Sentinelle

Clotaire Rapaille, l’opéra rock et Dinde et farces: Connais-toi toi-même

La poussière retombe tranquillement sur une année chargée et mouvementée. Que reste-t-il du grand réveil printanier? Un changement de gouvernement? Une commission d’enquête sur la corruption? Est-ce là que les casseroles nous ont menés? Quels projets de société vont encore mobiliser le Québec? Ces questions restent pour beaucoup sans réponse, et l’impression de faire du surplace demeure. Le Théâtre du Futur nous avait pourtant prévenus: il faut apprendre à se connaître avant de grandir.

Clotaire Rapaille, l’opéra rock

Créé en 2011 par le joyeux trio composé de Guillaume Tremblay, Olivier Morin et Navet Confit, Clotaire Rapaille, l’opéra rock avait en effet mis le doigt sur ce fâcheux flou identitaire faisant patauger les Québécois dans les sables mouvants. Ce projet théâtral visionnaire des plus réjouissant et original, qui renaît sur les planches du Théâtre d’Aujourd’hui, raconte l’épopée controversée de la rock star du marketing invitée par Régis Labeaume à donner à la ville de Québec une identité. Cette quête transposée ici dans un Québec souverain de l’an 2045, toujours en crise, a beau être une grande farce musicale qui tourne en dérision l’ineptie du savoir de ce clown médiatique, qui a été remercié de ses services par le maire à la découverte d’inexactitudes dans son C.V. (ô surprise!), la pièce ne cesse de nous renvoyer au visage nos propres malaises que la dernière année n’a fait que raviver. «Après l’année de fous qu’on vient de passer, on est dans une drôle de position, juge Guillaume Tremblay, qui incarne le gourou psychanalyste à la dégaine de Gainsbourg. Les étudiants sont partis et les gens ont des attentes et se demandent quel est le projet de société qui nous attend. Ils posent la même question qui est posée dans Clotaire. Si c’est de faire un pays, O.K., mais il faut d’abord savoir qui on est, nous disait Clotaire, comme Socrate. Connais-toi toi-même. Après, tu choisiras tes projets.»

La réflexion sur le Québec de demain proposée dans la pièce résonne différemment à nos oreilles qu’en 2011. «Les Québécois, il y a un an, étaient comme le maire de Sherbrooke au début de la pièce, qui observe toutes les possibilités, se plaint qu’on ne fait rien et affirme qu’on a besoin d’un guide. Cette année, on est à un autre stade de la pièce. Clotaire a convaincu les gens de bouger et de faire des projets, mais on se rend compte que ce n’étaient peut-être pas de si bons projets. Ça rejoint nos propres questionnements: on s’est mobilisé, mais pourquoi? Pour faire baisser les prêts étudiants, et après? Les gens ne savent pas sur quel pied danser, il n’y a pas de projets de société, et c’est pour ça que Clotaire vient.»

Après sa seconde pièce (L’assassinat du président), présentée cet été et qu’on pourrait qualifier de prémonitoire, où Gilles Duceppe se faisait tuer juste après la victoire du Oui, le Théâtre du Futur nous renvoie avec force et rire nos névroses collectives, prouvant qu’avec de maigres moyens et beaucoup de talent, une bonne thérapie de groupe peut être amorcée par le théâtre.

Au Théâtre d’Aujourd’hui, les 20 et 21 décembre

Dinde et farces

Pour la durée du temps des Fêtes, le Théâtre du Party Chinois propose un autre genre de traitement extrême, choisissant de suivre la tendance mondiale et de se diriger vers la droite, résistant au consensus du milieu théâtral reconnu pour être de gauche. Assumant totalement leur choix d’offrir au public ce qu’il veut, Guillaume Girard et François Bernier ont décidé de donner à leur cabaret multidisciplinaire de Noël, consacré depuis deux ans à la relève, un virage commercial. Au menu: placements de produits, vedettes de la télévision, réflexions confortables et émotions exacerbées, tous conçus «comme des remèdes, et non des maux», plaide le coanimateur et cometteur en scène Guillaume Girard. «On assume que Noël est une fête de droite, la fête de la consommation, et que c’est ça qui va nous rendre heureux. Tout le monde nous fait croire que c’est une période pour partager et passer du temps en famille, mais on nous a menti. Les tricots, les cadeaux cuisinés, c’est de la marde! Ce qui nous rend heureux, c’est de s’acheter des cadeaux made in China.» Les 25 artistes conviés à la fête ont donc le mandat de flatter le public dans le sens du poil. Cyniques? «Non. On est des boy-scouts et on part à l’aventure d’un Noël de droite cette année!» Plutôt que de subir le sempiternel procès de la société marchande, le public aura donc les deux pieds plongés dedans. Connais-toi toi-même, disait Socrate. Commençons par une bonne vieille thérapie de groupe.

À l’Espace libre, du 19 au 22 décembre