Roulette russe

Sous la chair de poule

Les radios de Québec feraient peur. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Dominique Payette, dans une étude sortie l’automne dernier. L’attaque étant étrangement souvent vue comme une bonne défense, elle s’est fait ramasser. Par les radios de Québec.

Est-ce que le rapport L’information à Québec: un enjeu capital de l’ex-journaliste était sans failles? Loin de là. Comme plusieurs, je l’ai trouvé mince et il n’apportait pas beaucoup de nouveau. Néanmoins, il présentait des éléments qui mériteraient d’être creusés plus loin encore et, surtout, il aurait dû ouvrir un débat.

Au lieu de ça, on a démoli d’un seul bloc le rapport, Mme Payette et Pauline Marois, qui l’a financé.

Moi aussi, je me suis interrogé sur les termes «climat de peur». La capitale nationale vivrait sous une dictature médiatique et on ne le saurait pas? Saperlipopette!

Plus sérieusement, ça soulève quand même des questions. De quelle forme de peur parle-t-on? Comment s’exercerait cette peur? La peur peut se présenter sous plusieurs formes – crainte, terreur, irritation, gêne, nervosité, pisser dans son pantalon –, et selon ce que l’on sous-entend, le mot peut être exagéré… ou bien choisi.

Le problème n’a pas été de le remettre en question, mais la manière dont il a été fait. Les médias ont principalement été voir ceux qui étaient pointés du doigt… et non ceux qui pourraient subir cette tempête.

Interroger les animateurs et les artisans des médias sans aller parler aux groupes populaires, aux organismes communautaires, aux syndicalistes, aux étudiants, aux environnementalistes, bref, à ceux qui se font souvent varloper dans les radios de Québec, c’est comme si un directeur d’école interrogeait celui que l’on soupçonne d’intimider, mais pas ceux qui pourraient en être les victimes. Qu’importe qu’il le fasse ou non, peut-on vraiment être surpris que le présumé intimidateur tourne au ridicule l’accusation?

L’écœurement est palpable. La plupart des gens avec qui j’ai discuté préfèrent que je ne les nomme pas. Ils sont fatigués de se faire tomber dessus, même lorsqu’ils n’ont pas de lien avec le sujet.

La méfiance aussi est là. Deux personnes m’ont raconté cette vilaine habitude. Pendant l’entrevue, tout se passe très bien, il y a une honnête discussion, mais une fois sorti du studio, les mêmes animateurs vont parfois prendre encore plus de temps à déconstruire et à défaire ce que l’invité a dit en ondes. On peut les comprendre de ne plus avoir envie d’y aller.

«Le terme "peur" est peut-être mal utilisé, nuance Ann Gingras, présidente de la CSN pour la région de Québec. Je n’ai pas peur, je suis tannée.» Elle déplore l’absence de neutralité du terrain de jeu. «Avec eux, ce n’est pas un débat, c’est un show, dans leur arène», dit-elle.

 

Responsabilité sociale

Dominique Payette n’a pas seulement parlé de peur, mais aussi de responsabilité sociale. Les animateurs et animatrices ne sont pas des journalistes, même s’ils parlent d’actualité. Il y a des mécanismes plus ou moins efficaces qui tentent de s’assurer que ce que dit un journaliste est véridique et vérifié, pas un animateur.

L’auteure du rapport voudrait qu’ils soient considérés comme des journalistes. Je ne trouve pas que c’est la bonne voie, mais ça ne règle pas la question de leur responsabilité sociale.

Plusieurs intervenants se sentent impuissants devant ces personnes influentes. Elles ne savent pas quoi faire pour rétablir des faits. Tu ne vas pas en cour pour rectifier une information, mais cette fausse information se promène à Québec comme une plume au vent. Je serais curieux de jouer avec eux à une vérification des faits, comme on le fait avec les politiciens pendant les campagnes électorales.

 

Frousse ou pas frousse?

Je ne sais pas si je viens de décrire un «climat de peur», mais plusieurs se méfient, sont écœurés ou sont sur la défensive. Plusieurs affirment que le terme «radio-poubelle» fait maintenant partie du passé, mais ces mêmes personnes ajoutent que le ton demeure lourd ou intimidant.

Il sera toujours difficile de calculer et de schématiser l’impact d’un intimidateur dans une cour d’école. Tu peux être une victime directe en recevant les coups. Tu peux avoir peur de recevoir des coups, même s’il ne t’a jamais dit un mot ou même regardé. Tu peux changer ton chemin, pour l’éviter, même s’il ne t’a jamais menacé. Tu peux lui faire des cadeaux, même s’il ne t’a rien demandé. Tu peux avoir sa protection, sans t’en apercevoir. La cour d’école peut quand même avoir l’air d’un havre de paix.

On peut bien discuter de la possible exagération du terme «peur» de Dominique Payette, mais ça ne peut s’accomplir en faisant comme s’il n’y avait personne qui se sentait intimidé.

 

Transparence totale

En plus d’écrire pour Voir, je suis aussi directeur de la programmation d’une radio communautaire de Québec (CKIA 88,3), une radio citoyenne et progressiste. En fait, comme plusieurs artisans des médias, depuis 2002, je collabore à plein de projets afin de gagner ma vie comme journaliste, animateur ou réalisateur. Je ne crois pas que ceci m’empêche de parler des autres radios de Québec, bien au contraire. Et pour ceux qui pensent que si, vous ne pourrez pas m’accuser de le cacher.