Je vous ai parlé la semaine dernière de créations atypiques sur notre scène montréalaise cet automne, mais je ne vous ai encore rien dit sur un des groupes interdisciplinaires les plus flyés qui soient, une formation musicale éclatée qui, après avoir joué à Tom Waits, se prend maintenant pour Kurt Weill! L’Orchestre d’Hommes-Orchestres est le genre de projet artistique que j’affectionne particulièrement parce que ces bidouilleurs professionnels élèvent les objets du quotidien au-dessus de la banalité, déjouent les règles et font à leur tête avec classe, mais sans se prendre au sérieux. Une sorte de mariage heureux entre l’art populaire et l’art savant, un peu comme Kurt Weill.
Composée de huit musiciens-chanteurs-comédiens, la compagnie LODHO propose des bric-à-brac musicaux avec toutes sortes d’objets (ustensiles de cuisine, balais, casseroles, machines patentées en tout genre), et bricole des cabarets autour d’univers qui l’inspirent. Après la création Joue à Tom Waits, les hommes-orchestres plongent dans le riche environnement musical du grand compositeur allemand Kurt Weill, à la suite d’années de recherche et d’exploration. «C’est un chantier permanent, parce que nos projets évoluent sur de longues périodes, explique Danya Ortmann, membre de la formation. L’idée première vient d’une envie personnelle d’un des membres d’explorer quelque chose, et quand on juge que ça ferait un bon terrain de jeu pour L’Orchestre, chacun y met du sien. Ce ne sont pas des créations collectives, tout ne fait pas l’unanimité. La plupart des chansons et des numéros sont des choix très personnels, mais une fois que tout ça est mis ensemble, ça donne un spectre beaucoup plus large et personnel que si on cherchait le consensus tout le temps. C’est très compliqué, mais très profitable au point de vue artistique.»
L’originalité de la démarche tient donc à cette mise en commun de personnalités qui conservent leur indépendance, évitant l’écueil d’une recherche collective où l’individualité perd souvent sa couleur au lavage. C’est un orchestre où chaque musicien aurait son solo, mais ne pourrait le jouer seul. Une leçon de démocratie par une vraie communauté d’artistes souverains. Les hommes-orchestres sont des joueurs libres qui n’ont pas peur des infidélités, affranchis des codes disciplinaires sans pour autant trahir l’art. «C’est un joyeux mélange de musiciens, de comédiens, de gens intéressés à l’art visuel et à l’art audio, mais la qualité qui nous unit, c’est qu’on aime faire plusieurs choses en même temps et avoir une approche transversale des disciplines, poursuit Ortmann. On n’a pas peur de faire ce qui nous plaît, au détriment d’un cadre plus rigide ou d’une discipline particulière.»
Kurt Weill: Cabaret brise-jour et autres manivelles fera donc place au répertoire chanté du compositeur qui résume à lui seul une grande partie de l’histoire du 20e siècle, de l’avant-garde berlinoise des années 1930 aux comédies musicales de Broadway. «On pige presque exclusivement dans le répertoire de pièces de théâtre ou de comédies musicales où la chanson pose un regard sur les états d’âme du personnage. En sortant la chanson de son contexte, on a juste des fenêtres sur l’intérieur humain qu’on a alignées comme des tableaux vivants. La poésie tisse le fil conducteur. On garde le squelette des chansons, mais pour les arrangements, on s’est donné tous les droits. On a étiré le 20e siècle de notre bord!» Pour voir ce que la liberté bien orchestrée peut donner, rendez-vous à l’Usine C, du 19 au 21 septembre.
La couleur du gris
En parlant de couleur et d’individualité délavées, voici que la compagnie Omnibus, pionnière du théâtre gestuel depuis 1970, propose une histoire de bêtes étranges et gorgées de désirs en crise d’identité dans un monde qui étouffe les libertés. Signée par un solide tandem de créateurs, Anne Sabourin et Christian Leblanc, la mise en œuvre de ce bestiaire où le brouillard avale les hommes s’inspire de la bande dessinée Blast, ajoutant à l’habituel alliage de mime, théâtre et danse l’univers dessiné de Manu Larcenet. L’excellent Gaétan Nadeau fait partie de la distribution de cette fuite de bêtes goudronneuses qui revendiquent la laideur contre le consensus de la beauté, et ça se passe à l’Espace libre, du 18 septembre au 6 octobre.
Plein espace
En parlant de mise en commun des ressources, un groupe de six jeunes femmes curieuses et allumées a fondé une plateforme fort dynamique consacrée à la promotion et à la diffusion du théâtre émergent québécois. Elles célébraient hier son lancement officiel. Plein espace rassemble des entretiens, des critiques, mais fait aussi une belle place aux échanges avec sa section Dialogues dédiée aux rencontres et aux débats autour de sujets variés, du théâtre anglophone québécois à une réflexion sur l’enseignement du théâtre. Depuis septembre 2011, Plein espace a aussi son émission de radio diffusée sur les ondes de CHOQ.FM, la radio Web de l’UQAM. À l’affût de tout ce qui se fait en théâtre alternatif, les animatrices nourrissent la communauté théâtrale et la démocratie, parce que cet espace non discriminatoire fait entendre la voix de créateurs qui ne sont pas invités aux talk-shows de fin de soirée. pleinespace.com