Roulette russe

N’importe quoi

Une personne me disait l’autre jour qu’un animateur vedette de la radio de Québec qu’elle écoute régulièrement s’était mis à parler en ondes de son domaine et qu’il se trompait sur plusieurs affaires. Il balançait des préjugés et des idées reçues comme de grandes vérités.

Évidemment, cette personne était offensée et surprise. Pourquoi cet animateur parlait-il d’un sujet qu’il ne connaît pas tant sans vérifier ses informations? Parce que c’est un show de radio et non pas une émission d’information serait la réponse courte, mais ce n’est pas ça qui m’intéresse dans cette histoire. C’est plutôt l’absence de perspective qui l’entoure.

J’ai demandé si, avec cette anecdote, elle allait écouter différemment cet animateur. Après tout, s’il dit n’importe quoi sur ça, pourquoi ne le ferait-il pas sur d’autres sujets? À cette occasion-là, elle se rendait compte du ridicule parce qu’elle connaissait bien le sujet, mais connaît-elle assez les autres sujets discutés en ondes pour savoir si ce qui est dit est fiable?

C’est difficile de savoir quand une personne dit n’importe quoi quand on ne connaît pas le sujet. Quelqu’un pourrait facilement me dire des niaiseries sur la mécanique automobile sans que je m’en rende compte parce que je ne connais pas ça. Si cette personne est à mes yeux crédible, je lui fais confiance.

Bref, malgré cette histoire, cette personne continue de faire confiance à cet animateur. Cette anecdote est, selon elle, justement, une anecdote, une exception. C’est plus facile faire confiance à une personne qui nous conforte en général dans nos préjugés et frustrations que de tout remettre en question.

On a beau dire qu’on se méfie des vendeurs de chars, on finit souvent par se faire avoir par l’un d’eux quand même. Juste parce qu’ils ont le talent de nous dire ce qu’on aime entendre, de nous flatter dans le sens du poil, de nous charmer.

Et c’est là que repose le talent de plusieurs animateurs vedettes de Québec, de plusieurs politiciens, de plusieurs vendeurs. Ils ont ce don de nous faire croire qu’ils sont crédibles, que nous pouvons leur faire confiance, de nous dire ce que nous voulons entendre, plus encore, de nous faire croire qu’ils sont comme nous.

Je le dis souvent, j’ai la chance d’être payé pour apprendre un tas de trucs sur plein de sujets. Je suis un autodidacte sans diplôme, je ne suis spécialiste de rien, mais je suis un professionnel de la culture générale. Et contrairement à ce que plusieurs pensent, je me considère quand même comme inculte. Cette phrase de Socrate me suit depuis mon enfance et refuse de s’en aller: «Je sais que je ne sais rien». Comme Jon Snow (sauf que lui l’ignore).

J’ai donc tendance à me méfier de ceux et celles qui disent tout savoir, qui pensent avoir toujours raison, qui se présentent comme des sauveurs. Même envers ceux et celles qui pensent comme moi. Certes, parfois ces personnes me font dire «OK, je ne me trompe peut-être pas», mais je laisse toujours place à cette possibilité que je puisse me tromper.

J’ai fait des milliers d’entrevues depuis 15 ans avec des gens de tous les domaines et s’il y a une chose que j’ai apprise, c’est qu’on se trompe tous, qu’on est souvent déconnectés et ignorants.

C’est difficile de s’avouer ignorant. C’est vu comme une faiblesse. Pis on aime faire croire que nous sommes forts, comme si la puissance était quelque chose qui existait vraiment.

En refusant ses faiblesses, en espérant devenir forts, on se fait passer des sapins, on s’embourbe dans des raisonnements qui ne tiennent pas. On s’attribue nos réussites et on rejette nos échecs sur les autres. Avouez que c’est complètement con!

Combien d’histoires, en littérature, en cinéma ou en théâtre, nous montrent des antagonistes qui s’égarent dans le côté obscur parce qu’ils refusent d’avouer leur faiblesse? Leur ignorance? Leur souffrance?

C’est un énorme cliché que le méchant pallie ses faiblesses en voulant conquérir le monde et en voulant faire souffrir les autres. Chaque fois, il analyse mal la situation, il se trompe de problème, il persécute les mauvaises personnes, etc.

On a tous ce méchant en nous. On va accuser les autres d’être la source de nos problèmes. On va essayer de contrôler ce qui nous entoure. On devient cette personne qui, même si elle est bien intentionnée, seconde le méchant parce qu’il nous promet de mettre fin à nos souffrances ou de contrôler notre vie et même le monde. On a envie d’y croire. On a besoin d’y croire.

Alors on partage de fausses informations sans aller plus loin que le titre. On écoute des tribuns qui disent n’importe quoi. On vote pour des politiciens qui se disent antiélites alors qu’ils en font partie et qu’ils prennent des décisions qui n’avantagent que celles-ci.

Sauf que le contrôle est une illusion. Le monde est un chaos et nous sommes faibles. Ce n’est pas du cynisme, encore moins une manière de dire qu’on ne peut rien changer. Au contraire. C’est un appel à une révolution. Mettre fin à la bullshit.

Sans tomber dans la psychopop, c’est lorsqu’on fait semblant qu’on emprisonne nos vraies forces. En plus, entre vous et moi, je trouve que c’est là que réside la beauté du monde, dans son anarchie et dans ses failles.