Prise de tête

Autodéfense intellectuelle financière

On apprenait ces jours-ci que la Sûreté du Québec vient d’ouvrir une enquête pour une fraude pouvant osciller entre 1 et 2 millions de dollars. Le ou les suspects auraient reçu ces sommes importantes de dizaines de personnes. L’affaire, disent les enquêteurs, semble être une fraude à la Ponzi.

Elle me fournit une belle occasion de proposer un peu d’autodéfense intellectuelle financière.

Mais d’abord, qu’est-ce qu’une fraude à la Ponzi?

La méthode Ponzi

Ce type de fraude doit son nom à un Italien immigré aux États-Unis, Charles Ponzi (1882-1949) – détail peu connu: son parcours l’a mené à travailler un temps pour une banque à Montréal. Ce nom est resté, même si Ponzi n’a pas été le premier à pratiquer ce type de fraude.

Flash-back. Nous sommes en 1920 et Ponzi, alors à Boston, remarque qu’on peut vendre avec profit, aux États-Unis, des coupons de poste achetés en Italie. Rien jusque-là d’illégal.

Mais Ponzi promet aux investisseurs qui achèteront ces coupons des rendements faramineux (50% en 45 jours!), qu’il paie en effet aux premiers investisseurs… mais avec les rentrées d’argent de nouveaux investisseurs attirés par l’extraordinaire affaire, eux-mêmes payés avec l’argent de nouveaux investisseurs… et ainsi de suite. Ponzi se prend bien entendu au passage d’immenses sommes.

On l’aura compris: une telle pyramide ne subsiste que tant que de nouveaux et de plus en plus nombreux investisseurs arrivent et lui permettent de tenir debout. Et comme la population de naïfs (et même la population tout court…) est limitée, si tout va bien, il vient immanquablement un moment où il est impossible d’en recruter suffisamment: et tout va alors mal!

La pyramide de Ponzi a pris fin à l’été 1920 quand des journaux ont entre autres remarqué que, pour continuer, l’entreprise mise sur pied par Ponzi devrait acheter des millions de coupons, alors qu’il n’y en avait que quelques dizaines de milliers en circulation…

Des émules

Ponzi a eu de nombreux successeurs, jusqu’à son émule québécois évoqué plus haut. Il a même eu, on l’a dit, des prédécesseurs.

Dans tous ces cas, le procédé joue sur la crédulité de gens qui s’en remettent au comportement d’autrui pour prendre une décision sur un sujet sur lequel ils sont peu informés, voire pas du tout. Dans des circonstances singulières, ou lorsqu’un habile charlatan en profite ou les crée, cela peut mener très loin beaucoup de monde.

Des exemples?

On se souviendra peut-être de Bernard Madoff, actuellement en prison pour purger une peine de 150 ans. La fraude de sa pyramide de Ponzi, orchestrée sur des milliers de clients depuis sa réputée société d’investissement de Wall Street, a été dévoilée en 2008. Le montant en cause est parfois estimé à plus de 60 milliards de dollars américains.

On se souvient moins de Thérèse Humbert (1856-1918), riche grande dame du Tout-Paris. Sa fortune lui vient, dit-elle, de l’héritage laissé par un millionnaire américain croisé par hasard sur un train et à qui elle a sauvé la vie. Cette fortune est déposée dans un coffre placé dans une banque. On l’ouvrira et elle pourra toucher sa fortune, mais seulement quand un certain mariage aura été consommé. En attendant, elle emprunte sur cet héritage. Les prêteurs prêtent, sur l’exemple des prêteurs précédents.

Eh oui: tout cela finira comme vous avez deviné que ça doit finir, c’est-à-dire mal pour les prêteurs. Une fois ouvert sur ordre de la justice, ce coffre se révélera vide.

Pensez encore à la toute récente bulle spéculative, dite bulle internet, de la fin des années 1990, et au krach qui s’ensuivit. Tout le monde achetait, confiant, parce que tout le monde achetait, confiant…

Et que dire de l’affaire des tulipes aux Pays-Bas, au 17e siècle, la fameuse tulipomanie? Elle est une des toutes premières bulles spéculatives et une illustre prédécesseure de ce qui est en jeu dans un schème de Ponzi. Le bulbe de tulipe aurait alors, semble-t-il, valu jusqu’à 10 fois le salaire annuel d’un ouvrier spécialisé; il se serait échangé contre une maison ou contre des hectares de terre.

Dans tous les cas, on le voit, ce qui est en jeu, c’est cette forme particulière de crédulité qui fait suivre l’exemple de ses semblables présumés savants pour prendre des décisions dans un domaine inconnu ou méconnu.

Pourquoi ça marche et comment se protéger

Stephen Greenspan est un psychologue spécialiste de la crédulité («gullibility»), cette tendance à être manipulé par une ou plusieurs personnes. Il a pourtant perdu des sommes considérables en étant dupé par Madoff.

Son cas est courant et s’explique en partie par la paresse: ignorant dans ce domaine, il a imité le comportement des autres sans (se) poser de questions. Il aurait dû…

Mais bien des experts se sont aussi fait rouler par Madoff. Cherchant à comprendre comment cela a été possible, Greenspan a proposé quatre variables qui entrent alors en jeu. Ce sont: la situation; la cognition; la personnalité; les émotions.

La situation est ce microcontexte où entrent en scène des gens connus ou des réputations qui influencent vos décisions; les émotions sont celles qui vous motivent et dont vous devez prendre conscience (appât du gain? désir de sécurité financière? autre chose?); pour les apprécier, la cognition doit jouer un grand rôle, mais il ne suffit pas de savoir des choses sur le sujet en question: encore faut-il les utiliser; la personnalité de la personne concernée entre ici en jeu et des choses comme le désir de ne pas déplaire à qui propose l’affaire ou de ne pas savoir dire non peuvent faire des ravages…

Si Greenspan est tombé dans le panneau de Madoff, c’est, selon ce modèle, que la situation mettait en scène des gens qui étaient à ses yeux fiables; qu’il a bien du mal à dire non de peur de blesser; et que, paradoxalement, les rendements modestes promis le rassuraient, lui qui ne recherchait que la stabilité de ses vieux jours – et pas à faire fortune.

Une lecture: J’ai beaucoup appris sur ce sujet du livre de Stephen Greenspan, Annals of Gullibility: Why We Get Duped and How to Avoid It, Praeger, 2008.