Roulette russe

Banlieue verte

Personnellement, que le MEC de Québec quitte le centre-ville pour la banlieue ne changera pas grand-chose dans ma vie. Je ne le fréquentais pas. Je ne suis pas la clientèle cible. Son déménagement soulève toutefois une question qui m’intéresse pas mal plus: peut-on être banlieusard et écolo?

Les accusations fusent envers les gestionnaires de Mountain Equipement Coop de Québec. En quittant le quartier Saint-Roch pour Lebourgneuf, il renierait ses valeurs écologiques.

Certes, la banlieue est l’antonyme du développement durable. Selon Louis-Étienne Pigeon, chargé d’enseignement à l’Université Laval en éthique et en philosophie des sciences et de l’environnement, c’est même le pire modèle d’occupation du territoire de l’histoire de l’humanité.

«La banlieue est une pratique de possession, explique l’enseignant. Elle encourage une désocialisation, une dépolitisation et de la pollution.» Autrement dit, en banlieue, on ne fait qu’y posséder individuellement son morceau de terre.

Cela dit, l’expert en éthique environnementale rejette l’idée populaire que l’on doit séparer la nature et la ville. Au contraire. Des jardins communautaires en ville. Des espaces verts sur les toits des édifices. Des plaines d’Abraham libres plutôt qu’aménagées. Un ours noir sur le boulevard Laurier. Bon, il n’a jamais dit ça, mais je suis sûr qu’il applaudirait.

Tout notre développement est centré sur la compartimentation, continue-t-il. L’agriculture se fait là. Le commerce se fait ici. Les industries doivent être là-bas et nous devons résider là. De même, la nature sauvage est là-bas et l’homme est ici. Sauf que l’homme n’est pas opposé à la nature, il n’est pas au-dessus de celle-ci, ni inférieur. Il est la nature, de la même manière que l’automobiliste n’est pas coincé dans le trafic, il est le trafic. «L’environnement, c’est aussi comment on occupe l’espace et le territoire, souligne M. Pigeon. Il faut briser le schéma actuel.»

Bref, on comprend que plusieurs considèrent que MEC ne respecte pas ses valeurs écologiques en s’installant dans la banlieue de Québec. Sauf qu’aussi belles et profondes que puissent être les valeurs d’une coopérative, elles ne sont pas sa mission. La coopérative soutient que 80% de ses membres, donc sa raison d’être, demeurent en banlieue.

Selon l’éthicien, plusieurs entreprises sont prises dans la même dualité que la coopérative. Sans une nature en santé, le fonds de commerce de MEC, qui est de vendre des trucs pour profiter du plein air, n’a plus sa raison d’être. Elle doit donc protéger cette nature, comme les forestières doivent le faire. Paradoxalement, la clientèle qui aime profiter du plein air réside principalement en banlieue, qui, on le rappelle, est l’antithèse des valeurs écologiques. On n’est pas loin d’un serpent qui mange sa propre queue.

C’est là que le débat se complexifie. Le banlieusard, par son mode de vie, est une plaie écologique. Dans sa vie quotidienne, il peut néanmoins être le parfait petit environnementaliste qui recycle, qui composte, qui achète bio et qui aime faire du trekking.

D’ailleurs, être écolo n’est pas à la portée de toutes les bourses. Il faut un sympathique revenu pour être le parfait petit environnementaliste. Les écoquartiers sont, en plus, rarement abordables. On peut choisir la simplicité volontaire, ou l’adopter malgré nous, mais même cette avenue, malgré sa visée commune, demeure une action individuelle.

Prenons la voiture électrique. Bien qu’elle permette de diminuer l’émission de gaz à effet de serre, elle ne change rien à notre mode de vie. Elle encourage encore l’étalement urbain, ennemi de l’environnement.

«Présentement, il y a environ 20% de la population qui est végétarienne, mais la production de viande n’a pas diminué, souligne Louis-Étienne Pigeon. Il faut donner l’exemple et suivre nos valeurs, mais il faut aussi, comme société, changer notre relation à l’espace et à la production d’énergie.» Le progrès ne passe pas par l’individualisme, mais par le changement social.

Pour en revenir au déménagement de MEC, vous vous demandez peut-être si, finalement, c’est éthique, environnementalement parlant. On pourrait calculer l’empreinte écologique de chaque membre, ceux qui s’y rendaient à pied, en voiture ou en autobus dans Saint-Roch versus ceux qui devront se rendre dans Lebourgneuf en autobus ou en voiture – on s’entend que peu de gens emprunteront la piste cyclable de huit kilomètres qui longe l’un des plus laids boulevards de Québec et que personne n’ira maintenant à pied.

Ensuite, pour augmenter le plaisir, on pourrait calculer notre empreinte écologique selon l’endroit où on achète notre équipement. La coopérative environnementaliste maintenant en banlieue contre le concurrent demeuré au centre-ville, mais peut-être moins pointilleux sur la provenance de ses produits. Quelle est la meilleure option?

Tout ça serait fastidieux, enculerait des mouches et ne donnerait pas plus de réponses. L’éthique, ça ne se calcule pas comme ça. Les valeurs, ça n’a rien de rationnel. Le plus dur est parfois de les assumer. Une fois que nous savons l’impact de nos choix, le danger est de feindre l’ignorance.