Roulette russe

Popcorn électoral

Quelque part en septembre, même si ça ressemble à un anachronisme, Justin Trudeau va rendre visite à la représentante de la reine au Canada, Julie Payette, pour lui demander de dissoudre le gouvernement et déclencher les élections.

La vraie campagne électorale va (enfin) commencer.

L’été a évidemment été une précampagne électorale, mais tout ça n’était qu’un tiède avant-goût.

Comme citoyen, j’aime vraiment les campagnes électorales et comme journaliste, ce sont toujours des périodes palpitantes.

Je ne dis pas que tout est excitant. Il y a plusieurs choses qui m’énervent en politique et qui prennent de l’ampleur pendant une campagne. Le culte de la personnalité autour des chefs et cheffes. Les attaques rhétoriques qui ne visent pas les idées, mais juste la forme ou des détails insignifiants. Prendre la population pour des imbéciles et faire dire n’importe quoi à la «majorité silencieuse». Un.e politicien.ne qui ne répond pas aux questions.

Ça m’agace aussi quand le marketing prend le dessus sur les idées politiques. Quand, par exemple, un parti sacrifie la cohérence de son programme pour des propositions hyper ciblées juste pour marquer des points. Ou lorsqu’on tente de faire plaisir à tout le monde et de ne choquer personne.

Quoique Trump a démontré que déplaire à bien des gens n’empêche pas de se faire élire. Essayer de plaire à tout le monde peut manquer de saveur et plusieurs organisations politiques l’ont bien noté, à gauche comme à droite.

Les médias tombent parfois dans le piège des scandales insignifiants en courant après les réactions, augmentant l’importance d’un sujet qui ne mériterait pas autant d’attention. Parlez-en en bien ou en mal, mais parlez-en. Il y a des politicien.ne.s qui l’ont bien compris et utilisent bien les mécaniques médiatiques.

Malgré tout, il y a quand même un brassage d’idées pendant une campagne. Derrière tout ça. Parfois loin en arrière-plan. Mais c’est là quand même.

J’aime bien regarder ceux qu’on appelle les tiers partis, ou ceux qui n’ont aucune ou peu de chances de prendre le pouvoir. Ce sont souvent eux qui brassent le plus les idées. Au lieu de s’accrocher au pouvoir, ils s’accrochent à leurs convictions. Contrairement aux principaux partis qui ont peur de perdre du monde, ils ont tout à gagner à être audacieux, pour se faire remarquer, pour faire passer leur message.

Il n’est pas rare qu’un grand parti récupère les idées qui marquent des points dans la population.

Une campagne permet parfois de remettre en question certaines choses. La qualité du débat n’est pas toujours élevée, mais le temps d’antenne est déjà un gain. Lors de la dernière campagne au Québec, Québec solidaire a permis de créer un certain débat autour des soins dentaires. Beaucoup plus qu’en temps normal. Ce sujet n’aurait jamais eu autant de place en dehors d’une campagne.

Si je pouvais et si j’en avais les moyens, je monterais dans les autobus de campagne de tous les partis. Pas pour relayer leurs communiqués de presse du jour – c’est un peu rendu inutile cet exercice –, mais pour observer leur dynamique sur le terrain.

Comment est réellement accueilli Andrew Scheer quand il entre dans une école? Comment Jagmeet Singh interagit-il avec les gens? À quel point y a-t-il un enthousiasme grandissant pour Elizabeth May et ses idées vertes? Comment est Trudeau lorsque toutes les caméras sont éteintes? Les gens reconnaissent-ils Yves-François Blanchet dans la rue? Où se trouve la fébrilité sur le terrain?

Voilà un gros morceau de mon plaisir pendant les campagnes: c’est un moment d’observation privilégié.

Observer les candidat.e.s, mais aussi la population. Pour le meilleur et pour le pire, une élection cristallise certains sujets et permet de faire une mise à jour sur les vraies priorités des électeurs et électrices.

Pour bien des gens, la grande priorité demeure leur portefeuille. Leur petit confort.

Justin Trudeau a mentionné que l’environnement pourrait être la question de l’urne. Pour un parti qui aura à défendre Trans Mountain, voilà qui est un brin ironique – ou audacieux. L’environnement sera sans aucun doute un enjeu important. Avec la montée des verts, la féroce lutte de la Colombie-Britannique contre le pipeline fédéral, les attaques de l’Alberta sur le Québec, le passage de Greta Thunberg en Amérique du Nord… Oui, l’environnement aura une place considérable dans la campagne de 2019. Même le Bloc et les conservateurs se la jouent «vert». Mais au point d’être la question de l’urne?

Radio-Canada rapportait au début de l’été les résultats d’un sondage qui montraient que quoique puisse être importante la lutte aux changements climatiques pour les Canadiens et Canadiennes, la moitié d’entre eux ne seraient pas prêts à faire des sacrifices personnels ou financiers majeurs pour aider. Les sondé.e.s ne dépenseraient pas plus de 100$ par année en impôts dans ce combat. C’est-à-dire pas grand-chose. À peine 25¢ par jour.

Sauver le monde ne vaut pas encore son confort.

Où sera d’ailleurs la gauche canadienne en 2019? Où sont les Manon Massé, Catherine Dorion, Gabriel Nadeau-Dubois, Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar et Bernie Sanders du Canada? Je n’ai pas l’impression que ce sera du côté du NPD… Tant mieux si je me trompe!

Peut-être que nous découvrirons de nouvelles têtes pendant cette campagne (un autre truc sympathique des élections). De nouvelles têtes qui apporteront un regard critique ou différent sur des enjeux de fond.

Il en faudrait des nouvelles têtes pour brasser le débat autour des géants du web. La transformation de l’économie, de l’information, de la culture et de la vie privée par le GAFA est majeure.

Sur l’immigration aussi, il faudrait de nouvelles voix qui vont au-delà de la pénurie de main-d’œuvre ou de la xénophobie.

Qui va ramener le sujet de la réforme du scrutin abandonnée par Trudeau? Pas pour lui taper dessus (même s’il l’a cherché), mais pour l’importance de cette réforme électorale.

Plus encore, j’espère que le public va se mêler de cette campagne. Avec des lettres ouvertes (les journaux ne demandent que ça). Des rassemblements. Des irruptions dans les rencontres publiques des chef.fe.s.

Une élection, ce n’est pas seulement écouter le discours d’un.e candidat.e, juger un programme ou faire du bénévolat dans un parti, c’est aussi partager ses préoccupations, participer aux débats publics, nourrir les réflexions. La politique, c’est aussi les citoyen.ne.s qui prennent la rue et les tribunes, en dehors des partis.

J’espère que la population va faire du bruit – avec des idées, pas des insultes.

Peut-être que je suis excité par les élections parce qu’une partie de moi fantasme à l’idée que des organisations populaires viendront brouiller les plans des élites politiques. Et si c’était là que ça se passait?