Roulette russe

Plate comme du Gyproc

Après avoir passé six belles années sur une Côte-Nord magnifique, mais assez homogène, un des plaisirs de revenir vivre dans le centre-ville de Québec est de retrouver une mixité sociale.

En me promenant dans le quartier Saint-Roch, mon quartier professionnel, je peux croiser en deux minutes un punk, une hippie, un complet-cravate, une musulmane, des ados, un itinérant, une sportive, et j’en passe. On retrouve de tout et c’est franchement magnifique. Plus c’est éclectique, plus je trouve ça beau.

Dans mon quartier résidentiel, je retrouve moins une mixité culturelle, mais il y a quand même une mixité sociale. Les jeunes familles cohabitent avec des jeunes professionnels, des artistes, des personnes âgées, des vieux garçons comme moi ou des jeunes étudiants avec peu de moyens. Ce n’est pas aussi varié que de l’autre côté de la rivière Saint-Charles, mais il y a un mélange du Limoilou ouvrier d’antan et du Limoilou plus branché d’aujourd’hui.

L’an dernier, des bancs publics sur la 3e Avenue ont commencé à être enlevés. Cet été, il n’en restait qu’un sur quatre, à mon coin de rue. Lui aussi a fini par disparaître. Résidente du quartier farouchement contre l’exclusion sociale, Véronique Laflamme a lancé une alerte sur les réseaux sociaux. Le mot s’est vite propagé et la conseillère municipale Suzanne Verreault a rapidement réagi pour non seulement remettre ce dernier banc récemment enlevé, mais tous les autres bancs du coin de la rue sont aussi revenus.

L’affaire, c’est qu’un commerçant du quartier se plaint que ce sont souvent les mêmes résidents du quartier qui s’y assoient pour jaser ensemble, regarder le monde, fumer des cigarettes. Des messieurs qui n’ont absolument rien de méchant. Ils sont toujours bien tranquilles sur leur banc.

Il semble qu’ils dérangent quand même notre commerçant. Ou il dira que ça incommode sa clientèle. Je ne vois pas trop comment, mais les demandes obscures des clientèles servent souvent d’excuses aux commerçants pour faire des trucs niaiseux. Un peu comme la majorité silencieuse. On fait dire bien ce qu’on veut à ce silence.

Je suis un peu troublé par la réponse de la Ville de Québec. Un commerçant se plaint, et hop! on enlève le banc! Pourtant, ni la conseillère municipale ni la SDC (Société de développement commerciale) de la 3e Avenue ne disent encourager cette pratique. Comment la plainte du commerçant a-t-elle pu être écoutée aussi facilement, alors? Quelqu’un nous bullshite quelque part.

Sauf qu’en économie et en politique, la bullshit est malheureusement fréquente. Je m’inquiète davantage de l’exclusion sociale qui se cache derrière ce geste qui semble anodin.

De quel droit un commerçant peut-il décider qui va s’asseoir sur un banc public situé près de son commerce? En fait, de quel droit quelqu’un pourrait-il décider ça, point?

Je n’ai jamais compris comment des êtres humains pouvaient se croire supérieurs à d’autres. Pourquoi vouloir exclure ceux qu’on ne comprend pas, ceux qui sont différents? Royauté ou orphelin, riche ou pauvre, éduqué ou non, athée ou théiste, grand ou nain, mince ou gros, personne n’est au-dessus de personne. Personne ne m’est supérieur et je ne suis supérieur à personne.

Plusieurs gestes a priori banals démontrent une étrange croyance de supériorité, ou que le monde tourne autour de nous. Se donner des droits que l’on n’accorderait pas à une autre personne est une forme de supériorité.

Je connais des gens qui, par exemple, font du travail au noir, mais vilipendent ceux qui, par d’autres moyens, fourrent le système. Tu ne peux pas te donner le droit de voler le gouvernement et en même temps blâmer quelqu’un d’autre de le faire. Ce n’est pas conséquent, ni juste. Et si tu penses que c’est différent pour toi, que ton contexte si unique et particulier te le permet, dis-toi que ton voisin aussi doit penser que son contexte est unique et particulier.

Tu ne peux pas vouloir exclure une communauté culturelle et ensuite déchirer ta chemise parce que ta culture est rejetée par d’autres. Tu montres de l’ouverture en espérant retrouver une ouverture chez les autres, ou tu assumes que des gens, comme toi, rejettent d’autres personnes.

D’un côté, si tu souhaites que le gouvernement règle tes problèmes, tu ne peux pas, par la suite, chialer contre un «gouvernemaman». Si tu veux vraiment un État moins interventionniste, alors il ne sera plus là pour toi non plus.

Si tu veux empêcher des gens de s’asseoir sur un banc public, j’espère que tu es prêt, un jour, à te faire interdire de t’asseoir dans un lieu public pour des raisons aussi connes que les tiennes.

Vouloir que les gens nous ressemblent est aussi une énorme croyance de supériorité. C’est croire que nous représentons ce qu’il y a de mieux sur la Terre. Il faut être pas pire imbu.

L’uniformisation me fait peur. Crime que je ne voudrais pas un monde rempli de Mickaël Bergeron.

Êtes-vous déjà allé dans le nouveau quartier autour du prolongement de Robert-Bourassa avec des noms rues internationaux? Ça n’a pas d’âme. Tous les bâtiments sont pareils. La couleur, la hauteur, l’architecture, tout est pareil. C’est plate comme du Gyproc.

C’est tellement déprimant. Je serais curieux de voir le taux de dépression qu’il peut y avoir dans ces quartiers.

Imaginez maintenant que les gens soient aussi ternes et similaires, plaqués comme du Gyproc. Imaginez que tout le monde se ressemble.

Vous trouvez peut-être ça sympathique si cette ressemblance est la vôtre. Imaginez si, au lieu de vous ressembler, tout le monde ressemblait plutôt à Donald Trump, ou encore à Poutine, ou au punk sur lequel vous levez le nez quand vous le croisez dans Saint-Roch. Et là, êtes-vous à l’aise avec cette idée?

Moi, je veux être libre d’être qui je suis et de pouvoir m’asseoir où je veux. Et toi, veux-tu pouvoir t’asseoir où tu veux? Alors, montre l’exemple. Sinon, toi aussi tu vas finir par te faire dire que tu déranges, sans raison valable.