Je me suis demandé si j’avais répondu la bonne affaire, même s’il n’y a pas de bonnes ou mauvaises réponses, normalement. J’ai quand même eu cette impression d’avoir manqué le critère nécessaire pour obtenir de l’aide.
Ça m’a choqué, même si je n’étais pas surpris. J’en ai lu des témoignages sur les difficultés d’avoir accès à des soins en santé mentale ces dernières années. J’ai interviewé des gens, des deux côtés, médecins et malades, qui m’ont parlé de cette difficulté. Au point que j’ai moi-même remis pendant longtemps mes propres essais, me disant que je frapperais les mêmes nœuds du système.
J’ai quand même été choqué et blessé. Je me suis aussi senti abandonné.
«Avez-vous des idées suicidaires?», m’a demandé le premier travailleur social – parce que ce ne sont pas des psychologues que nous voyons, mais des travailleurs sociaux qui tentent d’évaluer nos besoins. «Non, je n’ai pas d’idées suicidaires.» C’est là que j’ai senti que je ne répondais pas la bonne chose.
J’ai eu l’impression d’être dans un questionnaire où telle réponse amène d’autres questions et une autre réponse termine le processus. Et là, en n’ayant pas d’idées suicidaires, j’ai eu l’impression que je tombais dans les limbes des soins en santé mentale du Québec. Un lieu flou, sans réels services adaptés, et limité.
Ça, c’est un autre truc débile du système. Même si la deuxième travailleuse sociale que j’ai rencontrée m’a dit qu’elle n’était pas sûre de pouvoir m’aider et qu’elle ne semblait pas pouvoir transférer mon dossier vers une psychologue ou un autre spécialiste qui pourrait m’aider, son aide à elle était quand même limitée. Douze séances et après… arrange-toi!
Pourtant, lorsque j’ai failli perdre ma jambe à cause d’une méchante bactérie, on ne m’a jamais dit que c’était douze séances et qu’après je devais m’arranger. Non, on m’a suivi jusqu’au moment où ma jambe était guérie.
Ici, il y avait une limite, santé mentale retrouvée ou non. Et ça, c’est terrible, parce que ça met une pression énorme.
Reste que je n’ai pas d’idées suicidaires. Sauf que ça ne dit pas tout, ça. Je n’ai jamais eu d’idées suicidaires, même dans mes périodes les plus sombres, profondément sombres. Ça ne veut pas dire que je tenais à la vie, que je n’avais pas de comportements destructeurs où je ne me disais pas que tomber dans le coma pourrait quand même enlever pas mal de pression; ça veut juste dire que je n’ai jamais songé à me tuer moi-même.
Quand je suis allé au CLSC, j’étais dans une bonne période, ce qui n’a sûrement pas aidé le triage. Sauf que même si ça allait mieux, je me suis bien rendu compte que je n’arrivais pas à me sortir moi-même d’un certain cycle et de mauvais mécanismes.
J’ai tenté de l’expliquer aux deux travailleurs sociaux. Là, ça va bien, je suis sorti de ma plus récente période noire, j’ai repris goût, j’ai retrouvé un enthousiasme, une discipline, mais depuis deux ans, chaque fois que je remonte, je finis par retomber; et j’aimerais avoir l’aide pour régler tel mécanisme, mieux vivre avec tel traumatisme. Je sens que ma remontée est fragile et que je pourrais facilement retomber et j’en ai pas envie.
J’ai fini par retomber. Je pense pas mal savoir pourquoi. Je suis conscient de mes mécanismes – ou patterns, en bon québécois –, mais je n’arrive pas à les combattre moi-même. J’ai besoin d’aide, de conseils, de médicaments, peut-être, je ne sais pas, il y a des limites à l’autoévaluation.
Pour moi, ça, c’est comme si j’allais voir mon médecin de famille et que je lui expliquais que mon asthme a changé et a commencé à réagir ainsi et ainsi et que je lui demandais son aide et son expertise pour m’aider à mieux vivre avec ça – même si je n’étais pas au moment de la rencontre en crise d’asthme. Soigner le truc avant la prochaine crise qui, là, pourrait être fatale, on ne sait pas.
Je pensais naïvement qu’en allant cogner à la porte de mon GMF ou de mon CLSC à côté de chez moi, en décrivant mes symptômes, on me proposerait une aide et une expertise.
C’est comme si, pour avoir de l’aide, il fallait être dans la pire des pires situations. Comme si à l’urgence on ne traitait que les morts imminentes, jamais les cas moins urgents – même après douze heures d’attentes.
Si je raconte tout ça, c’est parce que j’ai l’impression qu’il faut encore plus de témoignages sur les problèmes d’accès aux soins en santé mentale pour peut-être finir par améliorer les choses. On ne peut pas compter que sur Bell une journée par année. Il faut le répéter et le marteler.
Plus encore, j’ai la chance d’avoir une tribune. J’ai ce privilège de pouvoir pointer du doigt publiquement les failles, quitte à dévoiler des aspects de ma vie privée – de toute façon, je ne crois pas qu’on devrait avoir honte de faire une dépression, un burn-out ou une psychose, comme il n’y a aucune honte à se casser un bras, à avoir des allergies ou à avoir une gastro.
Comme plusieurs personnes, toutefois, je n’ai pas les moyens de me payer un psychologue au privé. Ceci est un système de santé à deux vitesses, où les plus aisés peuvent se payer des soins et les autres se font niaiser.
Et ça, ça devrait être une honte nationale. Pour un système que l’on dit universel et gratuit, c’est cruel et c’est un manque flagrant de dignité humaine.
En cette période préélectorale, j’aimerais ça entendre un parti politique dire: «Médecin de famille pour tout le monde, oui, mais aussi psychologue pour tout le monde!»
Tu as raison sur toute la ligne! Merci pour cet article si important!
J’apprécie beaucoup votre témoignage. On a besoin que la population dénonce ce manque de service, mais aussi l’attitude des gestionnaires et des politiciens face aux soins de santé mentale. Cependant, quand une si grande proportion de la population n’ose pas s’exprimer, le statu quo demeure. Les soins de santé mentale demeurent donc malheureusement perçus et traités comme des « extra » que l’on dépense seulement en situation de crise.
Votre impression de ne pas avoir été pris au sérieux parce que vous n’étiez pas suicidaire est tout-à-fait juste. Les demandes d’aide qui ne concernent pas une menace à la vie sont considérés comme des soins « esthétiques », non-essentiels.
La souffrance psychologique non-traitée représente un fardeau social et économique immense. Alors que des traitements psychologiques efficaces et efficients existent, on refuse bien souvent de les offrir intégralement.
Quand un gestionnaire décide de limiter arbitrairement le nombre de rencontres de psychothérapie pour « limiter les coûts », il s’enclenche une spirale perverse.
Imaginez si un gestionnaire décidait de réduire de 50% le nombre de doses d’antiobiotiques administré pour un traitement, afin « d’éviter les abus », et dans l’espoir d’offrir le traitement à un plus grand nombre de patients. De bonnes intentions, mais le résultat serait qu’aucun patient n’aurait été bien traité. Peut-être aurait-on bonne conscience pendant quelques années. Jusqu’à ce que les complications liées à ces traitements inadéquats surviennent: montée des flèche des complications et de la résistance au traitement. Et ultimement explosion des coûts humains et financiers. C’est la même chose en santé mentale.