Il fut un temps où être un artiste de la relève avait quelque chose de sexy et d’un peu rebelle, quelque chose de pur comme la jeunesse inaltérée par l’institution. Depuis quelques années, l’expression en a pris un coup et on aime moins se voir accoler l’étiquette, peut-être parce que l’âge de la relève augmente à mesure que la communauté artistique enfle et que plusieurs créateurs aimeraient bien sortir un jour leur carte de majorité.
Quand le Théâtre de la Pire Espèce a eu l’idée, il y a neuf ans, de créer l’abonnement Carte Premières, les jeunes compagnies de théâtre avaient grandement besoin de se faire connaître. L’abonnement permet d’avoir 50% de rabais sur les billets de pièces de théâtre sélectionnées chez les compagnies émergentes, pour la modique somme de 20$. «C’était le projet d’une dizaine de compagnies qui ne pouvaient faire la promotion chacune de leur côté, parce qu’elles avaient à peine les moyens de créer leurs spectacles», explique David Lavoie, directeur du développement et des partenariats de Carte Premières. «Des artistes entre 25 et 33 ans se sont donc réunis et ça a créé un phénomène générationnel. À l’époque, c’était une solution à la mise en valeur de la relève artistique dans le milieu. Carte Premières voulait soutenir sans discrimination ceux qui sont plus à l’ombre des lieux de théâtre, qui se produisent en marge.»
Presque 10 ans plus tard, qu’est devenue Carte Premières? Les 10 compagnies sont passées à 20, puis 30 et 40. L’abonnement permet aussi d’avoir accès à quelques festivals, dont le Jamais Lu, et de sortir de Montréal avec son cousin, Premier Acte, à Québec. J’en ai entendu certains se plaindre du trop grand nombre de pièces proposées dans ce qui devenait un grand catalogue sans direction artistique. L’initiative des Cochons d’or, qui récompensent les meilleures productions inscrites à Carte Premières depuis quatre ans, est née en réponse à ces critiques, pour reconnaître les compagnies qui se démarquent. Par pied de nez aux grincheux, Carte Premières a non seulement resserré ses rangs cette année (en se concentrant sur Montréal, entre autres), mais aussi décliné son catalogue aux couleurs du pop art, avec des clins d’œil humoristiques à la surconsommation. L’abonnement «coopératif» donne accès à des «biens de consommation culturels certifiés non conformes». Il y a toujours 40 spectacles au programme, mais l’accent est mis sur l’aspect communautaire de la mise en commun des ressources, m’explique David Lavoie.
Tous unis pour le théâtre
«Il faut dire que depuis la disparition de l’Académie du théâtre et de son gala des Masques, il n’y a plus d’action collective pour promouvoir le théâtre au Québec, poursuit Lavoie. Carte Premières est un outil qui nous permet de sortir de nos chapelles respectives et de défendre des intérêts supérieurs à ceux de nos compagnies, qui sont d’intéresser la population au théâtre. L’enjeu est de tisser des liens entre les générations, jusqu’à ce qu’une nouvelle crise survienne et qu’une autre gang d’artistes se sentant négligée arrive avec des nouveaux outils.»
Carte Premières n’est donc plus le château fort de la relève, parce que beaucoup d’artistes en sont à leur cinquième ou sixième production, mais ils bénéficient encore de ce tremplin coopératif, parce qu’ils n’ont pas forcément plus de ressources qu’il y a huit ou neuf ans. La communauté artistique gonfle, mais son portefeuille ne suit pas. «Il y a un effritement de la richesse, poursuit Lavoie. Les compagnies n’arrivent pas à sortir de l’état de relève. Est-ce qu’on est tous en train de s’appauvrir sans s’en rendre compte?»
Du Chant du dire-dire à Martine à la plage
Plutôt que de s’apitoyer sur le triste sort des arts de la scène en ces temps de vache maigre, les 40 compagnies de Carte Premières offrent encore cette année un répertoire éclectique et prometteur avec des artistes qui ne sont pas tous nés d’hier, mais qui s’unissent pour se faire connaître les uns les autres. Dès septembre, trois pièces au programme sont offertes au prix d’un billet de cinéma!
Le Théâtre Le Mimésis part le bal des productions présentées hors des lieux théâtraux avec le magnifique Chant du dire-dire de Daniel Danis dans une mise en scène de Marc Béland, à l’église de l’Immaculée-Conception.
Simon Boulerice reprend son délirant Martine à la plage, créé en 2009, et qui a donné naissance à un roman graphique (La mèche, 2012), à la salle Fred-Barry, avec Sarah Berthiaume dans le rôle d’une Lolita décalée.
Mais c’est Aquilon Théâtre qui ouvrira la saison avec Le mécanicien de Guillaume Corbeil à la salle Jean-Claude-Germain. Je ne connais pas la pièce, mais je connais l’auteur et je peux vous dire que dans l’art de radiographier la psychologie de ses contemporains, il excelle!
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J’étais présent Aux Écuries mardi soir pour le lancement de la nouvelle édition de Carte premières. Le tour de monte-charge ne m’a pas permis d’en apprendre beaucoup sur la saison théâtrale à venir. J’ai été surpris de constater une diminution du prix d’achat de cette carte : le 5$ de moins n’aurait-il pas été utile en tant que dons à ces compagnies de la relève qui sont sous-financées? Ces artistes ne font-ils pas une vente à perte avec des tarifs aussi bas? Dans le passé plusieurs spectacles débutaient presque en même temps et entraient en compétition les uns avec les autres : c’est presque se tirer dans le pied.
J’ai trouvé dommage que notre Festival de théâtre à L’Assomption (FAIT) soit exclu de cette carte : le prix des spectacles en région est plus élevé qu’à Montréal et le 10% de réduction aidait à l’accessibilité pour certains. Carte premières se «Montréalise» alors que certains tentent péniblement de démarrer un Festival Fringe au Saguenay. Le Gala des Masques était tellement guindé que peu de gens, à l’extérieur du monde des acteurs s’y intéressaient. Pour ce qui est des années de vaches maigres, je crois que c’est surtout le fait que les gens s’occupent à autre chose, car le chômage n’a jamais été aussi bas et les cotes boursières atteignent des sommets. Le pire est peut-être à venir : croisons-nous les doigts.