Il y a les bras de l’homme dans lesquels il est doux de se lover, l’épaule virile sur laquelle il est très, très bon de poser sa tête, le BBQ qu’il allume comme pas un, son sexe dur, le sommeil en cuillère, l’apaisement, l’abandon, l’orgasme. Il y a les paroles viriles et droites qui vous rassurent, vous remettent les pendules à l’heure, et dont vous avez besoin. Il voit la vie, la vie. Il la voit plus simplement que moi, que nous. Ben voyons, ma chérie. Fais ça! Dis ça! Je m’en occupe! Il y a les blagues un peu nounounes et son linge qu’on n’aime souvent pas, mais ça n’a pas trop d’importance. Enfin, il y a le regard de l’homme sur la vie, son regard différent sur l’amour, sur le quotidien, ce regard que l’on cherche toujours. Dans la vie d’une femme hétérosexuelle, le bonheur de dormir avec l’homme avec un grand H n’est pas mineur. On cherche, d’ailleurs, l’épaule et la cuillère toute notre vie. Une femme, même en couple, cherche le couple. Tomber, tomber en amour. On se fend le cœur pour vivre à deux, on se rattrape et puis on devient vieux, chantait Laurence Jalbert, il y a un siècle ou deux. Il y a des refrains, comme ça, qui s’inscrivent, indélébiles, dans ma tête. C’est un peu tannant.
Or ça me frappe ces dernières semaines, alors que je me fais souvent penser à Vincent Lindon dans La crise: la femme moderne possède, au-delà de l’homme avec un grand H, une richesse inouïe: des amies avec un grand E. Évidence? Peut-être. Mais, je crois que ces manifestations d’amitié autour de ma «crise existentielle» incarnent, au-delà de ma situation personnelle, un phénomène sociologique relativement neuf. Évidemment, les femmes d’autres cultures, d’autres époques, ont été solidaires entre elles. Évidemment, les femmes ont toujours eu des amies, mais je pense bien qu’il ne s’agit pas de la même chose, du même type de rapports. Ma grand-maman Lulu, par exemple, avait des amies «de femmes». Elle disait ça, «mes amies de femmes», un anglicisme de son temps. Mais mon grand-père comblait son monde. Son mari, c’était son univers. Il y avait aussi sa sœur, sa mère, ses enfants. Ses amies de femmes, elles, constituaient des personnages satellitaires, un peu secondaires dans la pièce de théâtre de son existence.
Or la pièce de théâtre dans laquelle jouent les femmes de ma génération est complexe et son univers affectif l’est aussi. L’homme, même avec un grand H, ce n’est plus assez. Plus assez pour parler politique, prendre des décisions professionnelles, confronter ses peurs, partager ses joies. Mes amies de femmes à moi jouent un rôle majeur dans la pièce de théâtre de ma vie. Comique ou tragique. Dans mon cas, les scènes sont souvent, à la fois, comiques et tragiques. Mais ça, c’est une autre histoire.
Selon l’Institut de la statistique du Québec, il y a plein de chiffres et c’est un peu lourd. Mais ils sont éloquents. Par exemple, en 1945-1946, 90% des adultes étaient mariés. Aujourd’hui, c’est 27%. Bon. Ça, c’est pour le mariage pas très populaire au Québec, où l’on préfère les unions libres. Or 33% des couples en union libre se séparent au bout de 10 ans, et 30% des couples en union libre avec enfant se séparent, aussi, au bout de 10 ans. Bref, c’est d’même. L’amour est mouvant. C’est une des explications de l’importance actuelle de l’amitié féminine.
