Roulette russe

Pauvre poésie

Le 30 mai dernier, on apprenait que le Bureau des affaires poétiques (BAP) devait cesser ses activités en raison d’un manque de financement décent. Le 20 juin, on apprenait que la Ville de Québec allait éponger une partie des déficits des activités du Centre Vidéotron en envoyant un chèque de 730 000$ à Québecor. Les deux ne sont pas reliés, mais c’est choquant.

Au début, je voulais parler de poésie de manière positive. Je souhaitais saluer tout le travail qui a été fait depuis 2008, d’abord par Rhizome, qui a fait les premiers Mois de la Poésie, puis par l’équipe qui a piloté le Printemps des poètes et le festival. Je pensais ensuite souligner que la poésie ne mourra pas pour autant, grâce à des gens comme le Collectif Ramen, qui travaillent à la faire rayonner.

L’indécence de la situation avec le Centre Vidéotron me force à adopter un autre angle.

Déjà, le principe de privatiser les profits et d’étatiser les déficits est discutable. Précisons toutefois qu’il n’y a aucune surprise ici, on savait déjà que la Ville de Québec allait assumer les pertes. C’est ça le plan de match depuis le début. On ne savait toutefois pas combien cela coûterait.

730 000$. Seulement pour les quatre premiers mois. C’est plus de trois fois le budget annuel du BAP.

Cela dit, faisons comme si tout ça était normal. Partons de l’idée que les paliers gouvernementaux doivent soutenir la culture, le sport, les loisirs, etc., et que ce montant est le coût pour avoir une infrastructure comme le Centre Vidéotron.

Pour survivre, le BAP est allé rencontrer le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et la Ville de Québec. Une rencontre de la dernière chance. Ils avaient besoin d’environ 50 000$ pour continuer, c’est-à-dire tripler leur budget pour les frais fixes. Rien à faire, aucun ne pouvait les aider.

Le pire, c’est que le BAP n’est pas un organisme déficitaire et surendetté, mais un autre organisme culturel sous-financé, comme plein d’autres. Le navire est simplement victime de mauvaises conjonctures. La directrice artistique a accepté un nouveau défi ailleurs et la directrice administrative part pour un congé de maternité. Les deux départs simultanés font mal.

Les deux directrices étaient sous-payées, comme probablement les trois autres employés à temps partiel. Les heures travaillées versus les heures payées rendaient leur taux horaire ridicule. C’est avant tout leur passion et leur dévouement qui ont fait que le Mois de la Poésie, le festival de poésie printanier, n’a cessé de croître en renommée, en rayonnement et en retombées. Mais les budgets, eux, ne suivaient pas.

Imaginez maintenant devoir remplacer deux directrices qui acceptent pendant des années de faire beaucoup de bénévolat autour de leur emploi pour que leur bébé grandisse. «Le salaire que l’on pouvait offrir a été un frein à l’embauche de notre remplaçante», admet Juliette Breton.

Ajoutez à ça la perte d’une subvention de 15 000$ du Conseil des arts du Canada (CAC) en janvier. La fermeture de leur salle officielle, le Studio P, et la difficulté d’en trouver une autre aussi accommodante. Depuis janvier, le ciel s’assombrit pour le BAP, qui a donc décidé, à contrecœur, de cesser ses activités. Ironiquement, l’organisme venait de connaître sa plus grosse année. C’est une mort prématurée d’une adolescente en santé.

Pourtant, le BAP n’a pas besoin d’une somme astronomique. 50 000$. À côté des 730 000$ pour les quatre premiers mois du Centre Vidéotron, c’est une pinotte. Je sais que les deux dossiers ne sont pas reliés, mais l’image est tellement forte.

Si on accepte de soutenir d’une manière aussi importante une compagnie privée qui gardera tous les profits (contrairement à ses dettes qu’elle partage), comment peut-on refuser de soutenir un organisme qui réinvestit tout son budget dans la communauté?

Si la Ville de Québec était aussi avenante avec le Bureau des affaires poétiques (ou les autres organismes culturels) qu’elle l’est avec Québecor, la pilule s’avalerait plus facilement. L’administration Labeaume aurait l’air cohérente.

Première Ovation de la Ville de Québec est un beau programme qui subventionne les artistes de la relève de la région, mais il repose bien souvent sur l’expertise des organismes comme le BAP pour parrainer les projets financés. Où vont aller ces artistes pour en bénéficier si la Ville ne soutient pas ces organismes?

Avec son Mois de la Poésie, le BAP a réussi à faire de Québec un carrefour important en poésie. «Des artistes de la poésie parlent maintenant de Québec, souligne Juliette Breton. Pour certains, la capitale de la poésie n’est plus Trois-Rivières ou Montréal, mais Québec. Il se passe quelque chose ici.»

Ce n’est pas un rayonnement qui fait la une comme un spectacle de Metallica, mais c’est une rumeur qui se propage et qui crée un buzz qui dure plus que 48 heures.

Parce que la communauté amoureuse des mots est active et grouillante, il se peut que le Mois de la Poésie revienne en mars prochain. Mais dans quelles conditions? Mené à bout de bras par des bénévoles qui devront recommencer à zéro?

C’est un gaspillage d’énergie et une perte d’expertise. Mais surtout, c’est continuer à maintenir sous le seuil de la pauvreté une forme d’art qui est déjà marginalisée.

Le BAP a encore deux projets à mener d’ici l’automne avant de fermer ses portes pour de bon. Il reste donc encore un peu de temps pour que la Ville de Québec sorte son chéquier comme il vient de le faire pour Québecor.

On peut encore éviter ce gâchis.