Roulette russe

L’important, c’est de participer

J’écoute pas mal tous les films de superhéros. Pas juste les films; je suis un bédéphile qui enligne aussi les bandes dessinées de superhéros. Je suis plus de l’école européenne que des comics américains, mais j’en lis quand même.

Il y a un côté soap américain dans les comics qui font que je m’en suis tenu loin un bon moment. J’ai longtemps considéré que ces aventures de Spiderman, Superman ou Batman étaient des romans-savons à l’instar des Santa Barbara de la télévision, mais avec de la testostérone.

Je m’étais déjà tapé les mythologies égyptiennes, grecques et romaines, gamin, donc des histoires de gens avec des pouvoirs qui passent leur temps à s’aimer, se trahir, s’aider et se venger, et n’étant pas très porté sur le viril, j’avais décidé de passer mon tour.

Sauf qu’un jour, je suis tombé sur des histoires de superhéros que l’on pourrait qualifier «d’auteur». Des éditions spéciales, des séries courtes, avec une vision artistique, et là, j’ai compris. Je ne suis pas plus friand des éditions régulières, mais les hors séries, elles, je les apprécie.

Simplement parce qu’on y retrouve de beaux dilemmes moraux, qu’on remet en question certaines valeurs ou qu’on jette un regard en biais sur la société – encore avec des archétypes – par l’entremise du personnage ou du scénario.

Batman est-il valeureux ou cinglé? Superman doit-il continuer d’aider cette humanité qui ne l’accepte pas? Le bien commun mérite-t-il nos sacrifices? La vertu a-t-elle sa part d’ombre?

Inévitablement, on explore aussi les méchants, et donc la rancune, le mal, la haine, la violence, la vengeance. Il y a toujours une histoire à tirer du côté obscur, parce qu’il nous fascine, parce qu’il nous trouble, parce qu’il déstabilise, parce que nous avons tous peur de notre propre côté obscur, aussi, j’imagine.

Il y a un côté qui m’énerve quand même toujours un peu dans ces histoires. Ces personnages qui soutiennent le méchant dans son épopée, dans sa quête de justice – la plupart du temps biaisée par la douleur. Et ils embrassent la cause de tout leur corps. Le fameux «tu es avec moi ou contre moi». Avec un mépris sans raison de ce qui est considéré comme un adversaire.

Le concept «d’ennemi». Je ne comprends pas ça. Tout comme le mépris.

Dans une histoire de superhéros, ça peut passer quand c’est bien scénarisé, et ça se veut stéréotypé et souligné à gros traits, mais dans la vie, c’est lourd.

Surtout quand cette idée d’ennemi ou de mépris est mise de l’avant en politique – la fameuse partisanerie – ou par des chroniqueurs ou des animateurs.

Je pourrais en nommer plein qui, au lieu de débattre, vont plutôt exprimer du mépris, comme ça. On ne discutera pas des idées, on va les surnommer «enverdeurs», à la place. On n’expliquera pas sa position, on va traiter ceux qui ne pensent pas comme nous «d’incultes budgétaires», parce qu’évidemment, si on n’est pas du même avis, c’est qu’on ne comprend pas.

On va aussi renommer les gens ou les organismes. GND peut devenir «Grabuge Nadeau-Dubois», par exemple, l’IRIS va devenir l’«Institut de recherche en idioties soviétiques» ou le Journal de Québec va devenir le «Journal de Cul».

À quoi ça mène, ce mépris? Est-ce que ça fait avancer le débat? Est-ce que ça permet de discuter? Est-ce que ça met de l’avant des idées? Non! C’est juste un show de boucane, ou pire, c’est le cliché du dur de la cour d’école qui écœure les autres parce qu’il est incapable de parler.

Ironiquement, c’est parfois avec violence que certaines personnes demandent à Gabriel Nadeau-Dubois de dénoncer une violence qu’il n’a pas lui-même commise.

Et c’est là qu’on revient à ces superhéros et à ces méchants dans les bandes dessinées ou dans les films. On revient à cet étrange principe que l’important, c’est de gagner, pas d’améliorer le monde.

Il y a plusieurs personnes avec qui je ne suis pas d’accord mais dont je reconnais ce réel désir de faire le bien. On ne partage pas la manière ou même la vision de ce bien, mais on ressent ce désir.

Puis il y a ceux et celles qui veulent juste écraser l’autre. Pas pour le bien commun, pas pour la société, mais pour leur bien très personnel, pour leurs nerfs, leurs rêves, leur haine, je ne sais pas, je ne comprends pas, mais ce n’est manifestement pas pour le mieux de la société ni parce qu’ils sont animés par un idéal. C’est du simple mépris.

Un peu comme Frank Underwood (House of Cards) lorsqu’il dit que l’important, ce n’est pas tant la victoire que de ne jamais perdre.

Pour moi, il n’est pas question de gagner ou de perdre, encore moins de savoir si l’on va se souvenir de moi, mais plutôt de faire de mon mieux pour faire le bien. Ce n’est pas vrai que la vie est une guerre. D’ailleurs, je n’ai aucun esprit de compétition – je me fiche beaucoup trop de perdre ou de gagner.

Ça fait de moi un chroniqueur moins punché, un animateur moins coloré, et un artisan moins fortuné, ça, sans aucun doute, et je ne pense pas non plus que ça m’amène plus d’amour pour autant.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, je manque déjà d’énergie pour toujours être là pour tous ceux et celles que j’aime, pour les valeurs auxquelles je crois – pourquoi perdre du temps à entretenir du mépris?

L’attaque n’est pas la meilleure défense ni un signe de force. Ça ressemble plus à une peur de tomber.