Il arrive, bien entendu, que les migrations soient volontaires et choisies. Aux 19e et 20e siècles, dans plusieurs pays comme le Canada, elles ont même souvent été sollicitées: la croissance économique de ces pays demandait en effet l’arrivée massive d’immigrants, attirés pour leur part par la promesse d’un avenir meilleur.
Mais de tout temps, de très importants déplacements de populations n’ont été ni choisis ni sollicités; ils ont plutôt été causés par des guerres, par des persécutions ou encore par des catastrophes naturelles – les gens fuyant pour ces raisons les endroits où ils habitaient.
Très tôt dans l’histoire, un droit d’asile sera donc pensé pour ces populations, et il sera peu à peu codifié, notamment à partir du 18e siècle.
Mais c’est après la Deuxième Guerre mondiale que va se mettre en place le régime politique et légal que nous connaissons aujourd’hui.
Un peu d’histoire
Pour aller à l’essentiel, devant le chaos engendré par la guerre, on va créer en 1943 l’Administration des Nations Unies pour le secours et la reconstruction, devenue en 1946 l’Organisation internationale pour les réfugiés.
Puis, en 1950, l’Assemblée générale des Nations Unies fonde le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR); et dès l’année suivante, on adoptera la fameuse Convention relative au statut de réfugiés (ou Convention de Genève).
Un réfugié y est défini comme une personne qui «craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays» (Article 2).
Cette définition, et ainsi la manière de penser toute la question des réfugiés, est toutefois aujourd’hui mise à rude épreuve: c’est que nous traversons un épisode de crise migratoire sans équivalent, tant par le nombre que par la nature des personnes réfugiées.
De nouveaux défis
Les causes de cette mutation sont multiples (guerre en Irak, crises et conflits en Syrie, en Libye, en Afghanistan, en Somalie, présence de l’État islamique, notamment…), mais leur effet est clair. Jennifer Welsh, une experte de ces questions, les décrit par ces mots terribles: «De 2011 à 2015, à l’échelle mondiale, les déplacements forcés de populations ont augmenté de 50%; on est passé de 42,5 à 65,3 millions de personnes déplacées. En 2015 seulement, les conflits ou les persécutions ont poussé plus de 12 millions de personnes supplémentaires à migrer – ce qui représente 34 000 individus par jour, ou 24 par minute, forcés de fuir leurs maisons pour chercher protection et sécurité ailleurs.» Et encore: «[Actuellement] un être humain sur 113 est réfugié, déplacé interne ou demandeur d’asile», tandis que la Méditerranée et ses images tragiques viennent périodiquement nous rappeler pourquoi cette mer est désormais appelée «le cimetière de l’Europe».
Cette situation amène de nouveaux défis et elle va inévitablement conduire à repenser les responsabilités qu’ont les États envers les réfugiés et les moyens d’y faire face. La situation presse d’autant que, comme le rappelle encore Welsh, l’immigration est désormais perçue négativement et que tout cela se joue un peu partout sur un dangereux fond de populisme et de xénophobie. Par exemple, les citoyens de tous les pays de l’UE (sauf le Portugal…) donnent l’immigration comme l’enjeu politique le plus important (sondage Eurobaromètre 2015).
Ce n’est pas une mince tâche de décider comment il convient d’agir, d’autant que, il faut rappeler ici notre devoir moral, l’Occident a souvent contribué, par ses actions ou par ses inactions, à créer les tragiques situations dans lesquelles tant de ces gens se trouvent aujourd’hui – et dans lesquelles encore plus se trouveront très probablement demain.
Avenues de réflexion et d’action
Certaines idées qui semblent prometteuses proposent de repenser la définition du concept de réfugié.
Par exemple, dès 1985, le philosophe Andrew Shacknove, jugeant trop restrictive celle de 1951, demandait pourquoi on penserait exclusivement en termes de groupes; ou pourquoi, si on continuait à le faire, on n’inclurait pas d’autres groupes (les femmes; les homosexuels, par exemple); et enfin pourquoi d’autres menaces (par exemple économiques) à la possibilité de mener une vie décente ne seraient pas considérées dans la définition d’une personne réfugiée.
Désormais, c’est jusqu’à la distinction entre migration volontaire et migration involontaire ou forcée qui devient moins claire, avec tous ces gens fuyant l’insécurité alimentaire, la violence, sans oublier les catastrophes naturelles; et avec elle, c’est tout le cadre conçu en 1951 qui demande à être repensé.
D’ailleurs, comment ne pas noter qu’il faudra aussi hélas bientôt, on peut le craindre, prendre en compte ces réfugiés climatiques, fuyant des endroits devenus inhabitables en raison du réchauffement climatique anthropique?
Welsh suggère que, en pratique, trois chantiers devraient être ouverts: l’adoption de politiques innovantes plus aptes à répondre à la réalité actuelle des migrations (par exemple: offrir des visas humanitaires aux réfugiés en transit; ou encore, accorder aux réfugiés installés un statut double, grâce auquel, retournant dans leur pays, ils pourraient au besoin revenir dans leur pays d’accueil); valoriser l’apport des talents et des compétences des réfugiés «au lieu de les percevoir comme une charge»; et faire preuve «d’une plus grande considération morale à l’égard de ceux qui sont en quête d’une vie meilleure».
Ce sont des pistes qui méritent qu’on les explore.
On espère qu’il y en aura de nombreuses autres. Car la question des réfugiés n’a pas fini de nous interpeller.
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Une lecture
Jennifer Welsh, Le retour de l’histoire. Conflits et migrations au XXIe siècle, Montréal, Boréal, 2017.