Cette phrase lâchée par un ami pendant une fête queer en juin dernier me revient souvent en tête: «Je ne te parle pas encore beaucoup parce que tu m’intimides, mais ça va venir!»
Qu’on se comprenne bien ici, ce n’est pas une intimidation venant d’une quelconque violence de ma part. Il est intimidé par… je ne sais pas exactement quoi, mais j’imagine que c’est ma personnalité. Je ne sais pas vraiment ce que j’ai d’intimidant.
En même temps, j’ai de plus en plus cette impression que l’image que j’ai de moi-même ne colle plus. Dans ma tête, je suis encore le petit gars timide qui a l’impression d’avoir tout à apprendre, qui observe le monde dans son petit coin sombre, tranquille dans l’ombre, un calinours qui retient ses arcs-en-ciel dans son ventre.
Je suis encore loin d’être Patrick Lagacé, mais je dois bien me rendre compte que je ne suis plus tant dans l’ombre. Depuis bientôt deux ans, mon visage est dans ce magazine. Vous m’arrêtez dans la rue pour me féliciter et m’encourager à continuer. Mon collègue se sert de mon nom pour convaincre des invité.e.s de participer à la matinale que j’anime à Québec. On me demande d’être ambassadeur pour des causes. Des gens ont fait un macaron avec ma face.
Cette même face que des collègues me disent voir circuler régulièrement sur les réseaux sociaux, ce dont je ne semble pas vraiment au courant.
Une amie m’a même confié que parfois, elle me «name droppait». Bien franchement, je ne pensais pas un jour me faire dire ça.
Quelqu’un a parlé de moi en m’associant au mot force. Ah, ouin?! Vraiment?!
Ma timidité habituelle me dit qu’en ce moment, j’ai l’air de me vanter. Je suis en fait le premier surpris. Je m’étonne publiquement avec vous, pendant que vous lisez ces lignes.
Les fins d’année sont souvent des moments de bilan, le mien est que je dois assumer la petite part de spotlight dont je bénéficie et que vous me donnez. Et qui a beaucoup grandi en 2017.
Quand j’ai commencé le métier, je signais sous un nom raccourci (Mike B). La seule raison pourquoi je n’utilise pas un pseudo aujourd’hui est que je n’en trouve pas un assez bon. Parce que je n’ai jamais recherché ce fameux spotlight, parce qu’être connu ne m’a jamais intéressé.
Honnêtement, une partie de moi se méfie de la célébrité et du pouvoir (les médias ont un pouvoir), peu importe comment ils se déclinent. Ils me font terriblement peur. J’ai peur de perdre ma place dans le monde – les gens, le peuple. Je tiens à rester près des gens.
J’ai peur du pouvoir qui nous corrompt, de ce cercle vicieux qui nous amène dans une bulle à part, dans un monde où les faveurs vont de soi, dans un monde où les gens ne nous disent pas non, où les gens ont peur de nous déranger, de nous déplaire.
Même si je crois qu’une bonne part de toutes ces histoires d’horreur qu’on entend sur ces gens de pouvoir qui font du harcèlement et commettent des agressions vient beaucoup de leur personnalité – atteindre le haut de cette pyramide demande certains traits de personnalité –, j’ai peur, quand même, de finir par croire que je suis «spécial», que je mérite cette attention ou ce pouvoir qui vient avec ces tribunes, aussi modestes peuvent-elles être.
Je me détesterais si je perdais cette capacité de considérer l’autre comme mon égal, si je perdais mon empathie, si j’avais le sentiment de ne plus dépendre de personne (le pouvoir crée une forme d’indépendance, d’autosuffisance) et que j’en venais à me contrefoutre des autres, comme le font beaucoup trop de personnes avec du pouvoir.
Comme lorsque la classe politique décide de ne pas écouter les victimes de racisme systémique. Comme lorsque les plus riches n’ont rien à foutre du sort de ceux qui n’ont rien – et se battent pour ce rien. Comme ces humoristes qui pensent que rire des opprimés, c’est la même chose que rire des oppresseurs. Comme lorsque les vedettes pensent que ce sont leurs fans qui leur doivent de quoi. Comme lorsque des hommes pensent que ce ne sont pas leurs comportements qui sont merdiques, mais qu’ils sont victimes de la rectitude qui aurait changé. Comme ces personnes qui pensent que le statu quo n’est pas une prise de position aussi.
J’ai peur de finir complètement déconnecté comme toutes ces personnes. J’ai peur de perdre la vraie notion du respect. J’ai peur de perdre ma douceur. J’ai peur que mes meilleures amies me disent: «On te reconnaît plus Mickaël.» J’ai peur de mêler l’amour du public et l’Amour. J’ai peur d’en vouloir plus.
Presque toute ma vie, je me suis donc tenu tranquille dans mon coin. J’ai fait mes choses sans faire trop de bruit, me tenant loin du cirque, des jeux de coulisses et des courses au spotlight.
Depuis 15 ans, quelques personnes ont bien tenté de me pousser à prendre plus de place dans le débat public, à réclamer une plus grande place dans les médias, mais je restais dans le cadre de porte.
Probablement que je n’étais pas prêt non plus. Pas prêt à résister à ce chant des sirènes. Un manque de confiance en moi. Une carence en amour pas réglée. Se sentir trop faible pour affronter ces personnes qui se pensent importantes.
Je ne recherche toujours pas le pouvoir, et je ne comprends toujours pas ceux et celles qui le veulent, mais il ne me fait plus peur.