J’ai découvert le Québec, le fleuve et, essentiellement, mon identité culturelle vers l’âge de 17 ans. À la fin de ma première année de cégep, j’ai pris un billet d’autobus pour Baie-Saint-Paul. Je voulais partir, loin de Montréal, et Baie-Saint-Paul sonnait à mes oreilles comme l’aventure. Baie-Saint-Paul, ça sonnait… loin!
Au terminus Berri, avec une cassette d’Harmonium jouant dans mon walkman jaune, je me trouvais extrêmement aventurière. Dans le bus, j’ai dû m’endormir en regardant défiler l’autoroute 20 et puis, un peu passé La Malbaie, j’ai demandé au chauffeur: «Quand est-ce qu’on arrive à Baie-Saint-Paul?» Je me souviens qu’il a souri gentiment en me disant qu’on avait dépassé la baie depuis belle lurette et que son prochain arrêt était Tadoussac. Le nom me disait vaguement quelque chose.
Il faisait noir, il pleuvait, il faisait froid. Le mois de mai version récalcitrante. Je savais qu’il y avait une auberge de jeunesse à Baie-Saint-Paul; tout ce qui se trouvait au-delà relevait du mystère. Je connaissais le Maine et ses homards, le Vermont, mais le Québec, très peu. Sur le traversier entre Baie-Sainte-Catherine et Tadoussac, j’hésitai entre la panique et l’émerveillement devant le fjord magique. Un gentil monsieur est venu vers moi et m’a offert d’aller me reconduire à l’auberge de jeunesse de Tadoussac, en haut de la côte; une jolie maison ancestrale où des jeunes de mon âge, en majorité des Français, jouaient, à la guitare, des chansons de Beau Dommage devant un feu de foyer. Cré-moé, cré-moé pas.
Le lendemain, je suis allée aux Castors avec de jeunes Français qui portaient des mocassins, je suis allée voir les baleines qui, à l’heure de l’apéro, viennent danser majestueusement dans le fleuve. Il y avait un Didier et un Xavier avec moi et nous avions acheté de la bière pour faire corps avec l’euphorie que procure l’immense beauté de ce fjord gonflé d’une lumière et d’une énergie vibrante. Je devais rester trois jours à Baie-Saint-Paul, je suis restée dix jours à Tadoussac. Une bénévole, logée à l’auberge, s’occupait des chiens de traîneaux, je crois qu’elle venait de Bordeaux. Le soir, elle préparait de la tourtière et du ragoût de chevreuil. Les backpackers français étaient aux anges. Je me souviens même d’un garçon de Nîmes qui portait la ceinture fléchée.
C’est donc à travers le regard émerveillé de jeunes Français que j’ai découvert mon petit univers et mon grand fleuve porteur. Je lui suis devenue fidèle. Au fil des ans, j’ai exploré tous les villages de la Gaspésie et puis, doucement, j’ai parcouru ce vaste pays de lacs, de rivières, d’émerveillement. L’an dernier, j’ai loué un chalet dans Lanaudière. Un soir de pluie, j’ai voulu changer de décor et suis allée souper dans une pourvoirie pas très loin où la vue sur l’immense lac est à couper le souffle et où la truite est si fraîche qu’on en pleurerait presque d’émotion. Dans la salle, que des Français. La waitress, Nicole ou Suzanne, m’a dit: «Si on n’avait pas les Français… y débarquent en autobus. L’hiver, pour la motoneige, l’été, c’est la pêche.»
Comment expliquer, ni plus ni moins, les massacres d’urbanisme qui plombent parmi nos plus beaux paysages.
Il y a quelques années, je suis allée faire un reportage chez les Attikameks en Haute-Mauricie. Un paysage étonnant, tout comme sa communauté autochtone. Les Indiens y tenaient un hôtel haut de gamme… Les clients: des Français.
À Paris, j’ai obtenu pas mal d’entrevues avec des gens très, très occupés qui me disaient: «Comment vous refuser un entretien? J’ai passé le plus beau Noël de ma vie dans une yourte par -25 °C à Saint-Michel-des-Saints, j’ai fait du kayak à Forillon avec mes enfants, il y a 5 ans, c’était magique!!!!» Etc., etc. «Alors, du coup, j’adoooooooore le Québec!!!!» C’est un peu la caricature du Québec qu’ils aiment, un côté pittoresque et caricatural, mais il y a un véritable enchantement. De l’Amour.
Il y a une chanson de Tori Amos qui dit, de mémoire: When you are going to make up your mind, when you are going to love you as much as I do… Things are going to change my love. On pourrait traduire ce refrain de manière un peu simple par: Quand tu vas t’aimer comme je t’aime, les choses vont changer.
