Dans un débat qui ne tournait pas autour du poids, une amie s’est fait traiter de «grosse paresseuse» par un interlocuteur, qui, visiblement, n’avait plus d’argument pour alimenter la discussion. Comme ça arrive souvent sur internet.
Elle s’en est bien moqué publiquement, mais je sais comment ce genre de commentaires est récurrent quand on est gros.se et comment ce genre de remarques peut finir par irriter, peu importe notre degré de sensibilité. Un peu comme une mouche qui n’arrête pas de nous gosser alors qu’on essaie de dormir, dans le meilleur des cas, un peu comme le supplice de la goutte d’eau dans le pire.
Je me suis souvent fait traiter de gros paresseux. Par à peu près tout le monde. Par la famille, par des collègues, par des ami.e.s, par des inconnu.e.s, par des médecins. Juste parce que je suis gros.
Pendant de nombreuses années, en fait jusqu’à récemment, j’étais presque d’accord avec ces personnes. Pas tant parce que je me qualifiais de paresseux, mais je me disais qu’elles devaient, quelque part, avoir raison. Si j’étais gros, c’est que je devais, quelque part, être paresseux.
Ainsi, lorsque j’écoute deux épisodes de suite d’une série, une petite voix dans ma tête me dit que j’ai paressé. Lorsque je passe une seule journée à ne rien faire, cette même petite voix se fait encore entendre.
Comme je n’ai absolument rien contre la facilité ni contre l’idée du moindre effort, une partie de moi a même déjà revendiqué une forme de paresse. Mais au fond, c’est peut-être plus une appréciation de l’efficacité et une aversion envers la perte d’énergie inutile. Je n’aime pas les détours.
Il est vrai, toutefois, que je ne suis pas sportif. J’ai eu mes moments actifs, mais ça ne me vient pas nécessairement naturellement. J’aime faire du vélo, j’ai adoré jouer au basket, au baseball, au badminton, j’aime vraiment danser, mais bouger juste pour le trip de bouger, pas tant. J’aime aussi les ascenseurs.
Est-ce que ça fait de moi un paresseux? J’ai cru que oui, longtemps. Aujourd’hui, je suis moins sûr de ça. Je ne suis pas sportif, aucun doute, mais paresseux? Faudrait définir la paresse.
Mon ami Antidote me dit que la paresse est un «comportement d’une personne qui refuse l’effort, évite le travail physique ou intellectuel et recherche la facilité, l’oisiveté». Personnellement, j’ajouterais «qui refuse d’aider son prochain, de contribuer à la société».
Habituellement, quand une personne me traite de paresseux, c’est parce qu’elle voudrait que je perde du poids ou parce qu’elle ne me connaît pas, et qu’elle me juge sur mon poids. Les gens qui me connaissent assez bien savent que je suis plutôt quelqu’un qui s’occupe beaucoup. Des fois trop. Certaines personnes croient même que je suis workaholic. D’autres croient que je n’ai jamais de temps libre pour les voir, au point de ne jamais rien me proposer.
Et ça fait des années qu’on me dit ça. J’ai presque toujours eu au moins deux emplois en même temps – même lorsqu’un de ces emplois était à temps plein, ne serait-ce que parce que je suis un pigiste qui prend toujours des contrats à gauche et à droite, comme cette chronique que vous lisez. J’ai fait, dans ma vie, beaucoup plus de semaines de travail de 50 ou 60 heures que de semaines de 30 heures. En fait, une semaine de 30 heures, c’est, pour moi, une petite semaine.
En plus de mes boulots, je suis continuellement en train de m’impliquer dans des activités ou des organismes. Un jury par-ci, une fédération professionnelle par-là, de la diffusion de courts métrages, animer une ligue d’impro, et j’en passe.
Pour me reposer et me remettre d’un burn-out, l’été dernier, j’ai écrit un essai. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu une routine aussi simple.
Bien humblement, je ne crois pas être paresseux. Au contraire, je dois même faire attention, parce que j’ai la manie de me tenir trop occupé, de trop en faire.
Sauf que ce ne sont pas des activités physiques. Elles sont intellectuelles, la plupart du temps, souvent derrière un ordi, ou dans des rencontres. Ce qui ne veut pas dire que je ne cours pas entre deux activités, deux contrats, ni que je ne trouve pas mes semaines épuisantes! Aller en ondes, en direct, tous les jours, pendant des années, c’est, franchement, assez exigeant!
Néanmoins, c’est souvent sur l’activité physique que l’on juge la paresse de quelqu’un, même si la définition officielle ratisse plus large. Lire sera vu comme une activité paresseuse, contrairement au jogging. Je le sais, j’ai toujours été un grand lecteur – ou un gros lecteur.
Il faudrait bien casser cette image. D’autant plus quand une personne sportive se permet de juger la «paresse» physique sans jamais se demander si elle-même ne fait pas de la paresse intellectuelle. D’autant plus quand ça vient d’une personne mince qui ne fait pas plus de sport.
Même si on confond trop souvent et trop facilement être en santé et être en forme, c’est bien de rappeler que bouger c’est bon pour la santé.
Mais il faudrait aussi rappeler que lire, apprendre, créer, stimuler son intellect, c’est aussi essentiel pour la santé.
Il faudrait rappeler que refuser d’aider un.e inconnu.e en se disant que quelqu’un d’autre le fera, c’est une forme de paresse.
Si tu veux me mettre au défi de bouger 30 minutes par jour, je vais avoir envie de te mettre au défi de lire au moins un livre par semaine et d’aller donner du temps dans un organisme.
Je sais qu’il faudrait que je bouge plus. Je le sais que je ne fais pas le minimum pour ma santé. Si je suis paresseux pour ça, alors j’en connais une sacrée batch qui est paresseuse pour sa sous-stimulation intellectuelle et pour son manque de solidarité.