On me demande régulièrement si je reçois des menaces, des insultes ou si je me fais troller pour mes textes sur le racisme, le féminisme, la grossophobie, la pauvreté, l’environnement et d’autres débats sociaux souvent enflammés. La réponse: pas si souvent.
Si je compare à mes collègues féminins, vraiment pas souvent, en fait.
Les insultes sur mon poids sont régulières, mais ce n’est pas nécessairement en réaction à mes textes ou à mes idées, c’est juste mon ordinaire depuis mon enfance.
Parfois, il y a des gars qui me traitent de «traître», comme si le féminisme était une guerre contre les hommes et que je trahissais «mon» genre. Une belle démonstration d’une incompréhension du féminisme.
Il y a des racistes qui me mettent dans des listes de journalistes à surveiller, avec l’étiquette «antifa».
On m’a déjà traité de «communiste» parce que je considère les inégalités sociales comme un problème politique et non comme une forme de loi naturelle.
Même si je ne revendique pas toutes ces étiquettes, je ne trouve pas ça insultant non plus. Grosso modo, on me pointe du doigt en disant que je suis pour l’égalité. J’assume cette valeur sans problème.
C’est différent lorsqu’on m’accuse de faire un double standard, de participer au racisme systémique ou d’avoir tenu des propos discriminatoires. Pas que je sois insulté, mais là, je me remets en question. Parce que mes intentions sont toujours tout le contraire.
Sauf que les intentions ne suffisent pas toujours. #DéciderEntreHommes m’a déjà «callé hors limite» et c’était tout à fait approprié, malgré ma bonne volonté. J’aurais pu faire valoir tout ce que je fais pour la parité en ondes, mais c’était inutile. On ne remettait pas en question ma vie ni ma valeur, juste un moment précis en ondes. J’ai écouté, j’ai présenté mes excuses et j’en ai surtout tiré une leçon.
Récemment, je participais à une table ronde sur la grossophobie. Une panéliste a dit des propos qui ont choqué quelques personnes d’une communauté en particulier. Moi-même, j’ai fait le saut et je ne fais pas partie de cette communauté, alors je pouvais comprendre leur émoi.
Je crois vraiment que la panéliste ne voulait pas dire ce qu’on a malheureusement compris comme sous-entendu. Je pense même que ce qu’elle voulait dire allait ailleurs et se défendait, mais ç’a été dit avec beaucoup de maladresse, avec les mauvais mots et avec légèreté. Pire encore, lorsqu’une personne a voulu partager son malaise, la panéliste a eu le réflexe très humain de se défendre au lieu de prendre le temps d’écouter.
Cette situation était un cas trop typique. Comme souvent, ça s’est terminé sans dénouer le malaise.
Quand on blesse physiquement quelqu’un par accident, on s’assure, habituellement, que la personne est correcte avant de se défendre. Surtout si la blessure est visible et évidente. S’essouffler à expliquer le contexte n’arrête pas le saignement. Si tu ne voulais vraiment pas la blesser, appelle le 911 au lieu d’ergoter. On aura tout le temps pour s’expliquer et s’excuser une fois que la situation sera stabilisée.
Ce n’est pas différent avec des propos qui blessent, même si ça ne se voit pas. Quand une personne nous exprime ses émotions, elle ne nous attaque pas, elle nous dévoile sa blessure. Elle décrit sa plaie. Comme avec une fracture ou une hémorragie, il faut soigner la blessure avant de vouloir expliquer comment c’est arrivé. Et ça, ça se fait en écoutant, en faisant preuve d’empathie, pas en se braquant ou en niant la blessure de l’autre.
Ça ne veut pas dire qu’on a nécessairement mal agi ou que nous sommes méchant.e.s, mais visiblement, malgré tout, il y a quand même eu une collision. Blesser involontairement une autre personne, ça arrive. Tout le monde a déjà subi ou causé un accident. La moindre des choses est de le reconnaître. L’examen de conscience, se demander si c’était évitable ou non, évaluer s’il y a eu négligence ou non ne peut venir qu’après le constat de l’accident et des blessures.
Se faire questionner sur une action ou sur des propos peut parfois sembler injuste. Je vais réutiliser cette image: une personne qui respecte toujours les limites de vitesse, si la seule journée où elle ne l’a pas fait elle reçoit une contravention, ça sera peut-être ironique, mais la contravention ne sera pas moins honnête et le bilan routier de cette personne ne sera pas pour autant sali pour une seule contravention.
Le mal ne vient pas que des monstres et le bien ne vient pas que des anges. Faire une erreur ne fait pas de quelqu’un un monstre et faire une bonne action ne fait pas de quelqu’un un ange non plus.
Autant la personne qui subit l’accident ne doit pas présumer de l’intention derrière le geste, autant la personne qui est derrière l’accident ne doit pas diminuer l’émotion du choc.
Si l’ignorance est parfois une excuse trop facile pour se dédouaner d’une responsabilité, il est aussi facile, parfois, de reprocher à quelqu’un de ne pas connaître toutes les subtilités et formes de violences ordinaires.
Savoir faire les bonnes choses de la bonne manière, rattraper ses erreurs, c’est un apprentissage en continu que l’on fait toutes et tous. Jusqu’à notre dernier souffle.
Et comme je pense avoir encore beaucoup à apprendre, j’imagine que je vais devoir m’excuser encore plusieurs fois.