Si nous nous aimions, y aurait-il cet infini boulevard Taschereau qui engourdit de laideur Matane ou Sainte-Anne-des-Monts? Ces incongruités architecturales qui défigurent l’île d’Orléans? L’île aux Coudres? Pourquoi n’y a-t-il pas au Québec des règles plus sévères d’urbanisme pour prévenir de la laideur cette beauté «hors-norme»?
À Nantucket, village de riches vacanciers du Massachusetts, toutes les maisons ont des toits en bardeaux de cèdre. C’est magnifique. Les gens vont y goûter le luxe calme et la volupté. Le respect de l’unité architecturale crie l’invitation au voyage.
Les Québécois aiment-ils leurs agriculteurs? Leurs pêcheurs? Leurs éleveurs? Moi qui prends la route depuis 20 ans, je suis toujours un peu perplexe quand on me propose, à Grande-Vallée, une guédille au homard pêché le jour même avec… de l’infecte sauce à salade Miracle Whip, quand la grande épicerie d’une ville de pêcheurs sur la Côte-Nord vend du Tilapia parce que toute la pêche de chez nous est partie en Chine ou au Japon, ou quand on me sert de la margarine à Saint-Joseph-de-la-Rive parce que la laiterie du coin envoie toute sa production ailleurs…
Les Québécois s’aiment-ils? Sont-ils curieux de leurs fameux grands espaces? Aiment-ils leur territoire? Malheureusement, je n’en suis pas du tout certaine. Sinon, comment expliquer, ni plus ni moins, les massacres d’urbanisme qui plombent parmi nos plus beaux paysages et le mépris de nos saveurs à grand renfort de Miracle Whip?
Les Québécois s’aiment-ils? Sont-ils curieux de leurs fameux grands espaces? Aiment-ils leur territoire?
Certains mais malheureusement pas tous!
Pourtant il y a tant à découvrir et à faire dans notre si beau presque pays. Nous passons toutes nos vacances estivales en Gaspésie, dans le Bas-St-Laurent, dans Charlevoix et sur la Côte-Nord avec des arrêts à Trois-Rivières et Québec.
Nos dernières découvertes: le kayak de mer à Trois-Pistoles et au Parc du Bic, les couchers de soleil inoubliables de Notre-Dame du Portage, l’immense plage du Barachois de Malbaie, la pêche au quai de Ste-Anne-des-Monts, la Vieille Usine de l’Anse-à-Beaufils, les caribous du Mont Jacques Cartier, les îles Mingan…
Combien je vous comprend et partage votre point de vue.
Rivière du Loup m’a tellement deçu avec un nom comme celui-ci je m’attendais a autre chose qu’un lot de terrain commercial laid et des immenses stationnements bitumineux. Tout le long de la 138 d’Est en Ouest on voit une tendance a l’atrocité des chaines de restos infectes.
St-Jérome qui possède de merveilleux cours d’eau les entourent de bâtiments et de déchets. On l’identifiait a la porte du nord, mais depuis ce masacre elle ressemble plutôt a un autre grand centre d’achat kétaine sans âme. Quel tristesse et mauvais goût!
Vous avez raison, il faut s’éloigner des autoroutes…
À Rivière-du-Loup, il faut se rendre à La Pointe ou faire une excursion à l’île aux Lièvres avec Duvetnor (http://duvetnor.com) ou aux baleines avec les croisières AML (http://www.croisieresaml.com). Il y a aussi un très beau sentier pédestre le long de la rivière avec une passerelle au parc de la Chute. Le parc de la croix lumineuse à St-Ludger offre un panorama superbe sur la ville et le fleuve.
Le Musée du Bas-St-Laurent (MBSL) au coin de St-Pierre / Hôtel-de-Ville (https://www.mbsl.qc.ca) est une halte culturelle très intéressante. Le MBSL possède une extraordinaire collection de photos d’époque en plus d’exposition d’artistes contemporains.
Justement, l’Hôtel de Ville de Rivière-du-Loup fête ses 100 ans cette année. Cet édifice patrimonial a été entièrement restauré. On peut le visiter, il y a une maquette de la ville, des objets d’époque et surtout une magnifique horloge dans le beffroi que l’on peut visiter… Voilà un bel exemple de mise en valeur de notre patrimoine.
P.-S.: Je suis natif de RdL en exil à Montréal.
Il faut impérativement sortir de la route 132 pour voir de la beauté dans l’Est du Québec. On aperçoit certains villages à partir de la 132, mais un peu en retrait. Par exemple Saint-Fabien avec sa belle église de brique rouge, ou le village de Bic sur un talus au-dessus de la 132. Alors que d’autres villages traversés par la route 132 tombent littéralement en ruines, comme Saint-Simon; le passage d’une voie rapide au coeur d’un village peut tuer tout le charme et réduire la qualité de vie.
