Sale temps pour sortir

Qu’est devenu le trou dans la couche d’ozone?

Quand tout le monde s’est mis à capoter sur le trou dans la couche d’ozone, j’étais encore au primaire, mais comme mes parents étaient abonnés à quatre journaux et que mon frère et moi imitions les adultes et lisions le matin des papiers gorgés d’encre en déjeunant, je le savais, moi, qu’il y avait un trou dans la couche d’ozone.

Je crois me souvenir qu’en 85 ou 86, j’avais même poussé mon imitation des adultes jusqu’à boire du café en tournant les pages des journaux que nous nous échangions à tour de rôle.

Il y avait, bien sûr, La PresseLe Journal de MontréalLe Devoir, mais aussi The Globe and Mail. Ni mon frère ni moi ne maîtrisions assez l’anglais pour lire le Globe, mais on regardait la page couverture et les «cartoons». En fait, c’est pas mal ce qu’on faisait pour tous les journaux qu’il y avait sur la table: on regardait les caricatures, les «cherchez l’erreur» à la fin. L’horoscope aussi. J’ai d’ailleurs gardé cette vilaine habitude de lire mon horoscope tous les matins, sinon je me sens un peu toute nue pour le reste de la journée. Il m’est difficile de ne pas connaître mon avenir, ne serait-ce que 24 heures. C’est comme sortir sans culotte. L’avenir, c’est la clé.

Tout cela pour dire que le trou dans la couche d’ozone, on en parlait beaucoup quand j’étais au primaire. Ça faisait la manchette presque quotidiennement et j’avais beaucoup impressionné (et profondément agacé sans doute) ma maîtresse d’école, Nicole, dans la classe 6B, en lui posant – à brûle-pourpoint – une colle du genre: «Ça sert à quoi d’apprendre les mathématiques si nous allons, de toute façon, tous mourir à cause du trou dans la couche d’ozone?» Nicole ne m’aimait déjà pas beaucoup. J’avais pas mal la bougeotte, faut dire. Aujourd’hui, on dirait hyperactive, mais c’était avant le Ritalin.

Nicole était une religieuse défroquée, elle roulait ses «r» et portait des bas beiges. Parfois, pour calmer les élèves, elle fermait les lumières et demandait à la classe de faire des prières. À ce moment-là, elle me disait: «Emilie, tu peux sortir?»

Comme je n’étais pas baptisée, elle me faisait sortir dans le corridor! J’étais la seule non baptisée dans la classe. Et, oui, bien sûr qu’il y avait un crucifix dans la classe! Ben oui, il y en avait dans toutes les classes. À l’école publique? Ben oui, à l’école publique. En décembre, on m’excluait même de la sortie de la classe à l’oratoire pour aller voir les crèches. Ça rendait ma mère absolument furieuse! Je me souviens d’une scène où elle avait engueulé Nicole et la directrice de l’école devant tous mes camarades de classe en lui disant: «C’est pas parce que ma fille n’est pas baptisée qu’elle ne peut pas comprendre notre culture, notre histoire.»

Pour ajouter à la stigmatisation, mes parents, tous deux abonnés à quatre journaux, étaient séparés et avaient inventé un système jugé fort suspect par Nicole: la garde partagée. Un truc totalement marginal en 1985.

Bref, en cette année de trou dans la couche d’ozone et de l’entrée de Pierre Lambert dans notre inconscient collectif, j’étais la seule à suivre l’ennuyant cours de morale alors que tous mes amis, eux, jouissaient d’une agréable séance de détente, qu’on appelait la «catéchèse», et coloriaient des saintes vierges avec des crayons de couleur qu’ils tiraient de leurs boîtes Prismacolor. Oui, oui, je suis vieille et d’ailleurs, je m’égare.

La couche d’ozone donc. Ça me pogne souvent. Depuis des années que j’me dis: «Coudonc, pourquoi ne parle-t-on plus jamais du trou dans la couche d’ozone? J’ai fouillé un peu sur le net et il est en train de se refermer, ce fameux trou. Mais bon, faut pas croire tout ce qu’il y a sur internet, y paraît.

Après la couche d’ozone, il y a eu les pluies acides. J’ai fait au moins 23 oraux, projets en groupe avec bricolages à l’appui pour expliquer le phénomène des pluies acides. Et ça aussi, ça me turlupine pas mal: les pluies acides ont-elles disparu? En tout cas, elles ont disparu des unes des journaux que nous lisions à la table du petit-déjeuner comme les cotons ouatés fluorescents de ma garde-robe.

Bref, depuis que je lis les journaux et que je bois du café, ce qui est arrivé de façon un peu précoce dans mon existence, j’en conviens, la chronique «d’une planète qui meurt» côtoie mon horoscope chaque matin.

Dans mon cours d’anglais en sixième année, l’enseignante, dont je ne me souviens plus du nom, nous avait fait apprendre par cœur Russians, une chanson de Sting. Trente ans plus tard, je suis encore capable de chanter cette chanson du début à la fin. C’est fou la mémoire. Le vidéo était hyper angoissant, en noir et blanc, avec des enfants qui dansent autour de vieux qui planifient de faire exposer la planète, avec des horloges en deuxième plan sur lesquelles il était minuit moins cinq. Le texte de cette chanson disait, essentiellement, que les Russes et les Américains devaient arrêter la course à l’armement nucléaire par amour de leurs enfants.

Nucléaire, changements climatiques…

Parfois, quand je lis les journaux, j’ai comme une impression de déjà-vu et je commence à me poser de sérieuses questions sur le sérieux des horoscopes.