Roulette russe

Aimez-vous, crisse!

Je venais de couvrir la fameuse manifestation, ou contre-manifestation, du 20 août dernier (La Meute, les antifas et compagnie). Sur la rue Saint-Jean, un petit bout de tissu, rose fluo, avec ceci écrit en noir dessus: «Aimez-vous crisse!» J’ai immédiatement été charmé. Surtout après cette journée de tensions.

Je l’ai prise en photo, avec en trame de fond les rues Saint-Jean et Honoré-Mercier, et l’ai mise comme photo de couverture de ma page Facebook. Ça peut sembler banal, mais je pense que je n’avais pas changé cette image depuis 2014. Je ne change pas souvent de photo, sur Facebook…

L’amour et la douceur sont deux choses en lesquelles je crois beaucoup. Le monde manque souvent d’amour. Le monde croit souvent à tort que la douceur est plus faible que la sévérité ou la dureté. Et pourtant, à long terme, la douceur vient sûrement plus à bout de bien des choses que la colère. En langue geek, je dirais que non, le côté obscur de la Force n’est pas le plus fort.

On pense aussi, à tort, que la douceur signifie de tout accepter, que la douceur ne peut être ferme, que la douceur est synonyme de mollesse. C’est plutôt une façon d’aborder les choses, une façon de regarder l’autre et le monde. Ce n’est pas se plier à l’autre, bien au contraire.

Après l’attentat de Québec en janvier dernier, j’ai été invité à une soirée où plusieurs auteurs et autrices réfléchissaient sur l’ouverture, sur la violence, sur l’inclusion. J’y ai parlé de l’importance du pardon, ce qui, selon moi, est une forme de douceur, une manière de mettre l’amour devant la haine.

Je pardonne à celles qui m’ont brisé le cœur comme je pardonne à ceux qui m’ont abandonné ou trahi. Je pardonne les accidents, les blessures, les rejets, les attaques, les injures, les injustices et les oublis.

Ça ne veut pas dire que j’accepte les événements ou qu’ils n’ont pas d’impact. Ça ne veut pas dire que je n’en souffre pas et que je trouve ça bien. Je refuse toutefois que les blessures se creusent par ma haine, que le mal s’agrandisse par la colère, que le cercle vicieux prenne de la vitesse avec de la rancune. C’est, en bonne partie, un acte de survie, un acte de résilience.

Si une personne me fait mal à répétition, pour diverses raisons, je ne lui en voudrai pas et je ne l’enverrai jamais promener, mais je vais me distancier d’elle, voire l’écarter de ma vie, s’il le faut. Cette nuance est importante. Je le répète: pardonner ne veut pas dire oublier et ne rien ressentir, encore moins que les cicatrices sont absentes, ni ne rien vouloir changer.

La douceur comme moteur de changement. Je ne parle pas nécessairement de prendre tout le monde dans ses bras; la douceur ne se manifeste pas seulement par des accolades, des caresses et des mots doux. La douceur passe aussi par la compréhension, par l’ouverture, par la discussion, par le respect.

Considérer son voisin comme son égal, c’est une forme de douceur. Tendre la main à quelqu’un qui trébuche, c’est une forme de douceur. Prendre le temps d’expliquer quelque chose, ouvrir son esprit, écouter, apprivoiser… la douceur peut prendre plusieurs formes, dont certaines sont très proactives.

Comme le disait la philosophe Anne Dufourmantelle, récemment décédée, la douceur c’est aussi de «ne pas vouloir ajouter à la souffrance, à l’exclusion, à la cruauté», et ça, on l’oublie souvent. Loin de moi l’idée qu’il faille tout tolérer, mais je crois que la douceur, l’ouverture et l’amour, au sens large du terme, peuvent être plus efficaces que l’exclusion et l’isolement pour combattre l’intolérance. Selon moi, la violence pour combattre la violence, le feu pour combattre le feu, bien que pouvant avoir un effet à court terme, ne peut qu’être un piège à long terme. Reproduire envers quelqu’un ce qu’on lui reproche peut difficilement ne pas être un cercle vicieux.

La douceur, c’est aussi l’éducation, populaire, familiale, mais aussi scolaire (gratuite, évidemment). L’évolution passe par l’éducation, rarement par les révolutions.

Anne Dufourmantelle ajoutait, par ailleurs, autre chose de très important sur la douceur, l’acceptation de nos faiblesses, et de celles des autres. Elle disait qu’il faut un espace pour la sensibilité, afin de créer «un rapport à l’autre qui accepte sa faiblesse ou ce qu’il pourra décevoir en soi. Et cette compréhension profonde engage une vérité». L’honnêteté encourage la douceur, et la douceur encourage l’honnêteté.

La douceur ne doit pas seulement être envers les autres, elle doit aussi être envers soi-même. On voit souvent cette absence de cohérence dans la manière dont on se traite et traite les autres. Remarquez comment, souvent, les personnes les plus intolérantes envers les autres ont une facilité à se pardonner et comment les personnes les plus tolérantes envers les autres sont très dures ou exigeantes envers elles-mêmes.

Je vous le donne en mille, j’ai une plus grande facilité à aimer les autres qu’à m’apprécier. Je tente de m’autoriser la même douceur que je donne aux autres.

«Aimer, c’est agir», a écrit Victor Hugo. Je dirais qu’aimer, c’est changer le monde. Aimer est probablement le vrai sens de la vie. Dans toute cette vie absurde, et malgré mon célibat quasi éternel – parce que l’amour c’est plus que le couple –, c’est la seule chose qui me permet de donner du sens à la vie et probablement ce qui permet de bâtir une société, de vivre ensemble, comme le veut la formule éculée.