Sale temps pour sortir

L’injonction du zen

Scène un

Il y a quelques semaines, après que ma maison a passé au feu, j’ai dû, pour des raisons bureaucratiques, aller voir un psychiatre pour qu’il me diagnostique officiellement un stress post-traumatique. La psychiatre qui doit m’évaluer est avenante et m’explique que je dois me soumettre à un questionnaire.

— Combien de cafés buvez-vous par jour?

— Y a-t-il des gens dans votre entourage et votre famille qui sont anxieux?

— Avez-vous des loisirs? Lesquels?

— Faites-vous du sport?

Je lui réponds que mon entourage regorge de gens anxieux et que les autres, je ne les trouve pas très intéressants. J’ajoute que je suis née dans une famille où on lisait l’œuvre de Freud en bande dessinée. Je fais du ski, beaucoup de ski, mais à part ça, je n’ai pas vraiment de loisirs. Quand j’ai du temps, je mange avec des amis ou je lis des magazines d’information.

— Pas de loisirs? Lire des magazines d’information, c’est du travail ça, non?

J’aurais dû lui dire que je me passionnais pour le jardinage.

Elle continue.

— Dites-moi si je me trompe, est-ce que ça se peut que vous soyez une cérébrale?  

Je suis perplexe. Je m’attendais à un oracle. Ne suis-je pas en face de quelqu’un qui a étudié longtemps? Et voilà une évidence évidente. Or dans sa bouche, dans son ton, le mot «cérébrale» semble louche, prononcé comme s’il s’agissait d’une sorte de petite maladie vénérienne.

— Oui, on peut dire que je suis une cérébrale…

— Bon. Vous m’avez dit que vous faisiez du ski. Est-ce que vous entendez les oiseaux quand vous faites du ski?

— Hum, oui.

— Ce que je vais vous prescrire, c’est de faire de la méditation. Ça permet de rentrer en soi, de donner une pause à votre cerveau. Je vais vous donner un exemple: quand vous faites de la médiation, non seulement vous pouvez entendre les oiseaux, mais vous pouvez aussi faire corps avec la nature, faire corps avec les oiseaux. Qu’en pensez-vous?

Dans votre bureau, je me suis tue. Je voulais en sortir rapidement avec le papier et le diagnostic. Mais, voilà ce que je pense: cette injonction de la méditation et du «arrête de penser» est très proche de ce qu’un curé aurait dit à une paroissienne en état de choc il y a 50 ans. Malgré notre Révolution tranquille et nos velléités de laïcité, la tentation de croire que des remèdes de type prières sont encore la panacée à la colère, à la tristesse, etc. est toujours là. La méditation et le yoga ne sont qu’une version baba cool d’une vieille affaire. L’incarnation de la tentation du sacré, mais inconsciente. Parce que c’est cool, c’est Mathieu Ricard, c’est Brooklyn, c’est surtout l’illusion (qui marche pour vous, j’en suis persuadée) de contrôle sur votre paix intérieure. Parce qu’on veut la paix intérieure, n’est-ce pas? On ne veut pas l’angoisse, la tristesse, la peur, la révolte. Hein? C’est ça? Alors, la méditation, le yoga, je n’ai rien contre. Ce qui m’agace, c’est que vous en parlez comme de la Bonne Nouvelle. Avec un petit côté apôtre, converti.

Nelly Arcan dans Folle écrivait, lucide: «Très tôt, j’ai compris que, dans la vie, il fallait être heureux; depuis, je vis sous pression». L’injonction d’être en paix et d’être zen. C’est pas mal ça: de la pression.

Scène deux

YMCA. Avenue du Parc. Celui-là même où, il y a quelques années, on a givré les fenêtres à la demande des voisins juifs hassidiques qui n’aimaient pas être exposés à la vue de corps de pécheresses Lululemon. Ce YMCA où, au nom de la laïcité, on a dégivré cet accommodement déraisonnable. Vous vous en souvenez? Alors, je suis là, l’an dernier, pour un cours de yoga. Au centre de la pièce, on a installé une photo d’un Dieu hindou dont j’ignore le nom.

Une vingtaine de femmes sont couchées sur leur tapis. La monitrice nous dit de faire des «aum» et nous demande de remercier le Dieu sur la photo. Elle nous demande, ensuite, de fermer les yeux et d’imaginer qu’avec le bassin, on fait corps avec la surface terrestre: «Imaginez que vous êtes une fleur qui germe dans le sol, que vous faites corps avec la planète»…

Cette spiritualité de pacotille à la sauce ethnobobo me fait oublier quelques secondes ma tâche. La monitrice m’enligne. Elle vient près de moi et pèse doucement sur mon ventre. Elle me dit d’aligner mes chakras. Dès qu’elle a le dos tourné, un fou rire irrésistible me gagne. Je me dis que toutes ces femmes libérées qui obéissent sans remettre en question ces injonctions pseudo-religieuses refuseraient catégoriquement de prononcer des prières en latin. Mais des prières en sanskrit, sure! Pas de problème. J’ai tellement ri de cette contradiction de notre société soi-disant libérée du religieux que j’ai dû sortir du cours de yoga. Évidemment, je me suis plainte. On m’a expliqué courtement que «certains apprécient». On est indulgent avec le pseudo-religieux.

Scène trois

Chaque année, quand je descends la grande côte de Saint-Joseph-de-la-Rive, je la guette dans le creux du paysage. Je sais qu’elle m’attend paisiblement avec ses lattes de bois blanches et son toit de tôle gris. Elle trône sur la berge, entre la voie ferrée et le fleuve. Cette église rime dans ma vie avec la fête du recommencement. Chaque année à Pâques, on loue une maison avec des copines, là où le fleuve fait penser à la mer. À l’arrivée, j’ai mon p’tit rituel. Je m’installe dans le ventre solitaire de l’église du village et je prie. Je remercie et je demande toutes sortes de choses. Je demande des affaires à quelqu’un. Qui au fait? À mon inconscient? À une abstraction? À Dieu? J’assume le côté un peu paradoxal de cette démarche. Je cède à la tentation du sacré. Bien qu’athée, je cède donc une fois par année, à Pâques, dans Charlevoix, à la tentation du sacré dans une église un peu magique. Je le fais, en toute connaissance de cause, en toute conscience de mes contradictions spirituelles. Consciente, sans tapis de yoga et libre de ne pas être zen. Docteur?