lorsque l’on présente une idée, une théorie, une information scientifique, l’on explique aussi comment l’on aurait pu la présenter de manière tendancieuse, quels stratagèmes pourraient être utilisés pour en donner une version trompeuse ou pour inciter à conclure autre chose que ce que la théorie affirme. Cette modeste et contrôlée dose de poison agit comme un vaccin et la personne ainsi inoculée pourra ensuite réagir comme il convient devant de mauvais arguments utilisés pour la tromper.

Il me semble y avoir dans tout cela de belles implications pour le développement de la pensée critique en classe…

***

Cette chronique fait relâche durant l’été. Je vous en souhaite un bien beau et je vous retrouve à la rentrée pour continuer à parler avec vous d’éducation.