Une des plus remarquables différences entre un chat et un mensonge est que le chat, lui, n’a que neuf vies.
— Mark Twain
Je ne vous mentirai pas: ce sont l’actualité et l’approche des élections qui m’incitent à vous parler cette fois du mensonge.
Il faut dire que le sujet n’a cessé d’intéresser les philosophes, peut-être bien depuis ce jour où quelqu’un a eu l’idée d’attribuer à Épiménide le Crétois la phrase suivante: «Tous les Crétois sont des menteurs» (je suis désolé si je vous casse un peu le coco…).
Depuis toujours, deux grandes questions concernant le mensonge sont surtout discutées en philosophie.
La première est celle de la définition du mensonge. Qu’est-ce exactement que mentir et à quelles conditions peut-on parler de mensonge?
La deuxième demande s’il existe, ou non, des mensonges qui seraient justifiés, voire nécessaires. Bref, le mensonge est-il, ou non, toujours immoral?
Prenons la première question.
Définition
On dit souvent que mentir, c’est ne pas dire la vérité. Mais c’est un peu plus compliqué que ça, comme le montrera un petit moment de réflexion.
Un formulaire me demande de préciser une infraction que j’aurais peut-être commise. C’est le cas, mais je ne le dis pas et n’écris rien. Il est clair en ce cas que je mens: c’est un mensonge par omission. On peut donc mentir en ne disant rien.
Mais on peut aussi mentir en disant la vérité.
Ce sera le cas si on la dit, mais en en cachant une partie, laquelle serait essentielle pour que notre interlocuteur comprenne pleinement ce que j’ai dévoilé.
On peut même mentir en disant toute la vérité.
Considérez untel, qui est tueur à gages de son métier. À sa femme, qui l’ignore, et qui lui demande ce qu’il a fait de sa journée, il répond avec un sourire ironique qu’il a tué deux personnes: il a menti en disant la vérité.
Dans la nouvelle Le mur, de Jean-Paul Sartre, un personnage que l’on torture finit par dire, pour leurrer ses tortionnaires, que telle personne recherchée par ses bourreaux et qu’il pense être chez un ami se cache au cimetière. Les tortionnaires y vont et la trouvent bien là: le torturé a par hasard dit vrai en mentant.
On multipliera les exemples montrant que définir le mensonge par le fait de ne pas dire la vérité est insuffisant.
En fait, ce qui caractérise le mensonge, plutôt que la vérité ou la fausseté de ce qui est avancé (ou même le fait que quelque chose soit avancé), c’est la volonté de tromper, d’induire en erreur.
Un mensonge est donc une machine destinée à berner, à faire en sorte, par exemple, que notre destinataire tiendra pour vrai quelque chose qui ne l’est pas ou pour faux quelque chose qui est vrai. Cette intention, intéressée, permet encore de distinguer le mensonge de tous ces autres cas où une personne dit ce qui est faux, mais par ignorance et sans vouloir induire en erreur. L’élève qui répond que c’est Albert Camus qui a écrit Le mur ne ment pas: il se trompe.
On pourrait raffiner encore cette définition, et je ne vous ai même pas parlé de cette possibilité de se mentir à soi-même, au moins aussi troublante que mon Crétois de tout à l’heure…
Mais posons que cette petite définition est suffisante pour tenter une classification des manières par lesquelles des hommes ou des femmes politiques pourraient nous mentir – je ne donnerai aucun exemple; à vous de les fournir, ce qui ne devrait pas être trop difficile.
Mensonges politiques
À l’évidence, une première forme de mensonge politique consiste à sciemment affirmer ce qui est faux en cherchant à le faire passer pour vrai. Tant que ce vrai n’est pas connu, le mensonge remplit la fonction que voulait lui faire jouer le menteur. Cela peut prendre du temps avant que le mensonge soit dévoilé au grand jour, plusieurs vies, même…
La promesse électorale peut fort bien, elle aussi, être une forme de mensonge. Imaginons une politicienne sachant telle chose impossible à réaliser (ou très peu probable), mais qui prend l’engagement formel de la réaliser: ce faisant, elle ment.
Il existe aussi, on peut le penser, à tout le moins en théorie, un mensonge systématique, organisé, planifié: on le retrouverait dans diverses formes de calculs électoraux par lesquels on décide de ce qu’il convient de dire aux électeurs sans égard pour la vérité et avec pour seul but de gagner des votes. La propagande est la forme la plus extrême de ce mensonge politique.
Il existe encore, en politique comme dans la vie courante, un mensonge par omission. Il est trop facile d’imaginer des exemples…
Je suggère enfin qu’il peut exister, en politique, un mensonge accidentel, un mensonge par la vérité.
Imaginons un politicien qui promet X tout en sachant qu’on ne peut raisonnablement penser que cette promesse pourra être remplie. Mais voilà: par des circonstances totalement indépendantes du parti porté au pouvoir, notamment sur cette promesse, celle-ci est remplie. Le parti se présentera à la prochaine élection comme celui qui tient ses promesses, inventant en quelque sorte par là un mensonge au deuxième degré.
Les mensonges politiques peuvent-ils être justifiés?
Platon l’a cru, et il a argué que pour le bien commun, les politiques au pouvoir pouvaient laisser croire aux citoyens un pieux mensonge – on l’appelle parfois le noble mensonge, ça ne s’invente pas…
D’autres pensent au contraire que rien, jamais, ne justifie que l’on mente, ni dans la vie de tous les jours ni en politique.
