Quoi faire quand on apprend qu’il nous reste que six mois à vivre? Ou quelques semaines? C’est une question qui peut en figer plusieurs, malgré son manque d’originalité. Le spectacle Fuck toute, présenté en mai dernier à la Maison de la littérature, pose cette question aux spectateurs. Plusieurs s’abstiennent de répondre, comme s’ils étaient désarçonnés.
On passe notre temps à dire que la vie est précieuse, mais on passe encore plus notre temps à perdre notre vie avec ce qui n’a aucune importance. Loin de moi l’idée de refaire un énième discours sur le vide de la société de consommation, parce que je n’ai plus besoin de m’en convaincre. Si vous n’êtes pas encore convaincus, c’est que vous refusez de voir. Mais si seulement ce n’était que le nouveau iPhone qui n’était pas important.
J’ai connu des gens qui ont reçu ces difficiles diagnostics. À l’un, il ne lui restait que quelques semaines lorsqu’il l’a appris, pendant sa première semaine de retraite. Ça fesse. Deux autres avaient quelques mois à vivre. Une autre a écrit jusqu’à ses dernières heures. Dans le couloir de la mort, elle avait déjà fait un documentaire et publié son deuxième roman. Mot-clic inspirant.
Dans Fuck toute, Catherine Dorion et Mathieu Campagna reprennent des textes de blogueurs aux mots aussi poétiques qu’acérés pour ouvrir la plaie, gratter le néant d’une existence basée sur des produits de consommation ou aseptisée. D’un point de vue artistique, la première à laquelle j’ai assisté gagnait à être légèrement resserrée, mais dans l’ensemble, l’œuvre brasse la caboche et fait du bien. Parce que ça fait toujours du bien de pointer la connerie et de la dénoncer.
Personnellement, la possible mort imminente est une question qui me hante depuis mon enfance. J’avais environ sept ans quand j’ai compris que la mort pouvait frapper n’importe qui autour de moi. Ou m’enlever de ce monde. Je me souviens d’avoir passé des soirées à me perdre dans un labyrinthe de questions et de remises en question. Comme j’étais déjà un athée convaincu, l’idée de complètement disparaître me figeait, me donnait le vertige. Ça me donne encore le vertige, d’ailleurs.
Demain, ou tantôt, je peux mourir. Je trouve ça à la fois complètement absurde, mais aussi d’une beauté sans nom. Je suis amoureux de l’éphémère. La vie est d’une poésie infinie.
Adolescent, j’étais très généreux en carpe diem (ou en #YOLO, si tu es plus jeune que moi). Foncer dans la vie et se foutre de demain. Avec le temps, je suis devenu plus sage qu’hédoniste. N’empêche, l’idée d’une mort imminente est là, constamment, dans ma tête.
Mes choix, mes valeurs et mes priorités se basent sur cette fatalité. Et si je mourais demain, est-ce que je ferais le même choix? Vous n’avez pas idée à quel point je me pose souvent cette question. J’essaie constamment de revenir au plus important. Je refuse de perdre mon temps avec des trucs pour lesquels je me facepalmerais (vivement une francisation de cette expression) sur mon lit de mort. Pas de temps à perdre à savoir si ma lessive sera 30% plus blanche.
Je refuse de me trouver con sur mon lit de mort. Je ne parle pas de ne pas faire d’erreurs. Je revendique au contraire le droit à l’erreur. Il faut en faire. Mais je n’ai pas de temps à perdre à avoir peur de me tromper. Pas de temps à perdre à avoir peur, en fait, même si j’ai peur souvent. Et je fais souvent des erreurs, mais le plus possible en étant de bonne foi. La vie est trop précieuse pour la salir avec la mauvaise foi. J’essaie le plus possible, par exemple, de ne pas faire de gestes basés sur l’orgueil.
Pas de temps à perdre à me chicaner. Pas de temps à perdre à faire des reproches aux gens. Pas de temps à perdre à haïr quelqu’un. Pas de temps à perdre à me méfier des autres. Pas de temps à perdre à manigancer. Pas de temps à perdre à faire semblant. Pas de temps à perdre à attendre ma retraite. Pas de temps à perdre à espérer le retour des Nordiques.
Dans un mois, ça sera mon anniversaire. Chaque fois, je trouve ça complètement débile d’être encore en vie. Pas parce que j’ai une maladie grave ou parce que je suis passé à deux doigts de mourir, mais parce qu’une de mes très rares certitudes est que ma vie n’est pas éternelle. Vieillir est de loin l’une des plus belles choses. Je ne peux pas faire autrement que d’essayer de faire le bien. Sinon je me mettrais la paume sur mon visage sur mon lit de mort.
À Fuck toute, plusieurs personnes ont partagé leurs «dernières volontés» s’ils leur restaient que trois jours à vivre. Plusieurs souhaitent être avec leur famille, avec les gens qu’ils aiment, semer de l’amour autour d’eux. Certes, parfois ça sonnait cliché, mais j’attends encore l’argumentaire démontrant que l’amour n’est pas l’essence de la vie.
Malheureusement, l’être humain a un don exceptionnel pour se compliquer la vie. Pour se monter, aussi, de beaux grands bateaux (qui font de belles grandes vagues, dixit Gerry Boulet).
Catherine Dorion et Mathieu Campagna présenteront à nouveau Fuck toute à Québec, à Premier Acte, du 24 novembre au 3 décembre 2016. Vous pouvez y aller, ça ne sera pas une perte de temps.