On dit que les frontières entre les disciplines artistiques sont de moins en moins étanches. Certains se plaignent de l’impureté de ces œuvres multidisciplinaires ou du vagabondage d’artistes qui butinent en amateurs d’un art à l’autre, mais cette porosité est un enrichissement pour ceux qui s’entourent des bons collaborateurs issus d’autres pays artistiques. Cet automne, plusieurs croisements de genres occupent la scène montréalaise. C’est vers ces œuvres atypiques que j’aimerais attirer votre œil, car si ces créations font parfois peur par leur étrangeté, elles sont le fruit d’une vitalité qu’il faut goûter.
Ta douleur
Chef de file de la danse d’auteur, Danse-Cité offre depuis 30 ans aux créateurs un espace pour la prise de risque. Cet automne, elle réunit la metteure en scène Brigitte Haentjens, la chorégraphe et danseuse Anne Le Beau et l’acteur-danseur Francis Ducharme autour d’une singulière proposition. Avec, en son centre, le corps des deux interprètes, Ta douleur marie la danse à quelques paroles dans un duo intime et cru où se dessinent les variations de la douleur physique, psychologique, individuelle et collective. Haentjens, qui a toujours beaucoup travaillé le langage du corps au théâtre, joint son univers à celui de la grande danseuse et chorégraphe Anne Le Beau qui cherche les échanges avec des collaborateurs venus d’ailleurs. À La Chapelle, du 18 au 29 septembre.
Les dishwashers
La compagnie Momentum, qui s’est fait une spécialité des croisements de genres et autres mariages mixtes entre disciplines de toutes orientations, propose une autre de ses délirantes comédies, cette fois-ci plutôt noire, signée Morris Panych, un auteur canadien contemporain parmi les plus joués au monde. L’histoire d’un homme d’affaires rétrogradé plongeur dans un restaurant qu’il fréquentait jadis permet d’aborder l’importance du travail et l’insécurité d’emploi. Stéphane Demers dirige le joyeux quatuor d’acteurs composé de Stéphane Crête, Jacques L’Heureux, François Papineau et Benoît Drouin-Germain. Aux Ateliers Jean-Brillant, du 26 septembre au 20 octobre.
Paper Cut
Du théâtre d’objets pour adultes, c’est déjà plutôt inhabituel. L’artiste israélienne Yael Rasooly, maître de la marionnette contemporaine, propose un solo délirant où une secrétaire fantasque se fait son cinéma, se transformant en stars des films des années 40, découpant des vieux magazines, photos et silhouettes de papier pour emprunter de nouvelles peaux. Cette créatrice originale, saluée partout dans le monde et récompensée de nombreux prix, fait sa première visite au Canada. Aux Écuries, du 2 au 4 octobre.
Projet Harlequin
Une autre bonne et drôle d’idée de Danse-Cité est de donner à la danseuse Nancy Leduc la possibilité de partager sa passion d’adolescence pour le roman Harlequin avec le public. L’adepte des si populaires romans à l’eau de rose a demandé à trois cinéastes et une femme de théâtre (Alain Desrochers, Robert Favreau, Michel Lam et Evelyne de la Chenelière) de créer une chorégraphie inspirée d’un livre de la collection Harlequin. Le résultat de cette étonnante commande sera présenté au Quat’Sous, du 28 novembre au 8 décembre.
La Jeune-Fille et la mort
Le Bureau de l’APA, dirigé par Laurence Brunelle-Côté et Simon Drouin à Québec, se présente comme un «atelier de bricolage indiscipliné en art vivant», à la recherche, lui aussi, de rencontres interdisciplinaires. La Jeune-Fille et la mort fait partie de ces projets baroques où se mêlent théâtre, chanson, quatuor à cordes, arts visuels, sculpture et ballet. Inspirée d’un manuel sur la théorie de la Jeune-Fille, écrit par un collectif de philosophes européens, cette performance bricolée autour de la «jeune-fillisation» du monde interroge l’aliénation capitaliste en nous mettant dans la peau de cette Jeune-Fille instrumentalisée. À l’Espace libre du 10 au 20 octobre.
Lapin blanc, lapin rouge
Autre étonnant voyage au pays de la dramaturgie réinventée, le solo de l’auteur iranien Mani Soleimanpour est défendu par un interprète différent chaque soir, qui découvre le texte en même temps que le spectateur et fait voir l’Iran d’un autre point de vue que celui que nous offrent les médias. Mis en scène par Philippe Ducros et Mani Soleymanlou, ce projet fait entrer dans l’intimité du pays d’un auteur absent, à travers des métaphores qui racontent l’Iran au quotidien. À l’Espace libre du 29 novembre au 15 décembre.
Moving in This World
La metteure en scène Marie Brassard, grande exploratrice des possibilités du son et de la technologie au théâtre et adepte des échanges entre les disciplines, poursuit sa collaboration avec la chorégraphe Sarah Williams avec cette création hallucinée sur le corps en transe et les états altérés de la conscience. Les deux collaboratrices jouent avec la perception et l’imaginaire du spectateur et déjouent ses attentes. À l’Usine C, du 5 au 7 décembre.
Bonne rentrée et bon bain d’originalité!