Certaines villes font plus d’efforts que d’autres pour embellir la vue qu’on peut en avoir de la 132. À Rimouski l’affreux centre commercial sur pilotis (la Grande Place) pourrait être enfin démoli, et la « promenade de la mer » le long de la 132 donne un bel espace à dimension humaine. La ville a mis beaucoup d’efforts pour embellir son artère principale, la rue Saint-Germain; il y a de jolies boutiques et les façades des commerces ont été rénovées. Il reste toutefois une majorité de touristes qui évitent complètement cette ville en la contournant par la 20, et en sortant sur la montée Industrielle pour manger au Burger King et acheter des shorts laittes au Wal Mart. Ce qui fait qu’en revenant de Gaspésie, le touriste ordinaire n’a qu’un vague souvenir de Rimouski…
Encore une fois, totalement d’accord avec vous, Émilie. Je désespère de voir notre beau Québec en voie de disparition par manque d’amour.
Chère Dame,
Si les Québécois s’aimaient véritablement, il y a longtemps qu’ils auraient pris leur destin en main !
Dit simplement comme ça et dans ce contexte, cela crève les yeux d’une vérité toute simple mais qui fait si mal ! Le beau rêve qui n’en n.était pas un d’ailleurs n’est plus à notre portée je crois.
J’aime beaucoup votre article, votre réflexion est très pertinente. J’ai une seule petite réserve: le Miracle Whip, lol! Ma grand maman Landry de Nathashquan, (qui était la tante de Gilles Vigneault) me faisait des coquilles St-Jacques avec une sauce sublime qui avait comme ingrédient secret: le fameux Miracle Whip!!! …petite anecdote amusante!…
Prenez la 132 est, de Cap St-Ignace jusqu’à Rivière-du-Loup, justement entrer dans les villages L’Islet, St-Jean port joli, des Aulnaies, Kamouraska, Notre-Dame du Portage, Cacouna, un peu plus bas, etc…et vous parlerez à l’avenir de la beauté de ce coin de pays.
Dans cette chronique vous racontez à quel point votre parcours a été parsemé de « rencontres françaises » et cela nous a éclairé, ma conjointe et moi, sur une anecdote survenue en juin 2016 sur un des ponts de Paris. C’était l’Euro, le débordement de la Seine, les manifs contre la loi Travail, les menaces d’attentats terroristes. Alors que nous regardions plus bas la Seine envahissante, un jeune reporter et son cameraman s’approchent et devinant (caméra à la main et casquette des Expos sur ma tête) notre statut de touristes, il nous demande une entrevue (accordée, bien sûr) sur notre décision d’être venus à Paris malgré tout le côté négatif de 2016. A la fin, bien au fait que nous étions du Québec, de Montréal, il nous demanda si nous vous connaissions; il affirmait vous avoir professionnellement côtoyée lors d’un précédent séjour au Québec. Nous vous connaissions de nom, sans plus lui avons-nous dit et nous n’avons pas retenu le sien, ni la chaîne pour laquelle il travaillait. C’était notre deuxième journée à Paris et ça avait coloré notre après-midi.
Bonjour, votre texte est vrai a pleurer! si nous nous aimions et par le fait même aimions notre terre, nos paysages et notre culture, ca fait longtemps qu’on aurait décidé d’être un PAYS!
Je vis au Bas-St-Laurent, il y’a effectivement certaines incongruités et certaines laideurs mais combien de beauté tout au long de notre fleuve et combien de petits Bistrots et de petits Cafés qui offrent produits d’ici, de mayonnaise maison et combien d’artisans et d’artistes qui mettent en valeur ce coin de pays. Longer la 132 depuis Québec jusqu’à Gaspé c’est le bonheur.
J’aime mon Québec et j’adore mon Charlevoix d’amour. Sortez hors des grandes routes et vous y découvrirez des trésors incroyables. Je me fais un devoir d’amener mes amis découvrir les arrières – pays de leur région.
Quel beau texte madame!
Bravo et bonne St-Jean. Hélas je vous dirai d’un air cynique que nous ne nous aimons pas depuis fort longtemps. C’est ainsi. Il y a des raisons profondes à cela. Enfouies, historiques, mais la aussi actuelles qu’hier.
Le cri de ceux qui perdent tout le temps.
Yannick
Je crois que la beauté est dans l’oeil de l’admirateur…. et le goût dépend des papilles gustatives de chacun. Alors, acceptez que ce que vous trouvez moins beau et moins bon, fera peut-être le bonheur d’autres.
