Avant de participer à un panel à Radio-Canada, la recherchiste me demande pourquoi j’écris et m’intéresse à la grossophobie – la peur, le dégoût et le dénigrement envers les personnes obèses. «Parce que je suis contre la discrimination en général», réponds-je. Mais c’est vrai que ce sujet me touche particulièrement, le vivant directement, car étant moi-même obèse.
Pendant cette table ronde, on a beaucoup parlé de la tendance de la société à individualiser la responsabilité de l’obésité. Cette image très forte que le surpoids n’est que le fruit de décisions personnelles, d’une innocence, d’un manque de conviction ou de paresse.
Comment explique-t-on qu’une personne peut être la seule de sa famille à avoir un surpoids alors qu’elle n’a pas d’habitudes différentes de ses parents, de ses frères et de ses sœurs? Comment expliquer qu’une personne peut être sportive, bien manger, et avoir un surpoids quand même? Comment explique-t-on que certaines personnes mangent du fast-food tous les jours mais demeurent sveltes?
Évidemment, il y a de mauvaises habitudes qui encouragent un surpoids, mais c’est rarement aussi simple. Ça ne découle pas toujours de mauvaises habitudes. Et lorsqu’il y a de mauvaises habitudes, celles-ci découlent peut-être d’autres problèmes que la personne n’a pas cherchés. Dans certains cas, c’est une forme d’échappatoire, comme l’alcool ou la drogue peuvent l’être pour d’autres personnes. Une fuite après un traumatisme, une dépression, un choc, un manque d’amour, une détresse, etc.
Ridiculiser, rabaisser ou culpabiliser aide rarement la situation. La résilience passe déjà, souvent, dans le simple affrontement des regards, des commentaires et des discriminations systémiques.
Si je vous disais que ça m’a pris des années à réussir à me dévêtir devant une femme, malgré des relations sexuelles? J’ai longtemps été traumatisé, et je le suis encore, par des commentaires reçus depuis mon enfance, par des amis, des connaissances, la famille ou la culture populaire.
C’était parfois un ami qui t’a comparé au Bonhomme Michelin. Ce sont des amies lâchant des «ark» en riant de tel ou tel gros. C’est une gang d’inconnus qui rit de toi, bien fort et bien gras, dans un lieu public, devant des amis qui ne savent pas comment réagir. C’est un propriétaire qui se permet de te donner des conseils de mises en forme pendant que tu signes son bail. C’est un employeur enthousiaste au téléphone et dédaigneux en personne. C’est aussi tous ces personnages de gros au cinéma qui sont presque toujours des imbéciles et des rejets. Tous ces commentaires et toutes ces références ont construit une forte image me faisant croire que j’étais un antonyme du mot charme.
Je ne sais pas pour vous, mais la première fois qu’une personne m’a regardé et m’a dit que j’étais beau, j’étais trentenaire. Ç’a été une grosse lutte avec moi-même d’accepter ce compliment, tellement il était incongru, et de ne pas avoir l’impression qu’on me niaisait.
Encore aujourd’hui, si je me dénude dans l’intimité, ça demeure un défi de le faire publiquement – je ne parle pas nécessairement de nudisme, mais simplement pour aller nager, disons. Même si j’adore nager.
Depuis mon enfance, je me suis battu avec plusieurs hontes. Parce que mes parents se chicanaient sur mon surpoids, qu’ils voulaient tant que je me prenne en main, j’ai longtemps cru qu’ils avaient honte de moi. En plus d’avoir honte d’être une source de souffrance, d’inquiétudes et de culpabilité. Comme si j’étais un fardeau.
Ajoutons toutes les fois où la société te montre que tu n’en es pas un membre à part entière. Parce que le manège ne prend pas du monde de plus de 230 livres, parce que le magasin n’a jamais de morceaux à ta taille, parce que le passage est serré, parce que le médecin soupire en te regardant, comme si ça ne servait à rien de te guérir du truc que tu as et qui n’a aucun rapport avec ton obésité, parce que tout le monde se permet d’analyser tout ce que tu manges, parce que tu as l’impression de vivre dans une jungle où tous les animaux crient: «Hey! Crisse! T’es gros, toé!»
J’ai longtemps eu de mauvaises habitudes, j’en ai perdu, j’en ai retrouvé, c’est une valse. Je sais aussi que mon surpoids n’est pas qu’une question de mauvaises habitudes. Et même si ce l’était, je vous félicite d’avoir, vous, de mauvaises habitudes qui ne se voient pas. C’est ben d’adon.
Vous n’avez pas idée de la profondeur de mes cicatrices. Et je vous remercie de ne pas essayer d’en renier leur existence. J’ai longtemps rêvé non pas d’être mince, mais d’être aimé et accepté, simplement.
