Solo de clavier

À venir… : Sale temps pour les gars en bedaine: orphéon pour l’art visuel de bon goût

Avec ce boulot viennent plusieurs petits plaisirs: côtoyer Manon Dumais, bien sûr, mais également recevoir des tonnes de disques – quelques bides, mais souvent des valeurs sûres, voire d’agréables surprises – et admirer des pochettes d’albums allant de l’époustouflante à la ringarde. Bien qu’on s’évertue à se répéter que l’important, c’est le contenu et non pas le contenant, je dois avouer que le CD doté d’une imagerie où l’on retrouve un type en bedaine sur fond d’explosions risque de glisser sous ma pile de compacts à écouter. Idem pour l’affiche de spectacle douteuse: «Not attending.»

D’où le Solo de clavier de cette semaine: est-ce que l’art visuel entourant un musicien, son opus ou son concert est aussi essentiel que les mélodies qu’il fait mousser?

Pour Noémie Darveau, designer graphique, l’un complète l’autre et ce mariage n’est ni récent, ni exclusif. «C’est aussi important aujourd’hui que ce l’était à l’époque des Beatles, note-t-elle. Bien qu’aujourd’hui, on soit en contact avec la musique autant dans la vie de tous les jours que sur le Web, il est bon d’avoir une certaine constante qu’on reconnaîtra autant en regardant la télé qu’en ligne sur la boutique iTunes. C’est comparable à l’image de marque d’une compagnie.»

Pour Joël Vaudreuil, membre d’Avec pas d’casque et artiste visuel autodidacte, l’illustration va de pair avec la musique. «C’est un complément, tranche-t-il. J’aime beaucoup parcourir les livrets et voir l’extension visuelle des chansons tout en les écoutant. C’est comme la présentation d’un bon repas ou une coupe de cheveux qui coiffe la musique!» Au sein de son collectif, les deux pans s’entrechoquent tout au long de la genèse, d’ailleurs. «On procède beaucoup par essais et erreurs, résume Vaudreuil. Pour Dans la nature jusqu’au cou, par exemple, Stéphane (Lafleur, chanteur du groupe) écrivait des tounes et je proposais des dessins qui, à leur tour, inspiraient d’autres textes. Pour Astronomie, par contre, le disque a été baptisé bien avant qu’on se lance dans la création, ce qui fait que le titre a influencé autant l’esthétique que le mélodique.»

Darveau, de son côté, fait valoir que sa relation avec ses clients relève, elle aussi, d’un certain échange. «On fait affaire avec moi pour mon style, mais les musiciens qui me contactent ont aussi le leur, en plus d’avoir des goûts et critères particuliers. Je tente donc de m’insérer dans leur univers pour produire du “Noémie Darveau”, mais à leur image», explique-t-elle. Bien sûr, on l’engage pour son talent, mais également pour son expertise dans l’adaptation des considérations esthétiques au marché de grande masse. «Je tente aussi de soigner l’image de marque des groupes tout en élargissant leurs horizons», résume-t-elle.

Malgré l’aura très chemise à carreaux qui émane d’Avec pas d’casque, Vaudreuil ne se sent nullement contraint par le numérique. «Au contraire, ça ouvre des portes! Lorsque j’étais adolescent, je voulais me lancer dans l’animation, mais c’était laborieux», se rappelle le cinéaste qui livrait récemment des vidéoclips animés pour Bernard Adamus et Cheval fou. «Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de contraintes et, mieux encore, il y a davantage de plateformes pour la diffusion!»

Darveau abonde dans le même sens, bien que le fameux 2.0 impose tout de même certaines exigences, sans toutefois nuire à son inspiration. «Ça fait en sorte que l’image du groupe est aussi multipliée qu’éclatée: on parle de pochette, d’affiche de concert, mais aussi de présence sur Bandcamp, sur Facebook, etc. Je m’attends donc à ce que le travail soit décliné de différentes façons. Mais ces formalités ne s’appliquent pas qu’en musique, bien sûr.»

Bien que l’événement Facebook semble l’emporter sur l’affichage sauvage, Vaudreuil croit que le fameux poster de show a toujours sa place et s’émancipe de son but promotionnel. «C’est un peu comme se demander pourquoi on produit toujours des vinyles alors qu’on achète de plus en plus à la pièce. Oui, l’affiche a une portée publicitaire, mais c’est aussi un objet d’art que l’on peut conserver.»

Le message est donc lancé. Ô chanteur qui voudrais poser en bedaine sur fond d’explosions: non seulement ton disque glissera-t-il sous ma pile de trucs à écouter, mais ton affiche de concert se retrouvera dans le recyclage ou, pire encore, dans la cage à oiseaux. Plus d’art, moins d’abdos, que diable!

Pour admirer les œuvres de Noémie Darveau: nofolio.com
Pour suivre les aventures de Joël au sein d’Avec pas d’casque:
avecpasdecasque.com