Mais je crois que cette solidarité est aussi, sinon plus, due au fait de l’émancipation professionnelle des femmes et des difficultés inhérentes à cette émancipation. Les filles ont, plus que jamais, besoin des filles. Parce qu’être une fille, c’est difficile en christ. En amour, comme au boulot. Rien d’évident. Encore. On nous a fait croire qu’on avait réussi. Qu’on avait les mêmes chances. Oui. Sans doute. Mais quand je suis en colère, je suis difficile à gérer. Mon collègue, lui, a du caractère. Bref, je pourrais m’étendre, mais la misogynie actuelle, plus subtile qu’autrefois, appelle l’esprit de corps. Un féminisme appliqué, de base, actif, 101. Il s’incarne, ce féminisme, ce grand mot qui fait peur à certaines, le plus souvent dans de petits gestes, de petits verres, de petits services, de tout petits textos: Tu vas bien? As-tu pris une décision? Acceptes-tu le contrat? J’ai une perceuse pour tes travaux! Que penses-tu de la décision de PKP? J’ai eu des souris moi aussi, j’ai encore du poison si tu veux. Des petits mots, des petits gestes qui disent quelque chose de grand dans la vie: Je suis là, si t’as besoin de moi. Je suis là. Un féminisme-soldat. Un féminisme maternel de ses pairs.
Ce féminisme de facto ne nie absolument pas le besoin de l’homme dans nos vies. Même si on parle ici d’amour. Un amour qui porte et soutient. Un sentiment simple et fort à la fois. C’est du sérieux. Ça traverse le temps. C’est un engagement. C’est intense, parfois trop. Souvent très, très léger aussi. Mais c’est là. Comme jamais avant dans l’histoire. C’est un ciment quotidien. Une source de réconfort. C’est le mari des temps modernes à côté du mari ou du chum. À la différence du mari, cette affection naît du sentiment d’être dans le même bateau, des passagères soumises aux mêmes intempéries insufflées par l’époque. Et quand je pense à mes amies Marie-Claude, Marie-Louise, Esther, Marie-Eve, Isabelle, Séda, Sylvie, Elsa, Zoé, Hélène, Sophie, Jo-Ann, Vali, Geneviève, Judy, Betty, Raf… bref, quand je pense à mes amies, je suis émue par nos forces, nos faiblesses, nos névroses. Je regarde vos vies, vos amours, vos jobs, et puis nos fous rires devant nos vies de folles. Et ces fous rires me remplissent de fierté et j’ai un peu le motton. Et quand j’ai le motton, je me demande comment des femmes peuvent sérieusement dire qu’elles ne sont pas féministes. Merci les filles, d’être là. Je plains celles qui n’ont pas compris cette richesse.
P.-S. Je crois, humblement, qu’on devrait me nommer présidente du Conseil du statut de la femme. :)) En tout cas.
Et en quoi la vie d’une femme est-elle si plus compliquée que celle d’un homme?
Parce que les femmes doivent encore et encore se battre en mots ou autrement pour prendre leur place, faire entendre leur voix et être entièrement respectées, considérées comme égales, dans toutes les sphères de la vie.
Parce que c’est encore les femmes(et ça ne peut changer !) qui ont tous ces changements hormonaux majeurs avec les menstruations mensuelles(et les variations réelles sur le corps, le comportement), les maternités/accouchements(et toute ce qui va avec !), la ménopause(et sa kyrielle d’effets secondaires).
Loin de moi l’idée de poser ces mots sur un ton victimaire, oh que non. :-) Juste mettre des petits points sur des i…
Le texte d’Émilie Dubreuil me touche, me rejoint. Oui, dans ma vie de quinqua presque sexa, j’ai de ces amies avec qui je peux parler de tout tout tout. Un filet de sécurité amical, on pourrait dire ?
En passant, j’aime bien les commentaires de S Grenier et Jean-Sébastien…
Parce que cette question.
Très discutable cependant, j’aime.
« On nous a fait croire qu’on avait réussi. Qu’on avait les mêmes chances. »
Moi en tout cas, je n’ai jamais pensé ça.
Dans mille ans peut-être, mais on est encore bien loin du compte. La blessure est profonde et le mal bien incrusté. L’amitié entre les filles, ça aide dans l’adversité, mais pour résoudre le problème, ça va prendre plus que ça.
