J’ai perdu ma bibliothèque musicale numérique il y a deux ans. Après avoir essayé de la récupérer, ainsi que toutes les photos, vidéos, textes et autres fichiers qu’il y avait sur le disque dur, j’ai compris que je devais faire mon deuil. Pour la reconstruire, j’ai ressorti les vieux CD de mon adolescence.
Comme plusieurs adolescent.e.s des années 1990, je me suis tenu dans les shows punk, à l’époque où ils se faisaient dans les sous-sols d’églises, dans les salles communautaires, les gymnases d’écoles ou dans les stationnements. À cette époque, je pense que MAP était dans tous les shows de Québec. Ou presque.
J’ai mushpité, circlepité et trashé à en trouver ça banal. J’ai skanké, aussi.
Je n’écoutais vraiment pas que du punk, du ska ou du hardcore, mais j’avais quand même des patchs sur mes chemises, des studs sur mes bracelets et même sur mon chapeau, un moment, et j’ai porté un mohawk quelques années au début de ma vingtaine.
À l’époque, je reprenais les gens qui me qualifiaient de punk, ne me considérant pas ainsi, mais avec le recul, je les comprends. L’idée de me faire coller une étiquette me gossait probablement plus que l’étiquette en soi.
Alors, je parcours les albums de mon adolescence. Je tombe sur MAP, entre autres, avec Injustice for All, mais aussi Arseniq33, les Vulgaires Machins, Against All Authority, Choking Victim, Anti-Flag, Grimskunk ou des compilations comme Physical Fatness.
Au-delà du fait que je connais encore par cœur certains de ces albums et que j’ai toujours du plaisir à réécouter certaines pièces que j’avais oubliées, je suis surpris par la manière dont certains textes résonnent encore chez moi.
Des textes qui critiquent la société, la politique, la norme. Des textes qui nous invitent à résister et à ne pas plier sur certaines valeurs – la justice, l’entraide, l’ouverture, le respect, l’égalité. C’est souvent loin de la caricature violente qu’on colle au punk, même si elle existe aussi.
Ça fait quelque temps que je me dis que notre société aurait besoin d’un petit coup de vent punk. Il y a quelque chose de trop propre. Trop normé. Trop confortable.
Des exemples de ce confort: demander aux manifestants de ne pas déranger. Reprocher à des gens qui veulent changer le système de ne pas passer par le système. «Think outside the box», c’est cool, mais juste en marketing.
Si les suffragettes n’étaient pas sorties dans les rues et étaient restées dans leur cuisine, en quelle année tardive les femmes auraient-elles obtenu le droit de vote?
Si Rosa Parks avait cédé son siège, combien de temps de plus la ségrégation aurait-elle continué aux États-Unis?
Si les Allemand.e.s n’avaient pas commencé à piocher le mur de Berlin, quand serait-il tombé?
Si Colin Kaepernick n’avait pas posé le genou au sol, comment aurait-il attiré l’attention sur ce qu’il voulait dénoncer, soit le racisme encore présent aux États-Unis?
Si les victimes d’agressions sexuelles ne comptaient que sur le système judiciaire, comment la culture du viol aurait-elle pu s’immiscer dans le débat public?
Un mouvement comme Idle No More existe parce que les voies officielles refusaient – et refusent toujours – d’écouter les problèmes, les blessures et les préoccupations des Autochtones. Black Lives Matter, les Femen et les autres mouvements de contestations sont motivés par l’indignation, coincés dans un cul-de-sac du système.
Les exemples de prise de conscience entamée ou propulsée par une forme de désobéissance civile, par une cassure avec la norme sociale, sont nombreux. Et cela va de soi.
Sans discréditer les voies officielles comme la politique, le changement ne peut reposer que sur elles. Les changements profonds doivent être réclamés par le peuple, par «nous», ils doivent venir de la base, le fameux «bottom up». Il doit y avoir une lame de fond.
Si nous voulons, par exemple, que l’éducation soit réellement une priorité lors de la prochaine campagne électorale, il faut alors l’imposer aux candidats et aux candidates, leur en parler lorsqu’on les croise, l’exprimer dans les médias, sortir dans la rue pour le revendiquer, s’il le faut. Il faut réellement s’approprier l’enjeu. Ne pas laisser Pierre, Pierre et Ricardo s’en charger pour nous.
Bien que les foules s’embrasent malheureusement souvent pour des riens, il reste que lorsque la population s’indigne pour quelque chose avec force et en masse, le gouvernement, souvent, l’écoute. Pas toujours, parfois timidement, mais quand même. Il vient un moment où il n’a plus le choix, l’enjeu s’impose.
Sauf que le gouvernement est chanceux, ou joue bien son jeu, la population est souvent divisée et indifférente au sort collectif.
Le discours général encourage une forme de déresponsabilisation sociale, un individualisme qui se méfie du collectif. On pousse un réflexe normal de protéger ses acquis avant de vouloir aider l’autre, même si tous se soutenir permettrait à tous et à toutes d’avoir de meilleurs acquis.
On tente souvent de faire croire que le statu quo est une bonne chose, que le changement est dangereux. Pire, toutes les époques ont eu leur lot de personnes croyant que la société avait atteint son sommet de perfection, traitant les idéalistes de naïfs.
Il y a clairement des trucs naïfs dans certains textes de mes vieux albums punk, mais entre ça et croire qu’on n’a plus rien à changer, je préfère encore la naïveté.