Roulette russe

La meilleure histoire

On dit parfois que Netflix a changé la télévision, propulsant les séries télévisées dans un âge d’or. Je pense que Netflix en profite plus qu’il l’a propulsé, mais il est vrai qu’on a rehaussé notre façon de raconter les histoires.

Les gens sont nostalgiques, mais ils ne veulent pas vraiment revenir en arrière, c’est pour ça qu’on fait tant de remakes. Si le film original des années 1980 était si bon, les gens le réécouteraient, comme ils réécoutent Harmonium ou ABBA.

La vérité, c’est que plusieurs de ces films refaits avaient un rythme lent auquel les gens ne sont plus habitués. Même les films d’action de l’époque sont lents par rapport à ceux d’aujourd’hui.

Est-ce bien ou non? À chacun ses goûts. Je pense qu’il y a des bijoux qui sont très bien déjà comme ils sont et que d’autres ont mal vieilli. Mais notre manière de raconter les histoires a sans contredit changé. Pas seulement dans notre technique ou avec les effets spéciaux, mais aussi dans les scénarios.

La base demeure assez similaire, une relation hyper simple à la source de la grande majorité des histoires. Une victime, un bourreau, un héros.

La victime peut être une personne, un groupe social, la nature, qu’importe. Le bourreau peut être un tyran, un super vilain, un système, un ordinateur, qu’importe. Même chose avec le héros ou l’héroïne.

Il n’y a pas si longtemps, on prenait le temps de construire l’identité du héros et des victimes sans insister sur la raison pour laquelle le méchant agissait comme un méchant. C’était un méchant qui voulait juste être méchant.

Maintenant, on en sait presque autant sur Loki que sur Thor. On développe un univers si riche autour des méchants qu’on s’y attache. Si ça se trouve, le méchant demi-frère de Thor a un plus gros fanbase que le dieu asgardien lui-même.

Plus encore, même les personnages secondaires ont maintenant des personnalités riches et complexes, avec des histoires qui sont parfois plus approfondies que l’entière histoire de certains héros des années 1970.

La nostalgie nous fait nous ennuyer d’un personnage. On aimerait le revoir, mais avec son histoire racontée au goût du jour, pas comme à l’époque. Donc on fait des remakes. On fait des préquels. On invente même des sous-histoires entre deux moments de la grande histoire.

Pourquoi peaufine-t-on autant notre façon de raconter des histoires? Parce qu’on en raffole, depuis toujours!

On aime tellement ça que les industries de la télévision, du cinéma, de la littérature, de la bande dessinée, du théâtre, et j’en oublie sûrement, valent des milliards de dollars.

On raffole des histoires. On s’attache aux personnages. Certaines histoires sont tellement développées et durent si longtemps qu’on a presque l’impression qu’elles font partie de nos vies.

Même les médias ont peaufiné leur manière de raconter les histoires. Le new journalism a mis la littérature dans le journalisme, le storytelling a encore plus brouillé les cartes. On fait du docuthéâtre et du bédéreportage.

La politique aussi, maintenant, a adopté la narration moderne. Programme politique? Même plus besoin. Donald Trump l’a démontré, sans faire semblant. Doug Ford l’a confirmé.

Ce n’est plus qui propose la meilleure vision pour la société, c’est qui raconte la meilleure histoire.

Quel parti cernera les meilleures victimes? Les bons méchants? Qui aura l’air d’avoir ce qu’il faut pour sauver la société du désastre? Qui racontera le meilleur désastre? Qui proposera la plus belle fin?

Dans certaines histoires, les méchantes personnes sont les immigrant.e.s et les pauvres. Parfois, ce sont les anciens héros (politiciens). Parfois, c’est tout le monde sauf nous (sans jamais dire qui est qui).

Et ça, c’est dur pour la gauche, parce que la gauche pointe parfois du doigt un modèle auquel les gens aspirent ou leur manière de vivre. Les gens ont besoin de sentir qu’ils peuvent être les héros de l’histoire. Ce n’est pas pour rien que Hollywood met toujours un Blanc comme héros, même dans les histoires qui se passent il y a 1000 ans en Asie ou en Afrique.

C’est dur, parce que la gauche essaie de nuancer les choses. La victime est parfois, aussi, le bourreau, mais peut aussi être la solution. Pour faire ça, il faut être un sacré narrateur ou une sacrée narratrice.

Sur deux saisons de douze épisodes, la gauche arriverait à expliquer les nuances; mais avec des slogans, avec des clips de treize secondes à la télévision, c’est difficile.

Tout un défi pour Québec solidaire d’apprendre à raconter des histoires… Surtout quand une partie de ton électorat n’aime pas ce genre d’histoires.

Si Philippe Couillard tente de montrer qu’il a changé pour la deuxième saison, François Legault se présente clairement comme un remake. Rien de neuf, des personnages que l’on connaît déjà, mais avec une nouvelle histoire.

Les gens aiment les remakes. Même quand ils n’ont pas aimé l’original. Parce qu’on aime se faire raconter des histoires. Pas nécessairement des nouvelles. Juste racontées différemment.