Comment prétendre que l’égalité est chose faite quand la plupart ne croient même pas que la simple amitié entre un gars et une fille soit possible. Nous vivons encore sur une planète où une femme peut se faire lapider pour avoir adressé la parole à un homme autre que son père, son mari ou son fils.
Bonne chance pour le statut de la femme.
J’aime bien votre texte, il fait réfléchir et correspond à ce qui m’entoure. C’est tout à fait vrai le «féminisme-soldat», le «féminisme maternel se ses pairs» et ça fait du bien!
J’ai souvent remarqué (et parfois un peu jalousé) cette solidarité féminine.
On dit bien de faire des «soirées de fille», en tout cas dans mon entourage cela se fait. Et je comprend, c’est bien d’avoir ces lieux. J’entend par contre d’autres amis qui aimeraient bien y être … L’exclusion, même justifiée, n’est jamais facile.
Entre gars, la solidarité n’est pas toujours simple en tout cas. Dans mon milieu, elle est souvent très centrée sur une passion ou un intérêt commun, ce qui est certainement plus lousse que des relations désintéressées qui se veulent plus pour elles mêmes. Voilà pourquoi ça se peut que des gars excluent un peu sans le vouloir parfois, car dans le «trip», il faut embarquer, ce qui est impossible quand ça ne tente pas à un.
Je vous le souhaite ce poste..?. Beau et bon texte
Bien ecrit …super
Felicitations
????
féministerie partagée ! et je voterai pour toi comme Présidente !
Que dire de plus à ce credo du féminisme 21e siècle façon Émilie Dubreuil! Mes respects, Madame.
Votre texte est magnifique et je m’y retrouve totalement. Merci à vous.
Mais quand la parole et l’épaule se font moins viriles, quand l’homme cherche son « E », la femme perd pied, s’éloigne et retourne à son modèle binaire entre grand H et grand E. Est-ce là votre seul équilibre possible?
Texte sublime décrivant une réalité si belle, si douce. Une prise de conscience des petites choses et de l’importance des entraides entre filles, femmes, vieilles dames, etc.
Les féministes des années 1970 ont, à leur manière, décrit ce phénomène en y déterrant le mot : « sororité » et en y ajoutant « dans le cadre du continuum lesbien ». Ce mot, « sonorité », presque jamais utilisé même pour décrire des liens filiaux entre soeurs, s’ajouterait au mot « fratrie ».
Je mets au défit les femmes qui actuellement s’offusquent du fait « féminisme ». Quand on connait quelques textes importants du féminisme, même dans sa mouvance radicale, on se rend compte que ces auteures n’étaient pas trop « heavy » ou « déconnectées » d’une réalité qui est toujours vécue et toujours orpheline d’un terme la résumant, et ce 40 ans plus tard.
À en croire l’auteur, la difficultés et les souffrances liées à la vie dans une société turbocapitaliste seraient l’apanage des femmes. Les hommes qui sont pris dans le même étau impitoyable? Bah c’est des hommes, ils peuvent encaisser, ils ont même pas besoin de moments de complicité ou de solidarité, sont capables d’en prendre… Si c’est ça le point de vue, joli manque d’empathie et d’humanité.
Si je me trompe et que vous croyez que les hommes ont ce «droit»-là eux aussi, au nom de quoi on leur accorde? Du masculinisme? Sûrement pas, le terme est complètement disqualifié, associé à une poignée de whackos frustrés qui bloquent les ponts. C’est là où il y a matière à discussion, car tant qu’on est incapables de nommer comme du monde cette condition-là, on est incapables d’en parler vraiment.
L’autre aspect du texte qui m’agace, c’est la sempiternelle tendance de refuser le moindre pouce carré de dissidence ou de remise en question quand il s’agit de féminisme. On est dans le «crois ou meurs» mur-à-mur. Il y a un nom pour ça: dogmatisme. Pas étonnant que les féministes québécoises aient à l’étranger (en Europe, notamment) une réputation d’intransigeance et d’allergie à l’autocritique.
En tout cas.