S’il y a un concept qui me fait soupirer dans ma barbe, c’est celui de «gagner son combat contre la maladie». Comme si guérir n’était qu’une question de volonté. Quand un ouragan fonce sur ta maison, tu ne peux pas gagner contre lui. Ce n’est pas un combat. Tu ne peux pas répliquer. Tu subis. Ta maison peut être plus ou moins vulnérable, pour plein de raisons différentes, mais quand l’ouragan frappe, le sentiment d’impuissance doit être aussi grand que sa force. J’imagine, en tout cas – après tout, je n’ai jamais subi une telle tempête.
Quelques crises d’asthme m’ont toutefois déjà fait frôler la mort. Imaginez que ce qui se fait sans même y penser devient tout d’un coup la seule chose à laquelle vous pensez. Chaque inspiration devient diablement insuffisante et incroyablement difficile et surtout, chaque respiration semble la dernière. Je n’ai pas survécu parce que j’ai gagné «mon combat», j’étais au contraire assez impuissant. Sans médicament, malgré toute ma volonté, je serais mort. Pendant ces crises, je ne combattais pas, je m’accrochais. J’ai survécu, mais je n’ai rien gagné. Je demeure à la merci de mon asthme.
Ça peut sembler bien inspirant, une personne qui témoigne que tous les jours, elle se disait «non, ce n’est pas aujourd’hui que tu vas m’avoir, cancer!», mais la réalité, c’est qu’il y a sûrement plein de gens qui se disaient ça et qui sont morts quand même. Si survivre au cancer était aussi simple, on n’investirait pas des millions dans la recherche. Comme si survivre à la maladie ne reposait que sur sa façon d’avoir affronté son mal, alors qu’une multitude de facteurs (services médicaux, environnement professionnel, soutien des proches, génétique, finances, etc.) entrent en ligne de compte.
L’espérance de vie étant plus longue dans les quartiers favorisés, on peut encore plus se demander à quel point le «combat» face à la maladie repose sur la volonté personnelle. Denise Bombardier m’a fait penser à tout ça lorsqu’elle a déploré que les femmes manquaient de confiance en elles. Que si les femmes s’aimaient plus, le féminisme aurait eu plus de victoires!
Et si ce manque de confiance déploré prenait sa source dans ce qui est justement dénoncé par le féminisme?
Comme si la volonté pouvait tout surmonter: maladie, pauvreté, sexisme, homophobie, racisme, grossophobie, et j’en passe. Avec du cran, et un bon sourire, on vient à bout de tout? J’ai hâte de dire ça à Ahmed qui voulait changer son nom sur son CV pour enfin être appelé en entrevue. Et à Marc-Antoine qui n’ose pas affirmer son orientation sexuelle dans son équipe de football. Et à Michelle qui doit quitter son emploi parce que l’entreprise juge plus simple de garder le patron qui fait du harcèlement qu’elle.
Tout ça se règle avec un peu de cran, nous dit Denise!
Il ne suffit pas de s’entraîner et de vouloir devenir le prochain Usain Bolt pour être capable de courir les 100 mètres sous les 10 secondes. Ce n’est pas parce que lui réussit à courir aussi vite que tout le monde peut aussi.
Personne ne va m’obstiner sur cet exemple, parce que je parle d’un exploit sportif. Mais même loin des prouesses, on n’a pas tous les mêmes capacités, limites, faiblesses ou forces devant l’exercice physique, la lecture, l’entrepreneuriat, l’apprentissage, la cuisine, la bureaucratie, la ponctualité, le multitâche, les travaux manuels, le réseautage, l’humiliation, les mathématiques, la solitude, le stress, l’adversité, la capacité à jouer du coude, la concentration, et j’en passe.
Il y a des gens qui sont des Usain Bolt du stress, d’autres sont des Serena Williams du réseautage et d’autres sont des Wayne Gretzky du financement. Et pour d’autres, ce sont des épreuves sans fin.
Au secondaire, j’étais le genre d’élève qui ne faisait jamais ses devoirs, qui n’étudiait jamais et même qui refusait de travailler en classe au point d’être expulsé du cours… tout en terminant quand même l’année avec une note au-dessus de 90%. J’avais une amie qui, elle, travaillait vraiment fort juste pour avoir la note de passage. Elle voulait. Elle mettait les efforts. Pis je me sentais mal. Je me disais qu’elle méritait bien plus mes notes que moi. En même temps, j’ai beau avoir une mémoire qui m’étonne moi-même, je suis vraiment nul dans le suivi de ma paperasse. Il y a une chance sur deux que je paie ma contravention en retard – peu importe que j’aie les moyens ou non de la payer. C’est tellement niaiseux. Mon amie qui rushait pour ses notes, elle, au contraire, elle est top là-dessus. Jamais de retard. Personne n’excelle dans tout, même ceux et celles qui ont l’air de tout réussir. Même quand on aimerait tout réussir. Denise Bombardier, par exemple, malgré sa confiance en elle, semble avoir de bonnes lacunes avec son empathie. Sans parler que tous les talents n’offrent pas un avantage dans la société – et que toutes les faiblesses ne sont pas des freins à la «réussite». Certaines maladies ont plus d’impacts que d’autres. Le bagage culturel ou familial a une influence. Tout comme le compte en banque. Il y a des lacunes qui peuvent même passer inaperçues quand on a les moyens de payer des gens qui les gèrent pour nous.
Si tout n’était qu’une question de simple volonté, n’importe qui pourrait faire n’importe quel métier. Je sais pas pour vous, mais moi, il y a des jobs où je serais vraiment pas bon. Bien sûr, on peut apprendre, on peut s’améliorer, mais pas sur tout, pas dans tout. Il nous reste toujours du chemin à faire, des choses à comprendre, des comportements à perfectionner. Pire, il y a des trucs qu’on ne réussira jamais. Personne ne meurt en étant parfait. Même Usain Bolt ne mourra pas parfait (ni Denise Bombardier).
On ne réagit pas tous et toutes de la même manière devant les pressions sociales, les pièges et les épreuves. Ce n’est pas vrai que tout le monde réussit à nager à contre-courant. La majorité du monde n’y arrive pas. Croire que tout le monde fait face à la même pression est au mieux candide, au pire cruel.
C’est un peu insultant sous-entendre que ceux et celles qui se font emporter par le courant manquent de cran, de volonté ou de courage. Survivre est un acte de résilience, déjà. Survivre demande des efforts, beaucoup d’efforts. C’est épuisant être repoussé ou bousculé.
Ça use.
L’échec – pour ce que ça veut dire – ne repose pas toujours sur un manque de volonté. Bien des gens «réussissent» sans rien vouloir, sans rien faire, sans cran. Et sans sourire.