Le gouvernement a volontairement décidé d’appuyer certains préjugés et de leur donner du poids. Il y a les pauvres qui font vraiment pitié et il y a les pauvres qui ne font vraiment pas pitié.
Notons que le gouvernement veut «lutter» contre la pauvreté de la même manière qu’il souhaite lutter contre le racisme et la discrimination systémique, c’est-à-dire en misant sur l’employabilité. Qui sait, ce printemps aura-t-on peut-être, aussi, un plan d’employabilité pour lutter contre la pollution.
Se pensant courageux ou généreux, Philippe Couillard et François Blais ont pitié des bons pauvres et bonifieront les montants des prestataires «inaptes» au travail, rattrapant en fait un retard injuste. Sans aucun doute, ce n’est pas pour «profiter du système» que ces gens ne travaillent pas. Contrairement aux «autres» pauvres, on ne peut pas les culpabiliser de leur état.
Cette distinction est plus dure à faire avec une personne n’ayant aucune limitation physique, ou aucune maladie mentale apparente. «Être apte au travail», c’est une notion vachement difficile à définir et c’est là-dessus que joue le gouvernement pour trancher si une personne sera maintenue dans l’extrême pauvreté ou un peu sous le seuil de pauvreté.
Je pense à Gisèle qui a travaillé dur, vraiment dur, toute sa vie, parfois deux emplois en même temps, dont un à temps plein, pour réussir à payer le loyer et à nourrir ses enfants. Des emplois presque toujours au salaire minimum. Juste de quoi arriver.
Je ne sais pas comment on pourrait appeler ça. Peut-être un burn-out, peut-être une dépression, peut-être juste un épuisement vraiment profond, accumulé par 30 années à jongler avec un salaire venant des seuls emplois possibles sans diplôme d’études secondaires. Quand on est toujours en train de se débattre pour ne pas se noyer sous les factures, consulter un psychologue est un gros luxe. Mais elle avait besoin d’un break.
Se distancer du milieu du travail qui ne lui a jamais fait de cadeau, de promotion, témoigné de la gratitude et encore moins valorisé. Elle endurait ce calvaire parce que sinon ses enfants ne mangeaient pas. Alors quand ils ont quitté le logement, sa seule motivation à se faire chier au travail a disparu.
Le break a duré quelques années. Étant donné les 30 dernières années, elle était clairement «apte» au travail. Même si l’aide sociale lui avait demandé si elle allait bien, elle n’était sûrement pas consciente de sa propre détresse. De toute façon, tu n’as pas envie de raconter à quel point ça fait 30 ans que tu te bats pour des riens pis que t’es juste écœurée. Parce que tu as honte, comme si c’était de ta faute. Tu préfères endurer le mépris et le jugement des autres et du ministère plutôt que raconter ton histoire.
Je pense à Annie, qui, à 18 ans, a quitté sa famille d’accueil. Garrochée d’une famille à une autre pendant son adolescence, elle doit du jour au lendemain tout assumer dans sa vie, même si on ne l’a pas vraiment préparée à ça.
Sa situation familiale et sociale ne lui a pas permis de travailler avant. Ces familles qui l’ont prise ne l’ont jamais vraiment encouragée ni encadrée. Sans parler du viol qu’elle a subi et qu’elle n’a raconté à personne.
Ça ne paraît pas, sur un carnet de santé, que tu as besoin de te bâtir au complet. Apprendre à te gérer, à recevoir de la confiance des autres, à avoir des responsabilités. Construire ta confiance et ton autonomie. Comprendre que tu peux être autre chose qu’un boulet.
Ces trucs que beaucoup de gens apprennent jusqu’à la vingtaine dans le nid familial, elle a dû les apprendre en accéléré, avec tout l’étourdissement que ça peut donner de partir de 0 à 18 ans, sans l’appui de personne, avec 628$ par mois.
Elle était clairement apte au travail, d’un de point de vue médical, mais l’était-elle vraiment?
Et moi, est-ce que j’étais apte au travail lors de mes deux passages sur l’aide sociale? Je n’étais pas malade. Aucun handicap, aucune maladie mentale diagnostiquée. Pourtant, avec le recul, je vois bien que j’avais quelque chose à rebâtir en moi. Ce n’était pas une dépression. C’était quelque chose de brisé.
Et ça, les préposés que j’ai rencontrés s’en fichaient. J’aurais peut-être eu un passé comme Annie ou Gisèle à raconter qui aurait permis de mieux comprendre la situation, de mieux comprendre ma temporaire inaptitude au travail, mais ça n’aurait rien changé. On est apte au travail jusqu’à preuve du contraire.
Cette preuve du contraire n’arrive parfois jamais. Je ne sais pas comment j’aurais pu prouver que je n’étais pas prêt mentalement à travailler. Pour moi, c’était une évidence que si je cognais à l’aide sociale, c’est que j’avais atteint le fond du baril.
On est tellement pauvre sur l’aide sociale que je me demande bien de quoi on est censé profiter là-dessus. On subit le système, on ne profite d’absolument rien, sauf du jugement de tout le monde. L’aide sociale est en soi un acte de survie.
Quand un.e député.e perd son siège, une allocation de transition vient adoucir le changement de vie, le choc, aussi, sûrement. Cette allocation est là, peu importe si la personne est apte ou non au travail.
Quand on est un.e simple travailleur.euse, il n’y a aucune allocation de transition quand tout bascule, rien pour se permettre de se rebâtir, de se relever. Juste l’aridité de l’aide sociale, souvent. Et le Parti libéral du Québec vient de dire que même ça, c’est trop doux. C’est franchement insultant.
Félicitations pour ton témoignage. Ça devrait pouvoir améliorer la situation des personnes assistées sociales. Ça devrait…
Et il sera réélu sinon son clone la CAQ !
Tellement vrai. J’aurais aimé écrire ce texte mot pour mot mais juste de penser à ce sujet me met en colère. Merci d’être là et de l’avoir fait pour moi.