Il faut de tout pour faire un monde…………
De Montréal au bas St-Laurent, impliquée dans le ramassage des déchets de grève et de la route, je rencontre des propriétaires pour les sensibiliser au fait qu’une corde de bois, un tas de ferraille ou sert plus à rien ne constituent pas un attrait touristique. J’essaie aussi d’influence les commerçants sur l’importance d’embellir leurs espaces, c’est à se décourager sur notre attitude à massacrer notre paysage.
Je ne me souviens même plus où c’est mais à quelque part sur le bord d’une autoroute au Québec, il y a une pancarte bleue à priori comme les autres, où l’on peut lire« Fleuve saint-Laurent ». À chaque fois que je le lit je le vois en même temps dans toute sa majestuosité et un frisson me monte le long de la colonne alors qu’un sentiment de fierté m’envahie. Une larme coule alors sur ma joue et je me sens enfin si souverain sur un territoire qui n’est pourtant même pas encore sevré. Quel paradoxe que de vois ce géant au pays des petits pains.
(VERSION CORRIGÉE PRIÈRE D’EFFACER L’AUTRE AINSI QUE CETTE PARENTHÈSE) Je ne me souviens même plus où c’est mais à quelque part sur le bord d’une autoroute au Québec, il y a une pancarte bleue à priori comme les autres, où l’on peut lire « Fleuve saint-Laurent ». À chaque fois que je la lis je le vois en même temps dans toute sa majestuosité et un frisson me monte le long de la colonne alors qu’un sentiment de fierté m’envahie. Une larme coule alors sur ma joue et je me sens pourtant souverain sur un territoire qui n’est même pas encore sevré. Quel paradoxe que de pouvoir voir ce géant au pays des petits pains.
Bravo,mille fois,Mlle ( excusez-moi,mais,je ne me souviens plus de votre nom),car,votre témoignage de la réaction de notre « Sublime Québec » est la plus belle description que j’ai lue de toute ma vie et votre analyse est très lucide et juste. Je n’ai jamais lu une Ode et une analyse aussi fine et poétique de la part de nous,Québécois et Québécoises,pourtant y vivant depuis des siècles. Encore une fois,Bravo!
Peut-être parce que les potentats locaux confondent quantité du développement avec qualité du développement…
Bravo Anne!
En région, pour faire contrepoids à l`attrait des grands centres et attirer les touristes, on fait davantage la promotion d`activités polluantes et facilement commanditées par l`establishment économique. Effectivement la qualité est douteuse et les goûts de la majorité l`emportent. Et on va y accoler une étiquette de développement durable. Pouah! Certaines villes ont une réputation de beauté qui est exagérée.
Merci, Émilie, d’exprimer si parfaitement le malaise que je ressens. Ce même malaise m’envahit aussi régulièrement au cœur de Montréal et de toutes les villes que je traverse chez nous. Dernière catastrophe en date, Saint-Hyacinthe (le plus vieux diocèse du Québec après ceux de Québec et de Montréal) qui va ériger une tour à condor de 15 étages au bord de la Yamaska, dans l’ombre de laquelle sera désormais plongé son centre-ville historique. Un peu partout, à la ville comme
la campagne, la laideur préfabriquée vient lentement spolier nos plus sublimes paysages, défigurer nos plus belles architectures. Merci de le dénoncer.
Tout est vrai. J’ai visité le Quebec au complet sauf le Témiscamingue. Plusieurs fois l’Abitibi ( famille) , Quebec, La Malbaie, le Lac st-Jean ( famille)., les Iles de la Madeleine, l’Estrie, Lanaudiere,,les Laurentides. J’ai campé , marché, grimpé, fait du kayak, du canot, de la raquette , du ski…
Mais j’ai vécu ma plus mauvaise expérience de camping et aussi gastronomique de toute ma vie en Gaspesie . Je me suis fait avoir comme touriste . J’y retournerai c’est certain pour les fabuleux paysages mais j’aime mieux le Maine et Cap Cod en attendant que la Gaspesie.
C’est la même raison, j’imagine, qui fait que les films québécois sont dans la section « International » au Superclub Vidéotron… PKP, ardent défenseur de la culture québécoise, faudrait être cohérent…
Le regard vers la beauté s’apprend et se développe comme le gout. Et il faut commencer jeune, très jeune. Tout est une question d’éducation et il nous en manque encore. Il y a longtemps que les Français ont une éducation de base beaucoup plus riche. Mes beaux-parents avaient une 4ème année scolaire. L’évolution est un long processus avec une volonté politique.