Je vous mentirais si je vous disais que je partage ce point de vue.
Je vous souhaite tout de même, sincèrement, une bonne campagne électorale.
J’ai une belle-soeur qui est persuadé de tout dire la vérité parce qu’elle dit tout haut ce qu’elle pense!
Remarquez que certains animateurs de radio le pense aussi…
La majorité des gens considère qu’il est légitime de mentir en temps de guerre, cela fait partie de l’arsenal, surtout si cela nuit à l’adversaire ou favorise la mobilisation. Et les militants purs et durs étirent cette légitimité à leur tribu en «guerre politique». Ce qui explique pourquoi les partisans de Trump sont indifférents à ses mensonges. https://en.wikipedia.org/wiki/Falsehood_in_War-Time
La science du mensonge explique les soutiens à Trump.
https://greatergood.berkeley.edu/article/item/can_the_science_of_lying_explain_trumps_support
La solution : They recommend several simple techniques, such as presenting information as imagery or graphics, instead of just text. The best combination appears to be graphics with stories. It’s not enough to negate a false story, as linguist George Lakoff has argued—you need to provide an alternative narrative to get people to pay attention. Simple fact-checking, of the kind that PolitiFact provides, is not effective with partisan audiences all by itself. The facts need to become part of a compelling story, too.
Le problème avec le mensonge est qu’il me lie. Il m’attache. Il m’empêche d’être libre.
La liberté, la seule, la vraie, celle qui m’habite quand j’ai foi en la conscience.
En quoi donc le mensonge diffèrerait-t-il du ‘baratin’ (bullshit) ? (Harry Frankfurt On Bullshitt) Le ‘mensonge’ en politique est comme dit Frankfurt du ‘baratin’, pas forcément du mensonge, mais une volonté de berner, d’induire en erreur.
Par exemple, Manon Massé déclara l’an dernier, dans l’affaire Gerry Sklavounos, que ce dernier était coupable malgré la décision du DPCP de ne pas engager un procès le concernant.
On pense immédiatement à la nouvelle de Jorge Luis Borges «Emma Zunz», tirée du recueil «L’Aleph». En apprenant le suicide de son père, la jeune Emma Zunz se résoud à le venger. Son père, naguère emprisonné pour vol, lui avait confié que le vrai coupable était Aaron Loewenthal, autrefois gérant et maintenant l’un des propriétaires de l’usine où Emma travaille. Celle-ci fixe un rendez-vous clandestin avec Loewenthal, sous prétexte de dénoncer des meneurs de grève. Elle se fait brutalement dépuceler par un inconnu dans un hôtel de passe. Elle se saisit du révolver de Loewenthal après l’avoir fait éloigner de son bureau. «Devant Aaron Loewenthal, plus que le besoin pressant de venger son père, Emma éprouva celui de châtier l’outrage qu’elle avait subi pour y parvenir. Elle ne pouvait pas ne pas le tuer, après son déshonneur minutieusement préparé. (…) Elle pressa deux fois sur la détente. (…) Elle mit le divan sens dessus dessous, déboutonna la veste du cadavre, lui ôta ses lorgnons éclaboussés de sang (…) Puis elle prit le téléphone et dit ce qu’elle devait répéter si souvent en ces termes ou sous une autre forme: ‘Il s’est passé une chose incroyable… M. Loewenthal m’a fait venir sous le prétexte de la grève… Il a abusé de moi, je l’ai tué…’ L’histoire était incroyable, en effet, mais elle s’imposa à tout le monde, car en substance elle était vraie. Sincère était le ton d’Emma Zunz, sincère sa pudeur, sincère sa haine. Authentique aussi était l’outrage qu’elle avait subi; seuls étaient faux les circonstances, l’heure et un ou deux noms propres.»
« Je vous mentirais si je vous disais que je partage ce point de vue. ». Je sens une pointe d’humour dans votre phrase.
La formule «Tous les Crétois sont des menteurs» fait référence au paradoxe d’Épiménide, le menteur Crétois. S’il dit le vrai, il ment puisqu’il contredit son statut de Crétois menteur, dans la mesure où il y a au moins un Crétois, lui-même, qui n’est pas menteur. S’il ment en disant que tous les Crétois sont menteurs, il dit vrai puisqu’il affirme que tous les Crétois sont menteurs et qu’il est lui-même un Crétois qui s’affirme en tant que menteur. On a affaire ici à un pur paradoxe de langage, lié à la structure et à la syntaxe de nos langues gréco-latines.
Qual ardent souci chardonnique-Que les bulbes à ciment des vieux pots néolithiques-De leurs songes vert menthe-Pourquoi faisons nous notre sombre terreau-De leurs éclatantes idées basses-En plus de ternir nos vies, pour calmer nos volontés de puits sciences-Ils s’attaquent à nos racines depuis le ciel et nos « e-toiles »-Afin de nous plonger en une Kosmagonie de gloutoncratie-Ça nous marque, nous désempare, nous dit « sec », nous dissémine-Comme cette viergéture des Landes-Main difficile aux pieds dociles-Lapidée de grenades viles-Toute une armée de tortues, envoyée manger leurs salades-Pour nous prouver d’arrêter nos bravades-C’est le grand paliss’âge, pour qu’on raccroche nos sabots otages-On nous coupe l’herbe sous le pied-Pour nous faire s’empierger, dans leur fringalant poteau rose, de feu notre faim.