Prise de tête

Le séquençage de votre génome, ça vous tente?

On appelle génome l’ensemble du matériel génétique d’un organisme, en un mot, de son ADN. Séquencer votre génome, cela signifie donc faire un portrait de vos gènes.

Voici comment cela se passera, si vous décidiez de tenter l’expérience.

Vous paierez d’abord par internet, à la compagnie de votre choix, le montant demandé – généralement quelques centaines de dollars. Vous recevrez ensuite par la poste un flacon dans lequel vous déposerez un peu de salive. Vous enverrez ensuite le flacon à l’adresse indiquée. Peu de temps après, vous obtiendrez le séquençage de votre génome.

Ces gestes nous rappellent combien, en génétique, les choses avancent à une vitesse extraordinaire. Il y a une quinzaine d’années à peine, on vous aurait demandé quelques millions de dollars pour ce travail et seuls quelques très riches privilégiés auraient pu se payer ce luxe. Le séquençage du génome est désormais accessible à tout le monde. Si la procédure est interdite dans certains pays (comme la France), la simplicité de la démarche permet à quiconque le souhaite de contourner la loi.

Comme c’est souvent le cas avec les avancées technologiques, on se retrouve aujourd’hui devant des promesses et des périls, plus ou moins anticipés, qui soulèvent des enjeux éthiques souvent redoutables.

C’est sur eux que je voudrais m’arrêter. C’est un très vaste sujet, avec plein d’inconnues, que je ne pourrai qu’effleurer. Je le ferai en me concentrant sur trois valeurs fondamentales que ces nouvelles technologies nous contraignent à réviser et, me semble-t-il, à vouloir défendre plus fortement encore.

Autonomie

L’autonomie de la personne est une des valeurs-clés de nos démocraties libérales et cela explique en partie la grande importance que nous accordons à l’éducation: la personne autonome doit en effet être outillée pour faire de manière consciente et en toute connaissance de cause les choix qu’elle fera.

En médecine, cela se traduit notamment par l’exigence d’un consentement éclairé.

Or ces analyses du génome peuvent être lourdes de conséquences et il est indispensable que les personnes qui choisissent de s’y prêter le fassent en toute connaissance de ce que cela implique.

On pourra, en découvrant ses résultats, apprendre des choses plutôt banales et pour certaines déjà connues: vous perdrez tôt vos cheveux; votre urine sent mauvais quand vous avez mangé des asperges; vous ne pouvez pas faire un rond en pointant votre langue; d’autres encore. Mais vous pourrez aussi apprendre des choses graves, voire dramatiques.

Le souhaitez-vous?

Il y a certes des arguments qui incitent à vouloir apprendre qu’on développera une maladie grave ou qu’on risque de la transmettre à nos enfants. Mais il y a aussi des arguments qui militent contre cette décision. Les connaissez-vous? Saurez-vous les peser?

Tout cela se complique encore en raison non seulement de tout ce que nous ignorons encore, mais aussi de l’interaction complexe entre gène, environnement et mode de vie. Par exemple, en sachant telle ou telle chose sur son bagage génétique, on pourra adopter des comportements qui retarderont le développement d’une maladie à laquelle on est prédisposé, voire qui l’empêcheront de se développer. On pourra de même apprendre comment on réagira à tel médicament et ainsi en préférer un autre.

Ce que ces observations et d’autres suggèrent, selon moi, est non seulement qu’il est sage de bien se renseigner avant de se décider à aller de l’avant avec un séquençage de son génome, mais qu’il est également sage de lire ses résultats avec une personne (médecin, généticien) capable de les interpréter correctement.

On peut d’ailleurs sans risque prédire que la recherche biomédicale, armée entre autres de ses formidables outils des big data, va énormément bénéficier de l’immense réservoir de données que constituent les descriptions de ces millions de génomes.

Mais vous devinez sans doute comment une deuxième valeur fondamentale de nos démocraties libérales risque à son tour d’être menacée.

Confidentialité

L’entreprise qui aura séquencé votre génome vous demandera si elle peut, de manière anonyme et sans révéler votre identité, rendre accessibles vos données aux chercheurs.

Compte tenu des promesses d’avancement des connaissances et des traitements, vous serez peut-être tenté de répondre oui. Mais beaucoup de gens ne le font pas par peur que l’on puisse retracer l’origine de leurs données. On comprend sans mal leurs craintes. Imaginez ce qui peut s’ensuivre si des compagnies d’assurance ou des employeurs peuvent savoir, pour m’en tenir à cet exemple, que telle ou telle personne présente un risque de développer une maladie grave.

La valeur que nous accordons avec raison à l’exigence de confidentialité et à la protection de la vie privée est ici mise au défi par ces nouvelles technologies. Les simples promesses faites par les entreprises ou les gouvernements ne sont pas de nature à complètement nous rassurer.

Ce qui me conduit à la troisième valeur dont je voulais toucher un mot.

Des limites à la marchandisation

Nous vivons, pour le meilleur et pour le pire, dans un monde dominé par une économie de marché. Mais il y a de bonnes raisons de penser que certaines choses, par essence, ne devraient en aucun cas être achetées et vendues. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour cela: le fait que la marchandisation peut corrompre le bien en question en est une; une certaine idée de la dignité humaine ou des droits reconnus à chacun en est une autre.

Devons-nous permettre la marchandisation et donc la privatisation des données génétiques? Si oui, jusqu’où?

Par le séquençage de génome personnalisé, nous sommes déjà devant l’obligation de répondre à ces difficiles questions…