Pendant la majorité de ma vie, j’ai cru n’avoir aucune valeur, être une sorte de monstre qu’on tolère parce que gentil malgré tout. Une sorte de Quasimodo.
Ne cherchez pas une pitié ici, je sais que je pourrais trouver des vécus à la fois plus durs et plus moelleux que le mien. Je crois simplement que mon exemple peut aider à comprendre l’impact d’une ridiculisation acceptée socialement, lorsqu’une catégorie de personnes est ostracisée.
Ici, c’est envers un corps atypique et l’obésité. Mais les résultats ne sont pas très différents du racisme, du sexisme, de l’homophobie et beaucoup trop d’autres discriminations socialement acceptées, voire encouragées.
Je suis sans mot! Vous me touchez énormément!
Merci pour cet authentique prise de parole! J’espère vous relire bientôt!
Très touchant. Merci.
Tellement bien expliquer. C’est difficile d’être soi-même ou d’être vrai aujourd’hui. On doit être jeune, fort, être populaire, beau, en forme et j’en passe. Bref, la vie est une vrai mascarade.
Quel texte authentique, sensible et qui j’en suis certaine rejoindra une foule de personnes. Un texte qui démontre que vous êtes une personne qui apprend le chemin de l’amour de soi. Ce chemin, cette quête qui nécessite toujours que l’on soit vulnérable, que l’on se regarde. Nos dites faiblesses sont en fait des forces utilisés au mauvais endroit. Quand je lis votre texte, je perçois l’humanité et le respect. Comme il m’a fait un bien fou de vous lire. :) Merci d’avoir osé, merci pour la publication.
Merci pour ce texte. Tellement représentatif de ce que beaucoup de personne en surpoids. L’abus de nourriture comme échappatoire comme tu écris c’est vraiment ça. Si ton échappatoire est l’alcool ou la drogue on va parlé de maladie et il y a beaucoup de centre d’aide. L’alcool et la drogue tu dois arrêter d’en consommer et tous s’entendent que tu ne dois pas y retoucher…personne ne penserait à dire à un alcoolique de prendre juste 3 petits verres par jour mais la nourriture on doit continuer d’en prendre. Oui les gros sont encore les personnes de qui ont peut rire…
J’adore le fait que vous remerciez l’auteur pour sont texte et comparez l’obésité à la toxicomanie quand celui-ci prend la peine de spécifier à plusieurs reprises que les mauvaises habitudes ne serait pas la cause de son surpoids.
Article venant du cœur qui parle au cœur. Bravo!
Il est tres difficile de vivre dans notre société qui nous montrés seulement des photos de stars arrangées par Photoshop qui est très loin du réal . Je trouve que notre société est superficielle
Tres beau texte et tellement vrai, il y a des cicatrices qui ne guérissent jamais du a tout les commentaires sur notre poids dans notre enfance, on fait sa vie quand meme mais……..
Merci pour ce témoignage honnête et transparent. Si bien écrit… Je me reconnais tant pour avoir porté un surpoids important pendant des années! Je vois maintenant ma fille de 8 ans vivre cette gêne de son corps, un calvaire dur à porter sur ses épaules. Au quotidien elle se le fait rappeler par les enfants de l’école, en se comparant aux acteurs à la télé, quand elle s’habille et réalise qu’elle a pris du poids, au baseball lorsqu’elle réalisé que les autres enfants courent plus vite qu’elle…
Une enfant si belle et brillante…
Merci à vous de contribuer à changer les perceptions.
Tellement généreux ce témoignage Mickaël. Et utile pour tous: pour ceux et celles qui partagent ton expérience et pour ceux et celles qui la jugent.
Je suis 6’2″ et 275 lbs. J’ai une bonne musculature mais une bonne bédaine aussi. Je ne suis pas sportif, mais je mamge bien et je fait un travail exigeant physiquement et mes enfants me gardent en forme.
En pause au travail, on jasait de grivoiseries et une collègue dit « mais les gars gros, s’ils sont pas capables de prendre soin de leur corps ne méritent pas que les femmes leur donnent du plaisir. » Je lui ai demandé, « alors moi, qui aime et qui donnerait tout à ma femme, puisque je suis gros, ne méritrais pas le même? » Elle est restée sur son point.
Je trouve malheureux qu’il a des gens qui sont autant répugniés qu’ils pensent que les obèses ne méritent pas de respect, d’amitié ou d’amour.
Terrible ça. Tout le monde mérite l’amour. Même les personnes qui font de la discrimination ou méchantes, en mérite…
Je me reconnais tellement dans ce texte que je pourrais l’avoir écrit. Merci. Ton texte fais du bien