Le matin, lorsque je marche vers le bureau, je me réveille les neurones en écoutant des bulletins d’information. Ça me met à jour. Dans le lot, il y a toujours la météo, chose qui, en partant, me fait pas mal rouler les yeux, parce que je ne trouve pas ça pertinent. Et la manière dont ce bulletin est fait m’irrite souvent.
En voici une reconstitution.
L’animateur lance, sur un ton surempathique: «Oh la la! Ce ne sera pas facile aujourd’hui, Julie!» La chroniqueuse météo enchaîne, avec le même ton que si elle annonçait l’exécution d’une vierge en offrande à un Dieu quelconque: « Oh, non! Il fera gris et froid! Il faudra s’habiller chaudement et se munir d’un parapluie!» Réplique de l’animateur où l’on entend presque une chanson mélancolique démarrer en arrière: «On vit vraiment une période grise!» Avec un fatalisme implacable, la chroniqueuse poursuit: «En effet, on est sous la normale depuis quelques jours avec cette dépression qui est bien installée.»
Et cette conversation se poursuit avec les chiffres inutiles qu’on dit habituellement dans la météo. Je veux dire, avec beaucoup trop de détails pour ce qu’on a réellement besoin de savoir.
Quelle vie ouatée faut-il avoir pour qu’un moins cinq degrés Celsius soit aussi marquant et aussi difficile à vivre? Chaque fois, j’essaie d’imaginer qui peut avoir une vie aussi anodine que ça pour que son bonheur ou son malheur repose sur la météo à ce point-là.
Le pire, c’est que ceux pour qui ç’a un réel impact, ceux qui vivent dans la rue, ils apprennent à faire avec (et n’ont pas accès aux bulletins météo, anyway).
Curieusement, ce sont ceux qui, souvent, ont une vie confortable qui se laissent le plus toucher par cette météo. Même s’ils ne la subissent pas tant, parce qu’ils dorment dans une maison, travaillent dans un bureau et se déplacent à l’abri dans une voiture. Tous des endroits aux environnements contrôlés au degré près.
Ta vie est vide à ce point-là? C’est profondément triste.
Bien que la vie ne soit pas que noirceur et obscurité, il y a plein de sujets qui devraient nous révolter, qui pourraient donner raison à Gabriel Nadeau-Dubois sur la trahison de la classe politique des 30 dernières années, même s’il y a eu des bons coups et des avancées, il y a des décisions qui devraient susciter des hontes nationales.
Comment peut-on espérer une révolte quand, pour une partie de la population, ce qui trouble le plus sa journée, c’est un des trucs sur lesquels on a le moins de pouvoir: la présence ou non de nuages dans le ciel.
Je pourrais en dire autant, d’ailleurs, sur les bulletins de circulation à la radio. Je comprends qu’on mentionne un accident soudain ou un embouteillage hors de l’ordinaire. A-t-on besoin, toutefois, d’annoncer à tous les 20 minutes que l’autoroute Henri-IV est au ralenti, comme tous les matins pendant l’heure de pointe? Peut-on vraiment parler d’information? Répéter aussi souvent des évidences est-il réellement pertinent?
Est-ce que le seul espoir de l’auditeur est d’entendre soudainement le chroniqueur déclarer que tout d’un coup, l’autoroute Félix-Leclerc est dégagée? Est-ce que le bonheur de l’auditrice repose sur cet absurde espoir que l’autoroute Laurentienne est, par un étrange miracle, vide de toute circulation?
Admettons que tout d’un coup, la radio mentionne que les autoroutes sont bloquées, mais que sur le boulevard Hamel, c’est d’une fluidité sans nom. Est-ce que le petit 10 minutes que tu vas gagner avec ce détour rendra ta journée réellement meilleure? Tu vas te sentir plus intelligent? Plus fort? Comme le roi de la montagne?
Ce que j’entends pendant ces bulletins météo, ou de circulation, ce n’est pas de l’information, ce n’est pas une description de l’évidence, c’est l’apitoiement d’une société qui a décidé de laisser tomber, de se laisser faire, qui ne croit plus en rien.
J’ai cette image d’une société qui s’insurge contre un insignifiant crucifix dans un hôpital, mais qui ne lève pas le petit doigt pour aider son prochain ou pour protéger le vrai patrimoine, qui préfère payer le moins cher possible pour sa culture et qui pense vraiment que le BS lui vole plus d’argent que les minières.
J’ai cette image d’une population qui préfère avoir 100$ de plus quand elle retire ses impôts à la fin de l’année que de permettre à tous les enfants du Québec d’avoir accès à un CPE. J’ai cette image d’une population qui va dépasser dans une file si elle en a l’occasion. D’une population qui envoie les pires insultes et méchancetés sous l’anonymat, mais qui n’accepte aucune critique sur ses propres comportements. D’une population qui croit sincèrement qu’un équilibre budgétaire est un projet de société.
Pis c’est normal, on passe beaucoup de temps à dire au monde que son bonheur, il doit presque l’arracher à l’autre. Pis on martèle que son bonheur repose plus sur la météo que sur son environnement social. À quoi peut-on s’attendre d’autre?
C’est pas facile la vie quand ton bonheur repose sur la présence du soleil. Parce que t’es soudainement crissement impuissant.
Le danger, ensuite, c’est de croire que cette impuissance se transpose partout.
T’sais, à quoi bon vouloir changer le monde si tu ne contrôles pas le soleil?