Diana est citoyenne canadienne. Elle a juré devant la reine pis toute. Elle est aussi originaire de l’Amérique du Sud. Mais elle a surtout grandi ici, à Québec.
Aujourd’hui, elle a 26 ans. Depuis son arrivée avec ses parents à l’âge de 10 ans, elle a eu le temps de faire une partie de son école primaire à Québec, puis secondaire, son cégep et même un baccalauréat.
Elle travaille ici, comme pas mal tout le monde. Elle s’implique dans sa communauté et est fière du coin où elle a grandi. Elle revendique et célèbre sa québécité comme elle chérit ses origines latines.
Diana est un bel exemple d’immigration, comme on en a plein au Québec. Ou presque. Le hic ne vient pas d’elle. Il ne vient pas vraiment des autres. Il vient du système. Un système qui rappelle sans cesse qu’elle a beau avoir sa citoyenneté, elle n’est pas tout à fait une citoyenne canadienne comme moi. Comme s’il y avait deux classes de citoyenneté.
Il y a la citoyenneté qui vient avec la naissance, une citoyenneté qui n’a jamais à prêter serment à la reine (ce que je serais incapable de faire), une citoyenneté qui n’a pas à passer de test pour prouver ses connaissances sur le Canada (ce que plusieurs échoueraient) et une citoyenneté qui n’a pas à toujours prouver sa loyauté au pays.
Bon, quelquefois je dois montrer mon certificat de naissance, mais ça n’arrive pas si souvent. Pas aussi souvent que ça peut arriver à Diana en tout cas.
Jusqu’à ce que Diana me raconte son histoire, je pensais naïvement que nos immigrant.e.s devenaient nos égaux en recevant la citoyenneté canadienne. Après tout, habituellement, quand on accepte quelqu’un dans notre gang, c’est que la personne fait entièrement partie de la gang. Elle n’a plus rien à prouver ensuite. Jurer devant la reine, c’est l’espèce de test final, pour départager les apprentis des mestres. Le stage est fini, t’intègres la patente pour vrai, avec tous les droits et devoirs qui viennent avec.
Ç’a l’air que non.
Diana se demande combien de fois elle devra prouver qu’elle est québécoise, comme moi, comme les autres de la table voisine du café où on parle de sa situation.
Une de ces situations l’a déjà forcée à reporter son deuxième bac. Le temps qu’elle trouve les papiers à remettre et qu’elle prouve qu’elle n’a pas à passer un test de français, ce programme contingenté s’est rempli.
À sa deuxième tentative, elle a encore dû prouver qu’on l’a acceptée dans notre gang. Le ministère de l’Éducation exige que les personnes comme Diana prouvent qu’elles ont continué à vivre ici s’il y a eu une pause dans les études.
Elle doit déclarer sous serment qu’elle vit au Québec. Que ses parents ou son conjoint restent au Québec – on remercie que ses parents ne soient pas repartis et qu’elle ait un conjoint. Et ce, malgré son âge, son bac déjà en poche, fait ici à Québec, et sa citoyenneté canadienne.
À quoi bon jurer devant la reine si la reine ne la reconnaît pas entièrement devant la loi et les procédures?
Diana pourrait donc passer 20 ans au Québec à participer à l’économie, à payer ses impôts, à avoir des enfants ici et il faudrait quand même qu’elle prouve qu’elle n’a pas trahi sa citoyenneté canadienne en allant vivre ailleurs. Sinon, pourquoi vérifier ça? N’est-elle pas citoyenne canadienne? N’a-t-elle pas été acceptée dans la gang?
Si je pars vivre cinq ou vingt ans à New York et que je reviens, je n’aurai pas à prouver ma citoyenneté canadienne. Par ma naissance, elle m’est acquise pour la vie. Qu’importe ce que je fais, sans avoir prêté aucun serment, sans avoir fait aucun test.
Selon Diana, tout ça est très humiliant. Elle ne le dit pas, mais je sens aussi la lourdeur et la lassitude dans ses mots. Elle repense à ses parents dont le Québec n’a jamais reconnu leurs compétences. J’en comprends que ses parents ne se plaignent pas, mais qu’ils sont quand même blessés par ces promesses qui ont été brisées par le système qui ne reconnaît pas les diplômes.
L’exil vient avec d’énormes souffrances, et de grands espoirs. Le sacrifice se fait souvent pour l’avenir de ses enfants, alors on accepte d’être commis dans un entrepôt au lieu d’être ingénieur, on accepte ce sacrifice de plus, pour l’avenir de ses enfants. On oublie trop souvent ce que les immigrant.e.s mettent de côté pour être accepté.e.s parmi nous.
Diana semble en colère à la place de ses parents. Diana insiste pour dire qu’elle n’est pas ingrate et elle est consciente de ce qu’elle bénéficie ici. C’est comme si elle se demandait si elle allait devoir dire merci toute sa vie. Pendant combien de temps un.e immigrant.e doit être reconnaissant.e?
Des cicatrices familiales qui ouvrent chaque fois que le système lui rappelle qu’elle n’est pas née ici, au Canada, et que c’est peut-être un problème. Une sorte de trahison de la terre d’accueil. Comme s’il y avait toujours un mais.
Bien sûr qu’elle est canadienne, mais, juste pour être sûr, faudrait le déclarer encore. Bien sûr qu’elle est québécoise, mais, juste pour être sûr, on va vérifier. Bien sûr qu’elle est l’une des nôtres, mais on garde quand même un œil sur elle.